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Comment aider un employé qui vit un épisode psychotique

Catherine Charron|Édition de janvier 2024

Comment aider un employé qui vit un épisode psychotique

En mai 2019, Cassandre Clermont-Moquin a vécu un épisode de manie d’une bipolarité qui n’est pas diasgnostiquée. Son état psychotique a duré près de quatre mois. (Photo: courtoisie)

En mai 2019, Cassandre Clermont-Moquin quitte tout : son emploi de rêve au Strøm spa nordique, son conjoint et son appartement. Elle vit un épisode de manie d’une bipolarité qui n’est pas diagnostiquée.

Depuis quelque temps déjà, l’adepte du bien-être nourrissait un intérêt nouveau pour l’ésotérisme, voyant des signes ou des messages cachés qui lui étaient destinés. Lorsqu’elle décide de tout plaquer, elle s’enfonce dans un état psychotique qui durera près de quatre mois.

C’est lors de son deuxième passage à l’hôpital que le bon diagnostic tombe et que le traitement adéquat lui est administré, lui permettant de reprendre contact avec la réalité. Elle emprunte alors la voie de la guérison qui lui permettra de retrouver son poste tant aimé.

D’après les résultats d’une étude publiée en 2007 dans le « Jama Psychiatry », la revue mensuelle de l’Association médicale américaine, 3 % de la population vivra au moins une fois un épisode psychotique.

Ceux-ci ne sont pas l’apanage de la schizophrénie, précise Martin Lepage, directeur scientifique délégué de l’Institut de santé mentale Douglas : le trouble bipolaire, la dépression et même un stress intense peuvent déclencher de tels symptômes.

Les idées délirantes constituent les signes les plus distinctifs d’un épisode psychotique. L’employé peut par exemple avoir l’impression d’être persécuté, croire que ses collègues peuvent lire ses pensées, lui vouloir du mal ou convoiter son poste. Il pourrait aussi avoir des délires de grandeur, des hallucinations, un fil de pensées ou des propos décousus.

« Le premier épisode de psychose est celui qui peut le plus affecter la participation au marché de l’emploi, constate le chercheur. Ça peut vraiment fragiliser quelqu’un. Son retour au travail va dépendre de facteurs propres à la personne, au milieu de travail et à son employeur. »

Retrouver une vie normale est tout à fait plausible, soutient-il. « En général, lorsque la psychose est traitée, les symptômes se résorbent bien. Il y a une part de la population pour qui le rétablissement sera plus difficile, mais la majorité est en mesure de reprendre leurs activités. »

 

Tendre une perche

Lorsqu’on remarque qu’un collègue présente des symptômes psychotiques, la clé, c’est de l’encourager à se tourner vers des professionnels de la santé.

« Il ne faut pas tenter de critiquer les délires de la personne ou lui dire qu’elle a tort. Il faut l’inviter à chercher de l’aide pour traiter ses symptômes, explique Martin Lepage. L’employeur doit faire preuve de discernement. Si les difficultés de performance sont liées à un trouble de santé mentale, la psychose doit être traitée avant de mettre fin à un emploi. »

Cassandre Clermont-Moquin appelle les dirigeants à faire preuve de bienveillance à l’égard de leur employé : « C’est comme s’il avait une foulure de cerveau. Son organe cérébral, c’est son outil de travail, et il ne fonctionne pas en ce moment, il a donc besoin d’une pause pour en prendre soin. »

L’employeur peut aussi proposer à son salarié de le rediriger vers le programme d’aide aux employés, voire vers une clinique telle l’Institut de santé mentale Douglas.

Toutefois, « on ne peut forcer une personne à se faire soigner, à moins qu’elle représente un danger pour elle-même ou pour les autres », rappelle le professeur au Département de psychiatrie de l’Université McGill.

Martin Lepage prône un retour rapide sur le marché du travail lorsque l’état de la personne se sera stabilisé, car plus l’absence sera longue, plus il sera difficile de le réintégrer. Cela dit, certains prendront peut-être la décision de réorienter leur carrière afin d’être dans des milieux moins stressants, et se sentir tout aussi épanouis.

 

Réintégrer l’employé

Plus de deux ans et demi se sont écoulés entre le départ précipité de Cassandre Clermont-Moquin et son retour au Strøm spa nordique. Par un heureux concours de circonstances, c’est son employeur qui lui a offert de retrouver son poste. Une étape charnière, dit-elle.

En effet, les mois qui ont suivi son retour à la réalité ont été plutôt difficiles pour la jeune carriériste. « Je me suis même demandé si le travail ne deviendrait pas tout simplement alimentaire, car je n’avais plus la forme, la répartie ou la créativité que j’avais avant mon épisode psychotique. »

Bien que d’anciennes collègues aient été témoins de sa psychose, car elle en avait documenté des bribes sur ses réseaux sociaux, la stratège en communication ne craignait pas de les retrouver. « Le climat de travail est vraiment dans l’inclusion et l’ouverture. Dans mon équipe immédiate, d’autres employés vivent des ennuis de santé mentale. »

Tous n’ont pas droit à un tel accueil. La recherche montre que les gens qui ont une maladie mentale ont plus de difficulté à trouver un emploi à cause des préjugés, autant ceux internalisés par l’employé que ceux de son milieu de travail, fait remarquer Martin Lepage. C’est d’autant plus vrai quand les symptômes psychotiques persistent.

Par exemple, « la schizophrénie est très stigmatisante. [Les personnes malades] seront perçues, à tort, comme imprévisibles, violentes ou dangereuses. C’est complètement faux. »

C’est pourquoi il souligne à grands traits l’importance de s’informer afin de briser les tabous qui persistent encore à l’égard de la psychose.

Cassandre Clermont-Moquin a misé sur la carte de la transparence. C’est notamment ce qui lui a permis d’apaiser la honte et la déception qu’elle a ressenties.

« Ça m’aide à faire rayonner la personne que je suis au-delà de mon diagnostic, car il ne me définit pas. Si je ne le dis pas, on ne peut pas le savoir. Ça ne laisse pas place aux préjugés. »

 

Adapter l’environnement de travail

Selon ce que Martin Lepage a pu observer, une personne ayant vécu un épisode psychotique ne doit pas être de facto traitée différemment d’une autre. Elle doit plutôt avoir l’espace pour parler de son expérience si elle rencontre des écueils.

Son patron devrait faire preuve de flexibilité afin de lui permettre d’aller à ses rendez-vous, au besoin. Au-delà de ça, en général, elle n’aura pas besoin d’encadrement supplémentaire.

Dorénavant, « mes limites sont plus claires qu’auparavant », indique pour sa part Cassandre Clermont-Moquin.

Ainsi, dès son entrevue d’embauche, où elle a mis cartes sur table sur sa bipolarité et ce qu’elle avait vécu dans les dernières années, elle a stipulé qu’elle ne pouvait se rendre disponible pour bosser au-delà de ses 40 heures de travail convenues chaque semaine.

Se plaisant tellement dans son emploi, la jeune professionnelle doit se faire violence pour ne pas en faire davantage. Ses collègues l’épaulent d’ailleurs, s’assurant fréquemment et avec bienveillance qu’elle n’en a pas trop dans son assiette.

« Quand je vois que la soupape est en train de chauffer, je n’hésite pas à demander de l’aide. L’équipe a toujours été très ouverte à ce que je laisse des choses moins importantes pour me concentrer sur mes priorités. »

« Je travaille avec des jeunes qui vivent leur premier épisode et qui croient vraiment que leur vie est terminée à cause de ces difficultés-là, qui regrettent des gestes posés alors qu’ils étaient psychotiques, conclut Martin Lepage. Ce sont des épreuves importantes, mais qui ne devraient pas mettre fin aux ambitions ou aux rêves. »

 

 

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