Apprendre à l'apprivoiser... (Photo: Alex Radelich/Unsplash)
BLOGUE. Quand prendra donc fin cette foutue pandémie? Comment vais-je rebondir sur le plan professionnel? Demain nous sourit-il un beau jour, ou pas? Vous comme moi, nous baignons en pleine incertitude. Et nous manquons de prendre l’eau…
Le hic, c’est que l’ensemble des problèmes liés à la COVID-19 est gros, pour ne pas dire énorme. Pis, il nous est inconnu : de notre vivant, nous n’avons jamais eu à faire face à un tel paquet de problèmes. Oui, totalement inconnu. Si bien que nous n’avons pas la moindre idée de la meilleure manière de nous en sortir, tant individuellement que collectivement. L’expérience, dans le cas présent, ne peut pas nous servir de repère fiable. Malheureusement.
Alors, que faire? Improviser? Tâtonner, à coups d’essai-erreur? Se précipiter sans réfléchir vers la première lumière qui pointe à l’horizon?
La réponse saute aux yeux, même si elle ne nous charme pas d’emblée : pas d’autre choix que de nous fier à notre intuition. À cette petite voix qui nous susurre à l’oreille qu’il vaut mieux faire ci que ça. À ce qui échappe à la raison.
Bon. C’est bien beau de dire un truc pareil, pensez-vous sûrement, mais ça revient à quoi de dire qu’il faut se fier à son intuition. Et puis, c’est quoi, au juste, l’intuition?
OK. Vous avez là un point. Voilà pourquoi je vous invite à creuser ensemble le sujet, à regarder ce qu’est l’intuition et, surtout, la bonne façon d’en user.
Ça vous va? Parfait, c’est parti!
Henri Bergson est un philosophe français qui a beaucoup réfléchi sur l’entendement, c’est-à-dire sur les moyens que l’être humain a pour saisir le monde qui l’environne et celui qui l’habite. Ce qui l’a amené à se pencher sur l’intuition.
À ses yeux, l’intuition correspond à l’intersection entre l’intelligence et l’instinct, à ce qui unit les deux. L’intelligence, c’est pour lui ce qui nous permet de «faire des rapports entre les choses matérielles» (ex.: prenons l’objet «arbre» et l’objet «mètre à mesurer»; notre intelligence fait le rapport entre les deux, ce qui peut se traduire par le fait d’être capable de fabriquer des planches de 4×2). C’est ce qui nous permet de «saisir la matière», les choses concrètes. C’est ce qui nous permet de connaître.
L’instinct, c’est ce qui nous permet de reconnaître. C’est cette «pulsion vitale» qui nous permet de réagir adéquatement face à une situation inattendue, sans user de la moindre réflexion, de la moindre construction mentale. C’est ce qui nous permet de «faire des rapports avec les choses immatérielles», en puisant au plus profond de nous-mêmes (ex.: la réaction de fuir ou de combattre avec toute notre énergie lorsque jaillit un danger).
«Instinct et intelligence représentent donc deux solutions divergentes, également élégantes, d’un seul et même problème», note Bergson dans L’Évolution créatrice. Et l’intuition est la mince passerelle entre les deux : recourir à l’intuition, c’est «demander à la conscience de s’isoler du monde extérieur, et par un vigoureux effort d’abstraction, de redevenir elle-même», note-t-il dans Essai sur les données immédiates de la conscience. C’est recourir à «la sympathie qui nous permet de nous transporter à l’intérieur d’une chose pour coïncider avec ce qu’elle a d’unique, et par conséquent d’inexprimable», précise-t-il dans L’Évolution créatrice.
Bref, user d’intuition, ça revient à plonger à l’intérieur du problème rencontré, à identifier les accointances que nous avons avec lui, puis à nous servir de nos talents propres pour pouvoir le résoudre, d’une manière nécessairement inédite pour nous. À plonger à la fois dans la chose et dans nous-même, puis à refaire surface avec l’idée d’une solution aussi efficace qu’inédite, particulièrement difficile à exprimer tant elle est nouvelle pour nous.
Bon. Merci Bergson, nous voilà maintenant en terrain un peu plus sûr concernant l’intuition. Mais concrètement, comment peut-on s’en servir dans notre quotidien, en particulier au travail?
La chercheuse finlandaise Asta Raami analyse depuis une douzaine d’années le concept d’intuition et a récemment lancé un livre intitulé «Intuitio3» (Otava, 2020). Elle considère que l’intuition est le meilleur moyen de faire face à l’incertitude, voire à l’inconnu : «Personne n’a l’expérience de la bonne façon de lutter contre les changements climatiques, si bien qu’il nous faut nécessairement emprunter une voie inédite, une voie que seule l’intuition est à même d’identifier. Et cette voie, elle provient toujours du plus profond de notre être, de ce minuscule point où convergent savoirs et émotions», y indique-t-elle.
D’après elle, «l’intuition est un aperçu direct de la bonne solution». Mais ce qu’on ignore trop souvent – et c’est justement ce qui nous fait si souvent hésiter à l’écouter -, c’est que «l’intuition est un canal à double sens». Grâce à ce canal, il est possible d’envoyer et de recevoir des informations, explique-t-elle en substance. En mode intuitif, notre cerveau envoie une hypothèse et obtient un retour immédiat, lui indiquant si c’est là quelque chose d’intéressant a priori, ou pas; puis une autre hypothèse; puis une autre; puis encore une autre; etc. Jusqu’au moment où une «porte» s’ouvre, illuminant le problème d’une toute nouvelle lumière.
Concrètement, Mme Raami suggère de procéder en quatre temps lorsque nous souhaitons recourir à notre intuition:
1. Comprendre
L’intuition est d’une grande aide dans la vie de tous les jours, pourvu que nous comprenions ce qu’elle est au juste, estime la chercheuse finlandaise. (Ce que nous venons de faire grâce aux lumières de Bergson.)
2. S’ouvrir
L’intuition est une «capacité indisciplinée», ce qui est source de dangers : «Elle n’est pas la même chose que l’imagination, ou l’émotion; et la confondre avec l’une d’elles peut amener à commettre une erreur», note-t-elle.
L’important, c’est de s’ouvrir totalement à l’intuition, d’accepter ce qu’elle a à nous dire, même si cela ne nous plaît pas d’emblée. D’ailleurs, il existe nombre de «distorsions de l’intuition», comme la peur (ex.: «Quoi? Non, je ne vais jamais faire ça, c’est complètement fou!») et le regard des autres (ex.: «Quoi? Non, je ne vais jamais faire ça, que dirait mon boss?»).
D’où l’importance fondamentale de cette deuxième étape : s’ouvrir à l’intuition, c’est se retenir de juger, accueillir des informations inédites, et donc accepter de porter un regard neuf sur le problème considéré.
3. S’écouter
L’intuition ne s’exprime pas toujours clairement. C’est que la situation est si inédite qu’il n’existe pas encore de formulation claire pour énoncer ce qu’il en est et ce qui doit être fait.
En vérité, l’intuition s’exprime la plupart du temps par des «sensations corporelles». On la reconnaît par, entre autres, «des sensations abdominales», ou encore «des visions de couleurs froides». On la sent, sachant que cela s’accompagne souvent d’un «sentiment d’apaisement». Oui, «l’intuition nous fait du bien», résume Mme Raami.
À noter un point important à ce sujet, à savoir qu’on sent plus aisément ce que l’intuition nous dit «lorsque notre esprit est détendu». C’est pourquoi on l’entend fort souvent lorsque nous dormons, ou plutôt lorsque nous sommes dans un état entre le sommeil et l’éveil. Ou bien, lorsque nous sommes en train d’effectuer une tâche mécaniquement, le cerveau sur pause (ex.: en tricotant, en passant l’aspirateur,…).
4. Convertir
«L’intuition nous envoie des signaux faibles, il nous appartient de les convertir en un signal fort», indique Mme Raami. Cette conversion ne doit pas faire appel à un raisonnement poussé, bien au contraire, car ce réflexe que nous avons de tout raisonner est justement ce qui écrase et tue la petite voix de l’intuition. Elle doit découler du charme qui grandit en nous à mesure que nous l’écoutons et faisons taire notre intelligence si rationnelle.
Asta Raami a un exemple lumineux à cet égard… Prenons le cas d’un cadre qui doit recruter. Il fait passer un entretien d’embauche et ressent soudain, au plus profond de lui-même, que quelque chose ne va pas. Mais quoi? Il n’en a pas la moindre idée claire. Comment se doit-il de réagir, sachant que c’est l’intuition qui s’adresse à lui? C’est simple, il doit se laisser guider par ses sensations, ses impressions, pour poser des questions imprévues, en lien avec ce qu’il ressent, et permettre ainsi de voir plus clair dans le candidat, en particulier «ce qui ne va pas». Une erreur, ce serait de se contenter du «quelque chose ne va pas» pour rejeter le candidat sans hésiter, car ce n’est pas là une base suffisante pour prendre une telle décision. La bonne attitude, c’est justement de s’ouvrir à son intuition pour éclairer ensemble «ce qui ne va pas» : imaginons que ce soit simplement le stress intense du candidat, qui meurt d’envie d’occuper le poste qui est en jeu et qui croit que sa carrière s’effondrerait s’il ne l’emportait pas; ce serait dommage de passer à côté d’une telle personne – motivée et engagée – pour si peu…
Voilà. L’intuition, c’est pas si sorcier que ça, au fond. Faites l’effort de l’écouter davantage, un peu plus chaque jour, et vous verrez que vos choix n’en seront que meilleurs. C’est garanti!
En passant, l’écrivain français André Suarès a dit dans Dostoïevski : «L’intuition est une vue du coeur dans les ténèbres».
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