Plusieurs critères précis permettent de dire si une job est bel et bien une «job de m...», ou pas. (Photo: Tom Plumford pour Unsplash)
MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. – «Je suis caissier. Ma paie est minimale. Mes horaires de travail changent d’une semaine à l’autre. Les clients me crient dessus sans que je puisse répliquer. Et ma boss me checke en permanence à l’aide d’une caméra de surveillance. C’est moi, ou j’ai bel et bien une « job de m… »?» – Zak
R. – Cher Zak, la question que vous soulevez, en fait, c’est de savoir ce qu’est, au juste, une «job de m…». S’agit-il d’une job mal payée, comme le considèrent certains? D’une job dont les conditions de travail sont horribles, comme l’estiment d’autres? D’une job où la pression à la performance est si anxiogène qu’elle pousse les travailleurs au burn-out, comme le pensent plutôt d’autres? Que sais-je encore?
Pour y voir plus clair dans tout ça, laissez-moi vous parler d’une récente étude qui apporte, me semble-t-il, une réponse aussi originale que pertinente à cette lourde interrogation. Cette étude est signée par Francis Green, professeur d’économie du travail et de l’éducation à l’University College de Londres, et Sangwoo Lee, chercheur en économie de l’éducation à l’Université de Warwick.
Les deux chercheurs ont eu une belle intuition, en se disant que les critères classiques pour juger de la qualité d’une job – montant de la paie, conditions de travail, etc. – étaient insuffisants pour refléter la réalité complète du quotidien d’un travailleur. C’est pourquoi ils ont choisi sept critères qualitatifs qui leur paraissaient incontournables, soit:
– Revenus;
– Perspectives d’évolution de carrière;
– Qualité du temps travaillé;
– Possibilité d’exercer ses compétences clés et sentiment de sécurité;
– Environnement physique;
– Environnement social;
– Intensité du travail.
Puis, ils ont regardé si chacun de ces critères avait la moindre incidence sur le bien-être des travailleurs, en les analysant à l’aide de deux bases de données, le Single Job Quality Index et le WHO-5 Wellbeing Index. Et ce, en considérant les jobs exercées de nos jours en Europe.
Ce travail de moine leur a permis de faire une belle trouvaille, à savoir que «les données suggèrent un seuil pour les «jobs de m…» au 10e percentile», notent-ils. Car il suffit, expliquent-ils, que l’on passe, pour l’un des sept critères retenus, du 10e percentile au 20e percentile pour voir son niveau de bien-être au travail bondir d’un seul coup, au point de ne plus vraiment se sentir «complètement dans la m…».
Tout cela signifie, en vérité, quelque chose de très simple. On peut considérer qu’on a une «job de m…» à partir du moment où l’on figure parmi les 10% des travailleurs les moins bien lotis concernant plusieurs des sept critères retenus par les deux chercheurs. Par exemple, un travailleur est parmi les 10% des travailleurs les moins bien payés de son secteur d’activité (disons celui de la restauration), s’il est parmi les 10% de ceux qui peuvent le moins utiliser leurs compétences clés dans leur quotidien au travail (on lui demande juste de faire la plonge) et s’il est contraint de travailler dans un local dont l’état est particulièrement lamentable (mauvais éclairage, réglage défectueux de la température de l’eau, etc.), alors, oui, cette personne-là peut considérer qu’elle a une «job de m…».
Et vous, occupez-vous à présent une «job de m…»? Pour vous en faire une idée, je vous invite à considérer les sept critères de manière simplifiée. Passez chacun d’eux en revue, en vous demandant: «Dans mon secteur d’activité, ai-je les pires conditions possibles, ou à tout le moins quasiment les pires?» Si vous récoltez ainsi plusieurs «oui», vous pouvez légitimement considérer que vous avez une «job de m…», et vous dire qu’il est sûrement grand temps de regarder si l’herbe n’est pas un peu plus verte ailleurs…
Pour votre information, sachez encore que Francis Green et Sangwoo Lee ont eu l’intelligence de creuser dans leurs données, et cela leur a permis de découvrir plusieurs points fort intéressants:
– Là où les «jobs de m…» sont les plus fréquentes, sont dans les secteurs de la construction, de l’hôtellerie et de la restauration ainsi que des activités ménagères. Ils sont courants dans les industries de la pêche, de la chasse, de la foresterie et de l’agriculture.
– En général, les «jobs de m…» sont associées à un faible niveau d’éducation ainsi qu’au statut de migrant.
– La probabilité d’occuper une «job de m…» est moindre dans les pays riches et dans les pays où la réglementation du travail est stricte.
– Enfin, trois derniers points: la probabilité d’avoir une «job de m…» est un poil plus élevée lorsqu’on travaille au sein d’une grande entreprise; travailler dans le secteur privé augmente le risque d’occuper une «job de m…»; et le sexe du travailleur n’a aucune incidence sur la probabilité d’avoir une «job de m…».
Voilà, Zak. D’après ce que vous m’indiquez, il me paraît évident que vous avez bel et bien une «job de m…». Et ce, en raison du fait que plusieurs des critères retenus par les deux chercheurs sont visiblement dans le rouge dans votre cas de figure: revenus (minimaux), sentiment d’insécurité (horaires de travail hyper variables), environnement physique (clients abusifs) et environnement social (boss contrôlante). Ma suggestion? Changez vite de job, si cela vous est possible. Car il y sûrement moyen de trouver mieux ailleurs.
En passant, la femme de lettres française Françoise Giroud a dit dans «Ce que je crois»: «Bonheur: faire ce que l’on veut et vouloir ce que l’on fait.»