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Comment licencier sans heurts?

Olivier Schmouker|Publié le 17 octobre 2024

Comment licencier sans heurts?

Différents trucs permettent de s'y prendre avec humanité. (Photo: Vitaly Gariev pour Unsplash)

Q. — «L’inflation a certes diminué, mais la reprise économique ne se fait toujours pas sentir. Les affaires de ma PME ne tournent pas comme elles le devraient, et il me faut me résoudre à licencier. Comment m’y prendre au mieux, sachant que cette décision me déchire le cœur?» – Juliette

R. — Chère Juliette, il est clair que remercier des employés n’est jamais chose aisée. On sait qu’on va non seulement bousculer des vies humaines, mais aussi perturber le fonctionnement habituel de l’organisation. Chacun va ressentir l’impact de ce vaste changement, et personne ne peut savoir d’avance quelles en seront les véritables conséquences, individuelles comme collectives.

D’où l’intérêt de faire preuve d’empathie, considère Emma Seppälä, professeure de management à l’université Yale, à New Haven (États-Unis). «En traitant les employés avec humanité et en leur fournissant un soutien complet, tant pour ceux qui s’en vont que pour ceux qui restent, les dirigeants d’entreprise peuvent non seulement atténuer les effets négatifs des licenciements, mais aussi renforcer leur réputation d’employeurs attentionnés et responsables», dit-elle dans un récent billet de blogue.

Emma Seppälä s’est récemment plongée dans la lecture de nombreuses études scientifiques sur le sujet, menées par Kim Cameron, professeur de management de l’Université du Michigan, et d’autres, et elle en a retiré de nombreux enseignements. À commencer par les profondes répercussions – souvent insoupçonnées, à tout le moins négligées – qu’une vague de licenciements peut avoir sur une organisation:

– Les licenciements entraînent souvent une diminution de la confiance et de la loyauté des clients envers l’entreprise. De fait, le départ d’employés qui avaient su nouer et entretenir de bons liens avec la clientèle peut être mal vécu par celle-ci. 

– Ils donnent souvent un méchant coup à la cohésion des équipes: le flux de travail est perturbé, certains employés se retrouvent dès lors avec une surcharge de travail ou de nouvelles tâches à assumer, ce qui est inévitablement source de tensions entre les uns et les autres. 

– Ils peuvent également créer un sentiment d’insécurité, chacun se demandant s’il ne sera pas sur la prochaine liste des employés remerciés. En conséquence, le réflexe est souvent de faire profil bas, de ne pas prendre le risque de proposer des idées neuves, si bien que l’innovation de l’entreprise en prend pour son rhume.

– Le départ d’employés expérimentés entraîne une perte de connaissances précieuses, ce qui peut nuire à la capacité de l’entreprise à gérer des défis inattendus. 

– Toutes ces perturbations peuvent entraîner une baisse globale de la productivité et un affaiblissement de la culture organisationnelle, ce qui peut mener à une aggravation des effets négatifs de la vague de licenciements.

«Les coûts globaux de la gestion des licenciements peuvent dépasser les avantages financiers escomptés, et l’instabilité qui en résulte peut parfois nuire à la prospérité de l’entreprise», note-t-elle. 

Comment, donc, éviter que l’opération ne tourne au cauchemar? Toujours en s’appuyant sur les études scientifiques, Emma Seppälä préconise d’envisager différentes stratégies.

– Faites preuve de tact. Ne faites pas comme Google, qui a déjà envoyé un courriel commun à tous les employés concernés pour les aviser de leur licenciement et qui a même bloqué les cartes d’accès au bureau pour ceux qui n’ont pas eu le courriel commun à temps. Assurez-vous plutôt que la nouvelle est annoncée par une personne qui a une relation existante avec l’employé. Il peut s’agir d’un responsable direct ou d’un cadre supérieur qui peut fournir un contexte, reconnaître les contributions de l’employé et donner de l’aide lorsque c’est possible, par exemple en le référant à un autre employeur potentiel.

– Offrez un soutien concret. Mettez en place des mécanismes de soutien efficaces, notamment une indemnité de départ rapide et équitable, un accès aux offres d’emploi internes et des services de reclassement externes. Pour les employés titulaires d’un visa de travail, fournissez des conseils sur leurs options et les exigences légales les concernant.

Adoptez une vision globale. Considérez qu’il faut désormais vous occuper non seulement des employés qui s’en vont, mais aussi des employés qui demeurent en place. Le personnel qui part doit recevoir des indemnités de départ complètes et des conseils de carrière. Quant à ceux qui restent, ils ont besoin d’être rassurés, d’une communication ouverte sur les raisons des licenciements et de ressources pour les aider à faire face à l’inévitable transition qui s’en vient (nouvelles tâches à assumer, nouvelle façon de fonctionner en équipe, etc.).

– Soyez transparent et honnête. Expliquez clairement à tous ceux qui restent les raisons qui ont motivé votre décision afin de minimiser les rumeurs et de préserver la confiance. Dans la mesure du possible, annoncez la nouvelle en personne ou par appel vidéo plutôt que par des canaux impersonnels. Concluez votre intervention par un message positif et motivant, en veillant à ce que chacun se sente valorisé et en sécurité. 

Voilà, Juliette. Licencier n’est pas facile, mais il y a bel et bien moyen de s’y prendre avec humanité, en prenant soin de ceux qui partent comme de ceux qui restent. L’important, comme vous l’indiquez, est que personne n’ait le cœur déchiré, à tout le moins, pas de manière durable. 

En passant, le dramaturge français Sacha Guitry a dit dans «Quadrille»: «Se séparer, ce n’est pas quitter quelqu’un, c’est se quitter tous les deux».