Courir après la montre, c'est une pure perte de temps. (Photo: Luke Chesser pour Unsplash)
MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. – «Visios, lunchs d’affaires, 5@7 de réseautage… C’est la folie, mon agenda déborde de partout! Je travaille sans discontinuer, et je sens que ça ne peut pas durer encore longtemps. J’ai vraiment peur de finir par craquer sans le voir venir…» – Mélina
R. — Chère Mélina, je ne veux pas vous inquiéter, mais sachez qu’à force de courir après le temps on finit toujours par courir à sa perte. Car il s’agit là d’une course que nul d’entre nous n’est susceptible de gagner, oui, d’une course perdue d’avance. Et fort souvent, malheureusement, celle-ci se conclut par un burn-out…
Mais pas de panique, il est tout à fait possible de corriger le tir avant qu’il ne soit trop tard! Je vais vous indiquer comment, en m’appuyant sur le livre intitulé Indistractable: How to Control Your Attention and Choose Your Life (BenBella Books, 2019) du coach américain Nir Eyal.
C’est que l’auteur m’a fait réaliser que notre façon d’aborder le concept de temps était en grande partie responsable du fait que nous nous faisions, vous comme moi, si aisément «bouffer par le temps», en particulier au travail. Et que c’est à partir du moment où l’on voit le temps autrement qu’on devient capable de reprendre le contrôle de notre agenda. Explication.
Pour commencer, il convient de saisir que deux aimants contraires influencent chacun de nos faits et gestes:
– les tractions, soit tout ce qui nous attire vers les choses que nous voulons (argent, expériences, connaissances, etc.) ;
– les distractions, soit tout ce qui nous en éloigne et représente une pure perte de temps.
«Chaque jour, notre objectif devrait être d’avoir beaucoup plus de comportements et d’activités qui se classent comme une traction que comme une distraction», note Nir Eyal.
Ensuite, il nous faut saisir que le fonctionnement des distractions est plus subtil que ce que nous croyons. Nous estimons que les distractions sont externes à nous: le cellulaire qui vibre, la notification qui surgit dans le coin de l’écran, le collègue qui nous interrompt, etc. Or, il n’en est rien, elles sont, en vérité… internes à nous.
«En fait, la cause profonde de la distraction est toujours interne, explique l’auteur. Il ne s’agit pas de ce qui se passe autour de nous, mais de ce qui se passe à l’intérieur de nous. Les déclencheurs internes sont des états émotionnels inconfortables qui nous incitent à prendre des mesures pour supprimer cet inconfort.»
Par exemple, si notre cellulaire vibre, c’est parce que nous l’avons réglé sur vibreur, de peur de rater un appel important. Nous nous sommes mis en situation de vulnérabilité par rapport à ce genre de distraction, car nous nous sentons inconfortables à l’idée de ne pas répondre immédiatement à la demande d’un client ou de notre boss.
Idem, la notification reflète notre crainte de rater un courriel important. Quant au collègue qui interrompt notre travail, il le peut parce que nous l’avons nullement empêché de le faire: nous n’avons pas indiqué qu’il ne fallait pas nous déranger, alors qu’il n’y a rien de plus simple que d’installer à notre bureau une petite pancarte disant «Je dois rester concentré. Reviens me voir à 11h, merci!»
Autrement dit, il devient possible de gérer les distractions dès lors qu’on a compris que cela revient à gérer nos inconforts. «Une fois que vous reconnaissez et comprenez l’inconfort auquel vous cherchez à échapper, vous pouvez choisir de changer la source de cet inconfort ou d’apprendre des tactiques pour y faire face, de sorte que vos déclencheurs internes vous conduisent vers la traction plutôt que la distraction», dit Nir Eyal.
Qu’est-ce à dire, concrètement? Qu’il suffit d’empêcher vos déclencheurs internes d’agir pour être nettement moins distraits de votre travail lorsqu’il vous faut donner un bon coup de collier. Ce qui peut notamment revenir à deux trucs simples et efficaces, préconisés par l’auteur:
1. Faites un «pacte d’effort» avec vous-même
L’idée est de mettre un obstacle à la distraction, et de faire le serment de ne pas l’enlever tant que vous n’aurez pas terminé la tâche que vous voulez mener à bien. Par exemple, si votre cellulaire risque d’être une source de distraction, éteignez-le. Autre exemple: si vous savez que toutes les 15 minutes vous n’arrivez pas à vous empêcher de consulter vos courriels, supprimez les notifications de votre boîte de courriels et lancez une minuterie de 30 minutes, en vous jurant de ne rien faire d’autre que de mener à bien la tâche entreprise durant cette demi-heure.
2. Recourez à la technique des 3R
À bien y penser, la source principale de notre distraction a souvent un lien avec notre cellulaire: il suffit d’un «trou» de deux ou trois minutes dans notre agenda pour aussitôt dégainer notre cellulaire et nous mettre à scroller sur n’importe quelle application, n’est-ce pas? D’où l’intérêt d’hacker votre cellulaire, histoire de l’empêcher de nuire à votre productivité à tout bout de champ. Et ce, grâce à la technique des 3R:
– Retirer. Désinstallez les applications dont vous n’avez plus besoin. Et supprimez toutes les notifications qui ne sont pas vitales (je souligne, «vitales», car en toute logique vous devriez être ainsi en mesure de supprimer presque 100% de toutes vos notifications!).
– Remplacer. Enfermez votre cellulaire dans une sacoche ou un tiroir de votre bureau. Et utilisez une montre pour ne plus avoir à le regarder pour connaître l’heure.
– Réarranger. Déplacez les icônes des applications que vous utilisez le plus loin de l’écran d’accueil de votre cellulaire, car cela vous évitera de cliquer mécaniquement dessus, sans y réfléchir, comme vous et moi le faisons si souvent. L’effort à fournir pour accéder à la page où elles seront devrait finir par vous dissuader de les consulter chaque fois que vous vous saisissez de votre cellulaire.
Voilà, Mélina. En luttant contre vos déclencheurs internes, vous serez en mesure d’atténuer les distractions lorsque vous travaillez. Cela vous fera gagner en efficacité, et donc, en temps. Là où il vous fallait une heure de travail (distractions incluses) pour accomplir une tâche, il ne vous en faudra peut-être plus que 45 minutes. Mine de rien, le gain se chiffrera en heures à la fin de la semaine.
Cela vous permettra de vous rendre, l’esprit tranquille, à vos lunchs d’affaires et autres 5@7 de réseautage. Vous n’aurez plus l’impression de courir en tous sens, comme un poulet sans tête. Vous trouverez un nouveau rythme de travail, plus fluide et agréable, et cela vous fera sûrement le plus grand bien.
En passant, l’écrivain québécois Réjean Ducharme a dit dans Les Enfantômes: «Si le temps arrange pas les choses, les choses arrangeront le temps».