La promesse d'un gain en performance... (Photo: Wocintechchat pour Unsplash)
MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. – «Notre organisation attache une grand importance à la diversité et à l’inclusion, et cela se voit clairement dans les embauches de ces derniers temps. L’équipe que je dirige est elle-même multiethnique, les deux dernières recrues provenant du Maghreb. J’en tire une grande fierté. Mais voilà, pour être bien franc, j’ai noté une baisse de performance de mon équipe depuis qu’on se soucie vraiment de diversité et d’inclusion. J’ai aussi remarqué que la dynamique n’était plus pareille, en particulier que les «anciens» de l’équipe n’ont plus autant de plaisir à travailler qu’auparavant. Comment faire des étincelles tous ensemble?» – Gabriel
R. – Cher Gabriel, la différence est souvent source de réticences. Car elle dérange, déstabilise, voire stresse. Et le premier réflexe quand on est en situation de stress, c’est soit la fuite, soit l’agression; rarement l’accueil tout sourire, bras ouverts. Pour le réaliser, songez à nos ancêtres préhistoriques lorsqu’ils étaient subitement confrontés à l’inconnu: ils ont vite compris que lorsqu’ils croisaient le chemin d’un tigre à dents de sabre, mieux valait ne pas tenter de lui faire un gros câlin, mais plutôt observer en douce, ou bien vite prendre ses jambes à son cou.
La question est donc de savoir comment surmonter nos réticences spontanées face à la nouveauté, pour ne pas dire notre peur innée de la différence. Oui, comment passer de la méfiance à la confiance.
Sophie Calder-Wang est professeure d’économie à l’école de commerce Wharton, à Philadelphie (États-Unis). Avec deux autres chercheurs, Paul Gompers et Kevin Huang, elle a effectué une petite expérience auprès des étudiants en première année de MBA de la Harvard Business School (HBS), entre 2013 et 2016. Une expérience qui visait à explorer les liens éventuels entre diversité et performance.
Chaque année, les étudiants ont un semestre pour travailler en équipe de 5 à 7 membres sur un même projet: concevoir et lancer une start-up. Le projet est évalué par les professeurs et les mentors attribués à chaque équipe, à différentes étapes du processus. L’addition des notes ainsi obtenues permet d’établir un classement général final, et donc de proclamer l’équipe gagnante.
Ce que les étudiants ne savaient pas, c’est qu’ils ont servi par la même occasion de cobayes à l’expérience de Sophie Calder-Wang. Parfois, les étudiants ont pu composer les équipes à leur guise. D’autres, un algorithme a concocté les équipes à la place des étudiants, en veillant à ce que celles-ci affichent une belle diversité (sexe, origine ethnique, etc.).
Résultats? Lorsque les étudiants ont été libres de leurs choix, ils ont souvent eu tendance à l’homophilie, c’est-à-dire à s’assembler avec ceux qui leurs ressemblent (diplôme obtenu à la même université, travail dans la même industrie, etc.). Plus encore, ils ont eu le réflexe de s’unir à leurs semblables (même origine ethnique, même sexe, etc.). Ce qui confirme la biais que nous avons tous de prioriser le même au détriment du différent.
Lorsque l’algorithme a composé les équipes, la diversité a «considérablement» nui à la performance des équipes. Par exemple, la diversité ethnique a fait baisser les notes d’en général 18%. Autre exemple: la diversité éducative, de 5%. «Les équipes dont les membres partageaient à la fois l’ethnicité et le sexe ont obtenu les meilleurs résultats», est-il noté dans l’étude.
Est-ce à dire que la diversité nuit toujours à la performance d’une équipe de travail? Non, mille fois non. C’est plus subtil que ça.
Il se trouve en effet que lorsque les étudiants ont été libres de former leur propre équipe et que celle-ci s’est révélée diversifiée, la performance de l’équipe en a été boostée de 60% par rapport à celle dont la diversité a été forgée par l’algorithme. Ce qui montre que faire rimer diversité et efficacité est possible, mais à condition que la diversité ne soit pas forcée, mais bel et bien désirée.
Autrement dit, pour que la greffe d’un élément différent à l’équipe en place se révèle fructueuse, il est impératif que la diversité soit voulue par l’équpe elle-même. Il ne faut surtout pas qu’elle soit imposée par la haute-direction, notamment au prétexte que c’est «la tendance de l’heure» ou «politiquement correct».
Voilà pourquoi, mon cher Gabriel, il vous faut à présent effectuer trouver le moyen de rapprocher les membres de votre équipe actuelle, d’amener chacun à vraiment s’intéresser aux autres, à tous les autres. Cela peut notamment passer par l’organisation de repas d’équipe communautaire, chacun préparant un plat de son pays et le faisant découvrir aux autres. Ou encore, par une nouvelle répartition des tâches, à effectuer désormais en binômes, histoire de faire découvrir à chacun les talents des uns et des autres. À vous de voir ce qui sera le plus approprié pour vous.
En passant, le sage chinois Confucius disait: «La nature fait les hommes semblables, la vie les rend différents».