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Bon sang, arrêtons de faire l’autruche!

Geneviève Desautels|Publié le 10 mars 2020

Bon sang, arrêtons de faire l’autruche!

Oser regarder la réalité en face... (Photo: Mitchell Griest/Unsplash)

BLOGUE INVITÉ. Pourquoi, en tant qu’élus, administrateurs, entrepreneurs, dirigeants, gestionnaires, et employés, attendons-nous toujours d’être au pied du mur pour réagir à des situations qui sont pourtant prévisibles, sachant très bien que l’on met à risque nos emplois, ceux qui gravitent autour de nous, nos organisations et même notre économie?

Il y a plus de vingt ans, on tentait de prévenir la pénurie de main-d’œuvre en identifiant les postes vulnérables et en réalisant des modèles de prévisions pour anticiper les départs à la retraite et le fait que démographiquement, malgré les politiques d’immigration, il y aurait un déséquilibre – pour la première fois de notre histoire – entre le nombre de personnes en âge de travailler et le nombre de personnes ayant terminé leur vie active au travail.

Les spécialistes en planification de la main-d’œuvre ont vu venir la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui partout au Québec, dans plusieurs régions du Canada ainsi qu’aux États-Unis. Pourtant, à l’époque, ils n’étaient pas pris au sérieux, les exercices de planification de la main-d’œuvre figurant souvent dans les dernières priorités des dirigeants.

En février 2020, le Québec a atteint son plus bas taux de chômage (4,5%) depuis 1976, soit depuis que Statistique Canada compile ce type de données.

En Europe, les défis de main-d’œuvre sont différents mais tout aussi critiques. Les entreprises ont énormément de difficultés à trouver des employés et des gestionnaires qui répondent aux profils de compétences dont elles ont actuellement besoin. Le système d’éducation et les centres de formations professionnelles n’ont pas été adaptés assez vite pour voir pallier cet écart entre les compétences détenues par les travailleurs et les besoins du marché. Cela a eu pour effet de créer un taux de chômage élevé, lequel devrait perdurer encore un bon moment puisque le développement des compétences techniques et les «soft skills» demandent toujours du temps.

Un exemple frappant

Il y a trois ans, avec notre équipe, je me souviens d’avoir conçu un parcours d’accompagnement spécifique pour l’industrie du commerce de détail, le but étant d’optimiser les processus et l’expérience client, aussi bien en magasin qu’en ligne. Nous n’étions pas des visionnaires, en avance sur notre temps. Nous étions plutôt des experts en intelligence d’affaires et en stratégie qui souhaitaient prévenir les bouleversements qui sévissent actuellement.

J’ai mis en place une équipe multidisciplinaire, avec des experts en marketing, en magasinage et en commerce électronique. Nos travaux et les statistiques indiquaient, déjà à l’époque, que le virage numérique était une tendance qui allait devenir de plus en plus lourde. Pourtant, entrepreneurs et dirigeants ne cessaient de nous rétorquer : «Le commerce en ligne ne remplacera jamais un achat en magasin. Les fleurons québécois et canadiens du commerce de détail ne peuvent pas tomber; vous exagérez, vous autres les consultants!»

Depuis un an, la liste des grandes marques québécoises, canadiennes et internationales qui doivent fermer, ou demander la clémence de leurs créanciers, ne cesse de s’allonger. Résultat : ces entreprises-là doivent revoir dans l’urgence leur modèle d’affaires et leurs processus opérationnels, ce qui a des répercussions directes sur tous ceux qui gravitent autour d’elles (fournisseurs, institutions financières, investisseurs privés, différents paliers gouvernementaux, etc.).

Même chose pour la formation professionnelle

Depuis une dizaine d’années, il est évident que la formation traditionnelle n’est plus le modèle d’enseignement à privilégier, tant pour la formation des étudiants que pour la formation continue. D’où la nécessité pour nos organisations privées et publiques de se pencher les nouvelles approches et méthodes pédagogiques permettant de développer et maintenir les compétences techniques et les «soft skills», de plus en plus nécessaires autant pour les employés, peu importe leur rôle dans l’organisation, que pour les gestionnaires de tous niveaux hiérarchiques.

Le marché de la formation en ligne devrait être de 325 G$, d’ici 2025. Ce qui en fera une industrie 10 fois plus lucrative que celle de la musique en ligne.

Un signe de la popularité de cette forme d’apprentissage est qu’en 2017, aux États-Unis, 77% des entreprises utilisaient principalement la formation en ligne pour le développement des compétences des employés et des gestionnaires.

Cela fait plusieurs années que je constate que PME et grandes entreprises privées et publiques diminuent drastiquement leur budget de formation aux employés et aux gestionnaires. Lorsque je questionne les dirigeants à ce sujet, ils m’évoquent les désavantages de la formation traditionnelle en classe. Ils me disent qu’ils ont de la difficulté à obtenir l’engagement des participants qui ont des horaires chargés, qu’ils ne veulent pas leur en demander davantage, qu’ils ont offert, au cours des dernières années, plusieurs parcours de formation sans vraiment être capables d’en mesurer le retour sur investissement. De surcroît, avec l’aménagement des bureaux à aires ouvertes, la disponibilité des salles pour offrir de la formation est un enjeu, et louer des salles à l’externe augmente significativement le coût des formations surtout lorsqu’il y a plusieurs groupes à former.

Lorsque je leur parle de l’option de développer les compétences de leurs employés et gestionnaires en ligne, ils hésitent, et leur non verbal est éloquent : ils s’arrêtent souvent à leurs propres comportements et croyances; ils disent généralement «oui» pour ce qui concerne les compétences techniques; par contre, ils croient profondément que les compétences relationnelles et de gestion s’apprennent moins bien en ligne qu’en personne et affirment que les participants font au moins deux choses en même temps lorsqu’ils suivent une formation en ligne ou un webinaire.

Je leur partage alors les résultats d’études qui montrent que la formation en ligne peut, selon l’approche de conception utilisée, être quatre fois plus efficace et deux fois économique que la formation traditionnelle en classe.

Je leur mentionne également que la formation en ligne s’est améliorée dans les cinq dernières années. Par exemple, il y a maintenant le «serious gaming», les «Learning Manangement Systems», ou encore des plateformes technologiques recourant à l’intelligence artificielle, qui permettent de suivre chacun des participants au moment même où ils suivent la formation et qui lui offrent des outils post-formation.

Une petite parenthèse concernant l’EdTech française Openclassrooms, créée en 1999 par Pierre Dubuc et Mathieu Nebra qui étaient alors âgés respectivement de 11 et 13 ans. Leur idée : rendre accessible le savoir à n’importe qui, et donc, à tout le monde; aussi bien le cadre d’Amazon que le chômeur en quête de nouvelles compétences, plus en phase avec l’économie chamboulée par l’automatisation et l’intelligence artificielle. Cette approche est, à mes yeux, on ne peut plus inspirante, et montre combien il est grand temps, pour chacun de nous, de s’adapter, de suivre le rythme du changement, mieux, de le précéder.

Et pourtant, les décideurs préfèrent toujours s’en tenir à de la formation traditionnelle en classe, parsemée de quelques webinaires…

Je ne veux surtout pas être prophète de malheur, mais sachant que selon plusieurs sources, dont Pôle-Emploi en France, 85% des métiers qu’effectueront les jeunes nés après 2006 n’existent pas encore et que, selon le Forum économique Mondial, en 2025, 52 % du travail sera fait par des « machines », et 48 %, par les humains, il me semble qu’il est plus que temps d’agir, de changer, d’évoluer. Car c’est là le meilleur atout que nous puissions jouer pour assurer la pérennité et la croissance de nos organisations, pour conserver et peut-être même améliorer les conditions de travail des employés et des gestionnaires, en dépit du tsunami de bouleversements qui se profile à l’horizon…