L'idée est somme toute assez simple: donner du feedback constructif. (Photo: Desola Lanre Ologun pour Unsplash)
MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. – «Je dois avouer que j’ai du mal à donner du feedback aux membres de l’équipe que je pilote. J’ai l’impression que dès que j’aborde un point négatif, ils prennent la mouche et n’écoutent pas ce que j’ai à leur dire. Et ils ne s’améliorent pas. Qu’est-ce que je fais qui n’est pas correct?» – Tyler
R. – Cher Tyler, j’ai mis la main sur une étude scientifique qui devrait vous intéresser, me semble-t-il. Laissez-moi vous en parler en détail, car elle met au jour une bonne façon d’aborder le feedback, cette nécessaire rétroaction dont chacun de nous a besoin pour pouvoir progresser.
Manasvini Singh est professeure d’économie de la santé à l’Université Carnegie Mellon, à Pittsburgh (États-Unis). Avec Jacob Zureich, professeur de comptabilité à l’Université Lehigh, à Bethlehem (États-Unis), elle a analysé différentes bases de données concernant le milieu médical américain, et en particulier celle qui a trait à l’évaluation de la performance des chirurgiens. Il se trouve que chacun d’eux reçoit individuellement un bulletin périodique qui leur indique s’ils sont dans le vert (bonne performance), dans le jaune (performance moyenne) ou dans le rouge (performance insuffisante). Plusieurs critères entrent alors en ligne de compte, à l’image de la rapidité à laquelle les patients se remettent de la chirurgie effectuée par le chirurgien en question.
Les deux chercheurs ont noté que la plupart des chirurgiens s’amélioraient à la suite de la réception de leur bulletin dans deux cas de figure: quand ils sont tout juste dans le vert (et donc, pas loin du jaune) et quand ils sont dans le jaune, mais tout près du vert (et donc, pas loin de passer dans le vert). L’amélioration est alors «considérable», se situant presque toujours dans une fourchette de 4,5 à 9,5 points de pourcentage, sur une échelle de notation allant de 0 à 100%.
À noter, par ailleurs, que dans tous les autres cas de figure, aucune amélioration notable ne suit la réception du bulletin. Et ce, même si le chirurgien se trouve dans le rouge! Pis, il arrive même que des chirurgiens dans le rouge voient leur note aller irrémédiablement en diminuant, bulletin après bulletin.
Autrement dit, «le feedback positif aide tandis que le feedback négatif nuit», concluent les deux chercheurs. Pourquoi ça? Ils émettent l’hypothèse que le feedback positif stimule, et pousse donc à s’améliorer, alors que le feedback négatif amène, lui, deux réactions de défense contre-productives: soit le chirurgien se démoralise, et baisse les bras; soit il protège son ego en refusant de reconnaître la pertinence du bulletin, et refuse d’en tenir compte, ce qui l’empêche de s’améliorer.
Ce n’est pas tout. En creusant davantage dans leurs données, les deux chercheurs ont relevé des points fort intéressants.
Le moteur de l’amélioration est, au fond, l’esprit de compétition. Le chirurgien tient avant tout à ne pas passer du vert au jaune, ou inversement à passer du jaune au vert, ce qui le motive à redoubler d’efforts. Quand il se trouve dans le jaune foncé ou carrément dans le rouge, rien ne le motive à s’améliorer car il resterait de toutes façons dans le jaune ou le rouge, l’esprit de compétition est éteint.
D’où l’intérêt, notent Manasvini Singh et Jacob Zureich, d’apporter des «commentaires constructifs» à ceux qui sont dans le jaune ou dans le rouge. La seule couleur démotive, en revanche, l’ajout d’«incitations explicites liées à l’amélioration» (par exemple, des encouragements, ou bien des suggestions concrètes de points à améliorer) peut permettre d’éviter les réactions de défense contre-productives. Une expérience en ce sens menée par les deux chercheurs montre que cela peut bel et bien avoir un impact positif, en insufflant la motivation nécessaire pour tenter de s’améliorer.
Idem, ils suggèrent de fournir des «informations qualitatives sur la façon d’interpréter le feedback», c’est-à-dire d’accompagner le bulletin d’explications détaillées sur la couleur obtenue. Par exemple, les raisons qui font pourquoi la note est plus basse que celle du bulletin précédent, ou bien ce que représente concrètement le passage du jaune au rouge. Car mieux comprendre la méthodologie et le barème utilisés peut permettre au chirurgien de mieux accepter la couleur obtenue, et par suite l’inciter à réfléchir à ce qu’il pourrait faire pour s’améliorer. Une fois de plus, cela pourrait suffire à éviter de sa part une réaction de défense contre-productive.
Voilà, Tyler. La clé, c’est de donner un feedback non pas négatif, mais un feedback constructif. Car cela permet d’éviter que la personne concernée ne se renferme dans sa coquille, et ne soit dès lors plus en mesure de s’améliorer. L’idée est simple: votre objectif premier doit être de dynamiser la motivation des uns et des autres, en nommant les difficultés à surmonter et, surtout, en identifiant ensemble des moyens concrets d’y parvenir. Vous vous devez de Comprendre, Conseiller et Soutenir, un peu à l’image d’un coach. Dès lors, vous enregistrerez sûrement des amélioration notables de la part des personnes concernées.