CHRONIQUE. Récemment, des chefs d'entreprise d'ici ont déploré le déclin du nombre d'entreprises québécoises ...
CHRONIQUE — Récemment, des chefs d’entreprise d’ici ont déploré le déclin du nombre d’entreprises québécoises inscrites en Bourse. Ils ont appelé le gouvernement à prendre des mesures pour freiner ce déclin : allégement réglementaire, notamment en matière de divulgation, aide financière aux entreprises pour couvrir les coûts de conformité, voire le crédit d’impôt pour le contribuable qui investit dans une PME.
Toutefois, ce déclin n’est ni spécifiquement québécois, ni même canadien. Depuis une douzaine d’années, le nombre total d’entreprises cotées en Bourse dans le monde plafonne, et ce, malgré la croissance explosive des places boursières asiatiques. Aux États-Unis, le nombre d’entreprises cotées en Bourse est environ la moitié de ce qu’il était à la fin des années 1990.
Sans surprise, aux États-Unis et ailleurs, on invoque la lourdeur de la réglementation pour expliquer ce phénomène. Cependant, les faits ne corroborent pas cette hypothèse : le déclin était déjà commencé lorsque la loi Sarbanes-Oxley a été adoptée en 2002, en réaction aux scandales d’Enron, de Worldcom et d’autres. Certes, on pourrait raffiner la réglementation pour éviter les coûts inutiles. Mais l’alléger ? C’est un pensez-y-bien : quand on sollicite l’argent des épargnants, on leur doit des comptes sincères, complets et transparents.
La transparence a de la valeur
D’ailleurs, le Jumpstart Our Business Startups Act, adopté en 2012 pour justement faciliter l’accès des jeunes pousses au financement public aux États-Unis, s’est révélé un échec. Rendus plus méfiants par des exigences de divulgation allégées, les marchés ont été réticents à investir dans des entreprises qui se prévalaient des dispositions de cette Loi : celles-ci ont parfois dû baisser leur prix d’émission pour compenser ce surcroît d’incertitude, ou ont même carrément renoncé à mener à terme un premier appel public à l’épargne. Sans compter que l’allégement des exigences réglementaires a permis à des entreprises d’une qualité plus que douteuse d’avoir accès à l’épargne publique. Les meilleures intentions législatives portent en elles leurs conséquences involontaires et indésirables.
On explique aussi la baisse du nombre de sociétés cotées par la concentration dans certains secteurs, en particulier dans les technologies de l’information : des joueurs dominants absorbent des sociétés cotées, ou des sociétés privées capturent plus de valeur en se vendant à un acheteur stratégique plutôt qu’en ouvrant leur capital au public. De fait, si le nombre d’entreprises a diminué depuis 20 ans, leur capitalisation boursière en proportion du PIB a fortement augmenté. La société cotée typique a vu sa taille multipliée. Mais cela a tout à voir avec un enjeu de concurrence, que les autorités de la concurrence doivent surveiller de près.
L’«éléphant dans la pièce»
Il y a surtout un «éléphant dans la pièce» : une société cotée accepte de facto d’être évaluée en fonction des objectifs des investisseurs institutionnels, des analystes et autres «activistes». S’ils sont juridiquement propriétaires de parts d’une société, ces financiers ont rarement la vision ou la patience de propriétaires véritables. IIs recherchent le rendement à court terme, même si c’est au détriment du développement à long terme. Plus d’une fois des gestionnaires de fonds m’ont expliqué qu’il ne fallait pas nuire à la bonification annuelle de leurs cadres. Alors Bay Street et Wall Street applaudissent volontiers l’endettement excessif, le recours aux paradis fiscaux, la vente d’actifs, le rachat d’actions, les mises à pied et les délocalisations – toutes stratégies qui stimulent la croissance immédiate du bénéfice par action, mais qui sont potentiellement destructrices de valeur véritable.
Les marchés financiers sont dynamiques. Depuis une vingtaine d’années, on a mis au point des formes juridiques innovantes qui permettent de mobiliser des fonds sans faire de PAPE. En se limitant au financement privé, des sociétés parviennent à croître jusqu’à devenir des licornes, d’une valeur marchande de 1 milliard ou plus. Les Blackstone, KKR et TPG sont des noms qui viennent à l’esprit. Mais les grandes caisses de retraite canadiennes – l’Office d’investissement du Régime de pensions du Canada, Investissements PSP, la Caisse, Teachers, OMERS – ont été aux avant-postes de ce phénomène et ont financé des privatisations et des projets de façon à éviter aux entreprises d’avoir recours aux marchés publics.
Le déclin du nombre d’entreprises cotées en Bourse est le produit d’un processus complexe qui dépasse largement la réglementation. Devant cette complexité de causes et d’effets, le gouvernement devrait y réfléchir à deux ou trois fois avant d’«encourager» les entreprises à aller sur le marché public, soit par allégement réglementaire, soit par subventions, soit par crédit d’impôt. Comme l’a démontré le Jumpstart Our Business Startups Act, les phénomènes complexes s’accommodent mal d’interventions simplistes.