Ruminer, c'est un peu comme être un hamster qui ne peut s’empêcher de galoper comme un fou dans sa petite roue; en vain.(Photo: 123RF)
MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. — «L’autre jour, j’ai croisé un boss sur le chantier, je lui ai dit bonjour, mais il est passé tout droit, sans retourner mon salut. Depuis, je n’arrête pas de me demander pourquoi. Était-il trop plongé dans ses pensées pour m’entendre? Ai-je fait quelque chose de mal sans m’en rendre compte, et on m’en veut? Ces interrogations continuelles me pourrissent la vie!» – Younes
R. — Cher Younes, comme nombre d’autres travailleurs, vous avez vécu une déconvenue dans le cadre de votre quotidien au travail, et celle-ci vous préoccupe tant que vous ne cessez de ruminer. Plus précisément, vous jouez et rejouez sans arrêt la scène dans votre esprit pour en tirer des conclusions sans cesse différentes, sans cesse inquiétantes, pour ne pas dire terrifiantes. Et le pire, c’est que vous avez conscience que cela vous fait du mal, mais c’est plus fort que vous, il vous faut encore et toujours rejouer cette scène-là. Un peu comme un hamster qui ne peut s’empêcher de galoper comme un fou dans sa petite roue; en vain.
Deux raisons principales peuvent nous amener à ruminer:
– Compréhension et résolution. Nous cherchons à comprendre une situation dont un ou plusieurs éléments nous échappent. Ce faisant, nous tentons de résoudre le problème sur lequel nous butons. Mais voilà, aucune trouvaille ainsi faite ne nous apporte le soulagement tant espéré, car chaque réponse est insatisfaisante à nos yeux.
— Peur du rejet social. Nous pouvons aussi revivre mentalement des situations ou des conversations perturbantes parce que nous craignons le rejet social. Poussés que nous sommes par le désir d’approbation sociale, nous nous soucions exagérément d’éventuels malentendus ou jugements négatifs de la part d’autrui.
Résultat? Notre cerveau recourt à la rumination afin de gérer l’état d’esprit angoissant, dépressif ou anxieux dans lequel nous nous trouvons. Mais il n’y parvient aucunement, car, comme l’a mis au jour une récente étude pilotée par le neuropsychologue clinicien Scott Langenecker, professeur de psychiatrie à l’Université de l’Utah, le simple fait de ruminer suffit à «intensifier les sentiments d’anxiété, d’insécurité et de culpabilité».
L’étude montre également que ceux qui ruminent sont, la plupart du temps, des personnes trop concentrées sur elles-mêmes. Elles gagneraient donc à davantage chercher à «se connecter pleinement à l’autre, dans le moment présent». À davantage chercher «la connexion authentique et la proximité émotionnelle».
Concrètement, cela peut consister à recourir à un ou plusieurs trucs préconisés par le neuropsychologue Bernard Anselem, auteur du livre Je rumine, tu rumines, nous ruminons (éditions Eyrolles).
En voici quelques-uns:
— Accepter ses émotions.Au moment même où l’on se met à ruminer, il convient d’accepter l’état désagréable dans lequel nous nous trouvons, d’accepter les émotions qui nous gagnent. Il faut voir celles-ci comme une vague qui tente de nous submerger: si nous nous laissons porter un instant, elle va se retirer et nous abandonner sur la plage, tranquille; en revanche, si nous lui résistons, elle va nous renverser et nous emporter au large, et comme chaque fois ça va nous prendre du temps pour revenir sur la terre ferme.
— Se calmer.Dès que la rumination survient, il peut être bon d’occuper notre cerveau par autre chose. Pour que l’effet soit rapide, cela peut revenir à effectuer un exercice de respiration simple, comme d’expirer pendant cinq secondes, puis d’inspirer pendant encore cinq secondes, et ce plusieurs minutes durant, en restant soigneusement concentré sur notre seule respiration. Sinon, on peut envisager d’écouter de la musique, ou bien de faire un petit exercice physique nous forçant à focaliser sur nos mouvements.
— Revenir au moment présent. Ruminer, c’est se replonger dans son passé dans l’espoir de parvenir à changer son futur. D’où l’intérêt d’apprendre à revenir au moment présent, à ancrer son esprit dans l’ici et maintenant. Comment y parvenir? Par exemple, en pratiquant sur une base régulière l’exercice du contrôle de la réalité. Il s’agit de s’asseoir dans un endroit paisible et de prendre le temps de répertorier tout ce qui se trouve sous vos yeux, des choses les plus évidentes (un arbre, une voiture, etc.) aux plus infimes (le vent qui fait trembler les feuilles de l’arbre, la mouche qui se repose sur le pare-brise de la voiture, etc.). Mine de rien, cet exercice apprend à maîtriser ses pensées, à les amener à revenir à notre corps et à l’espace qui l’environne, ce qui est précieux dès lors que la rumination entend nous prendre.
— Positiver.De manière générale, il est toujours bon de savoir positiver, quelles que soient les difficultés que nous traversons. Cela peut s’apprendre, notamment à l’aide de petits exercices comme celui de faire une habitude de répertorier, en fin de journée, trois choses positives survenues depuis la matinée. Par exemple, ça peut être d’avoir donné un coup de main à une collègue, de s’être senti bien sur l’heure du lunch pris dehors lorsque le soleil est venu caresser notre visage et d’avoir réussi à répondre aux cinq courriels envoyés par des clients. Dresser cette liste à l’instant où l’on se met à ruminer peut permettre de nous changer les idées, et de passer à autre chose de plus positif.
Voilà, Younes. Ruminer n’avance à rien, mieux vaut apprendre à s’extraire de la petite roue et à retrouver son calme. La bonne nouvelle, comme vous venez de le constater, c’est que cela est tout à fait à la portée de chacun de nous.
En passant, l’écrivain français Bernard Weber a dit dans Le Jour des fourmis: «Le moment le plus important, c’est le présent; car si on ne s’occupe pas de son présent, on manque son futur».