C’est la panique générale chez les employeurs canadiens!
L'économie en version corsée|Publié le 15 février 2019L'heure est grave. Très très grave... [Ph: Mubariz Mehdizadeh/Unsplash]
«Employeurs canadiens, évoluez ou disparaissez !» D’où provient cet ultimatum ? D’une étude fracassante que vient de dévoiler le cabinet-conseil PwC. D’une étude qui montre combien les chefs d’entreprise canadiens étaient déconnectés de la réalité et fonçaient, sans s’en rendre compte, droit dans le mur. D’une étude qui révèle l’étendue de la panique, maintenant que ceux-ci ont réalisé que la catastrophe était imminente.
En 2018, la majorité des employeurs canadiens étaient sereins quant à l’avenir : 58% d’entre eux étaient certains que leur chiffre d’affaires allait afficher une belle croissance durant les trois prochaines années ; ou encore, 72% étaient confiants que l’économie mondiale allait connaître une belle croissance d’ici les 12 prochains mois.
Et là, en ce début de 2019, qu’en est-il ? Leur belle assurance quant à un avenir radieux a complètement fondu : une minorité d’entre eux – 40% – considére que leur entreprise va croître durant les trois prochaines années ; en outre, 36% pensent que l’économie mondiale va stagner, et 26% – soit 1 sur 4 –, qu’elle va carrément entrer en récession!
Bref, les employeurs canadiens sont en proie au désespoir. Pourquoi, au juste ? Qu’est-ce qui les fait broyer du noir ? L’étude de PwC indique qu’ils croulent à présent sous des problèmes qui leur paraissent insolubles :
– Pénurie de talents. Ils sont 88% à s’arracher les cheveux en raison de leur incapacité à séduire et à retenir les nouveaux talents dont ils ont absolument besoin. Il est vrai que le Canada est aujourd’hui en situation de plein emploi. Cela étant, nombre d’études l’avaient annoncé de manière récurrente depuis une décennie, laissant amplement le temps aux chefs d’entreprise d’ajuster le tir pour ne pas en pâtir.
– Conflits commerciaux. Ils sont 84% à faire des insomnies à cause des conflits commerciaux. De fait, la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain et les multiples différends commerciaux avec les États-Unis de Donald Trump ont prouvé aux entreprises canadiennes qu’elles ne devaient pas s’attendre à un long fleuve tranquille pour les années à venir. D’ailleurs, ils ne sont plus que 60% à considérer maintenant les États-Unis comme un pays pouvant contribuer à la croissance de leur entreprise au cours des 12 prochains mois, alors qu’ils étaient 88% un an plus tôt.
– Protectionnisme. Ils sont 84% à condamner le protectionnisme, c’est-à-dire à décrier cette politique économique dont Donald Trump se fait le porte-étendard. C’est que celui-ci se révèle un coup dur pour leur entreprise, ne serait-ce que par son impact sur son chiffre d’affaires. «À cela s’ajoute le fait que les dirigeants d’entreprise américains se disent maintenant moins portés à faire des affaires avec leurs partenaires canadiens, préférant axer davantage leurs efforts sur les forces du marché intérieur des États-Unis», note l’étude de PwC.
Alors, que faire ? Que les employeurs canadiens doivent-ils entreprendre pour s’extirper de l’impasse dans laquelle ils sont coincés ? Quel est leur plan de match ?
La réponse à ces interrogations fait froid dans le dos : ils n’en ont aucune idée !
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Ils sont plus nombreux qu’auparavant – 88% au lieu de 77% en 2018 – à songer à gagner en «efficience opérationnelle», c’est-à-dire à prendre les mesures nécessaires pour afficher un meilleur rendement (ex.: licencier, couper dans la R&D, abandonner les projets les moins rentables, etc.). Ils sont aussi plus nombreux – 84% au lieu de 71% – à songer à se replier sur eux-mêmes, en misant davantage sur le marché canadien pour vendre leurs produits et services, et donc en faisant moins d’efforts à l’exportation. Ou encore – 59% au lieu de 37% –, à songer à effectuer une opération de fusion-acquisition, histoire de booster – vite fait, bien fait – leur chiffre d’affaires ; voire carrément – 53% au lieu de 40% – à vendre leur entreprise à un concurrent plus audacieux qu’eux.
Oui, vous avez bien lu : en ce moment même, 1 employeur sur 2 a en tête l’idée de jeter l’éponge. De tout laisser tomber. De se retirer du jeu sans y laisser trop de plumes.
C’est dire combien l’heure est grave…
On pourrait avancer que la solution passe par la technologie, en cette ère nouvelle du data et de l’intelligence artificielle (IA). Et c’est justement ce que se sont dit les experts de PwC. Mais voilà, les employeurs canadiens sont complètement dépassés sur ce point, et ils viennent de le réaliser:
– Du data inutilisable ou inexistant. 52% des chefs d’entreprise pensent qu’ils gagneraient à recourir au data lié à leurs clientèles actuelle et potentielle (ex.: leurs préférences, leurs nouveaux besoins,…), car cela leur permettrait de faire des choix stratégiques judicieux, et donc d’apercevoir à l’horizon le coin de ciel bleu qu’ils aimeraient tant trouver. Le hic ? Seulement 2% d’entre eux sont convaincus d’avoir les données nécessaires pour pouvoir agir en ce sens.
– Une IA inaccessible. 84% des employeurs estiment que l’IA transformera en profondeur leur entreprise au cours des cinq prochaines années. Mais 88% d’entre eux ne pensent pas être capables d’avoir, à court terme, les ressources et les talents pour en tirer parti. En conséquence, ils pensent qu’à l’avenir ils vont devoir continuer de prendre leurs décisions stratégiques comme ils l’ont toujours fait, «en se fondant en grande partie sur l’instinct».
– Une IA dévastatrice. 1 employeur sur 2 (47%) estime que l’IA détruira plus qu’elle ne créera d’emplois à long terme, si jamais elle gagnait en popularité auprès des entreprises. Et que cela serait, au fond, son impact principal. Ce qui poserait, à leurs yeux, un tout nouveau problème qui les angoisse d’avance : si les robots intelligents en venaient bel et bien à prendre la place de nombre d’employés, comment les entreprises feraient-elles à l’avenir pour innover, et donc pour distancer la concurrence ? Oui, ne perdraient-elles pas dramatiquement en créativité, laquelle est, du moins jusqu’à présent, le propre de l’être humain?
On le voit bien, la technologie n’est pas la planche de salut qu’on nous vend pourtant depuis belle lurette comme telle. En tous cas, pas au Canada.
Fort heureusement, il semble qu’il y ait une voie intéressante à explorer. Si, si…
«Les chefs d’entreprise canadiens sont en train de vivre un brutal retour à la réalité, et il leur faut maintenant évoluer, dit Nicolas Marcoux, chef de la direction, de PwC Canada. Ils doivent par conséquent se lancer dans une véritable transformation.»
Quelle transformation ? La transformation de notre manière de travailler. Ni plus ni moins.
«Pour qu’il y ait transformation, il est nécessaire que les employeurs créent un environnement favorable au changement, indique l’étude. Il faut accompagner la main-d’œuvre à passer à l’ère du numérique. Il faut l’aider à acquérir de nouvelles connaissances. D’autres compétences. Un tout nouvel état d’esprit.»
Et de lancer, sans ambages : «Le temps est venu de donner à tous le pouvoir de transformer leur manière de travailler».
Autrement dit, la transformation est nécessaire, et ce ne sont pas les chefs d’entreprise qui seront capables de la mener à bien. Non, ce sont, en vérité, les employés eux-mêmes!
Excusez-moi, mais il s’agit là d’un véritable appel à la révolution. À la révolution managériale. Je ne rêve pas.
Les experts de PwC en arrivent véritablement à la conclusion que le fonctionnement actuel de nos entreprises ne permet pas de surmonter les écueils propres au XXIe siècle. Que nos dirigeants ne sont pas à la hauteur des enjeux. Que seuls les employés sont en mesure de corriger le tir. Mais pourvu qu’on leur donne les coudées franches. Qu’on leur attribue le pouvoir nécessaire pour cela, avant qu’il ne soit trop tard.
«Pour réussir à sortir leurs entreprises de l’ornière, les chefs d’entreprise doivent investir dans le capital humain. Maintenant. Ils doivent encourager chacun à occuper les emplois de demain. Il leur faut, à même l’entreprise, favoriser l’émergence des connaissances nécessaires pour pouvoir créer de la valeur aujourd’hui, demain et après-demain», soutient M. Marcoux.
C’est clair, chers leaders, il est plus que temps d’entrer de plain-pied dans le XXIe siècle. De miser farouchement sur l’humain. D’enfin écouter au lieu de commander ; d’enfin libérer au lieu de contrôler ; d’enfin vous mettre au service de l’équipe au lieu de considérer que l’équipe est à votre service.
Car, rappelons-le, l’alternative est on ne peut plus simple : «Évoluez ou disparaissez!»
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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.
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