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Comment lutter contre la xénophobie (en politique et au travail)?

L'économie en version corsée|Publié le 04 juin 2020

Comment lutter contre la xénophobie (en politique et au travail)?

Souligner la différence pour créer une souffrance. (Photo: Mwangi Gatheca/Unsplash)

CHRONIQUE. La xénophobie. Tel est l’un des maux les plus insidieux dont souffrent nos sociétés, ces temps-ci. Avec l’Amérique à feu et à sang depuis l’homicide par un policier blanc de l’Afro-américain George Floyd à Minneapolis. Avec la multiplication des actes racistes et des agressions physiques ciblant les Asiatiques depuis le début de la pandémie de COVID-19, comme l’a publiquement dénoncé en mai l’organisme Human Rights Watch. Ou encore avec des lois occidentales interdisant le port de certaines étoffes lorsqu’on oeuvre en première ligne dans l’administration publique, et rejetant par le fait même des citoyens modèles du coeur de la société.

Oui, la xénophobie. Cette peur de la différence. Cette peur qui crée tant de souffrances.

La question saute aux yeux : que pourrions-nous entreprendre pour la faire disparaître? Ou à tout le moins, pour l’atténuer considérablement?

On pourrait croire que c’est là chose digne d’un «Mission: Impossible», tant en politique qu’au travail. En vérité, il se pourrait bien qu’on puisse réellement y parvenir, à condition de faire preuve de subtilité. Explication.

L’expérience a été menée en mai, aux États-Unis. Il a été demandé à un échantillon représentatif de 1.121 Républicains de dire s’ils étaient d’accord, ou pas, avec une déclaration simple, sachant que leur opinion personnelle serait ensuite communiquée à l’ensemble de la communauté dans laquelle ils vivent:

– Pour la moitié d’entre eux, la déclaration était : «Je soutiens une interdiction permanente de l’immigration mexicaine pour protéger les États-Unis contre les maladies contagieuses, telles que le coronavirus». Ils ont été 51% à se dire en accord avec cette déclaration et à être prêts à ce que tout le monde le sache.

– Pour l’autre moitié, la déclaration était : «Je soutiens une interdiction permanente de l’immigration mexicaine». Là, ils ont été 32% à se dire en accord avec cette déclaration et à être prêts à ce que tout le monde le sache.

Que note-t-on? Que la simple justification de la déclaration – «pour protéger les États-Unis contre les maladies contagieuses, telles que le coronavirus» – suffit à faire passer le soutien de celle-ci de 32% à 51%. Un bond prodigieux de 19 points de pourcentage.

Comment expliquer un tel phénomène? C’est ce qu’ont voulu découvrir les quatre chercheurs à l’origine de cette petite expérience : Leonardo Bursztyn, professeur d’économie à l’Université de Chicago (États-Unis); Ingar Haaland, postdoctorant en économie à l’Université de Bergen (Norvège); Aakaash Rao, doctorant en économie à l’Université Harvard à Cambridge (États-Unis); et Christopher Roth, professeur d’économie à l’Université de Warwick à Coventry (Grande-Bretagne). Dans leur étude intitulée «I have nothing against them, but…», ils ont ainsi procédé à deux autres expériences complémentaires:

Dans le cadre de la première, ils ont invité un échantillon représentatif de 3.728 Républicains et indépendants à faire un don de 1$ à Fund The Wall, un organisme qui vise à financer le projet de mur de Donald Trump entre les États-Unis et le Mexique. Et ce, après avoir lu le résumé d’une étude datant de 2018 montrant qu’en Arizona les immigrants sans papier commettaient proportionnellement davantage de délits que les natifs américains.

Une fois de plus, les participants ont été répartis en deux groupes égaux : d’une part, ceux dont la décision serait rendue publique avec une justification – en l’occurrence, la mention que ce don avait été effectué «parce que les immigrants sans papier commettent davantage de délits que les autres»; d’autre part, ceux dont la décision serait rendue publique sans aucune justification.

Résultat? Là encore, la justification fait toute une différence, surtout lorsque la personne concernée sait que la communauté dans laquelle elle vit verra son don d’un mauvais oeil (par exemple, une communauté où les Démocrates sont majoritaires).

Dans le cadre de la seconde, les quatre chercheurs ont demandé à un échantillon représentatif de 3.047 Démocrates de donner leur opinion à propos des donneurs de la première expérience. Il en ressort que:

– Crédulité. Ceux qui ont une justification paraissent comme des gens surtout crédules, gobant aisément n’importe quelle idée, y compris des idées xénophobes.

– Xénophobie. Ceux qui n’ont pas de justification paraissent comme des gens surtout xénophobes, en l’occurrence imprégnés d’idées anti-immigration.

Autrement dit, il suffit de l’énonciation d’une justification pour que des gens se mettent à exprimer publiquement leur xénophobie. Car le «coût social» lié à l’affichage de telles opinions en est alors automatiquement atténué : au pis, on passe pour quelqu’un d’influençable, pour quelqu’un qui se laisse facilement convaincre de tout et de rien; et au fond, pour ce que nous sommes tous, plus ou moins (il suffit de voir combien chacun de nous est sensible aux messages publicitaires, suffisamment puissants pour nous faire choisir telle marque de voiture plutôt qu’une autre, ou encore telle marque de céréales plutôt qu’une autre).

Or, cette justification, elle est plus accessible que jamais, de nos jours : quand ce n’est pas une fake news largement diffusée sur les médias sociaux, c’est le tweet incendiaire d’un président qui le fournit sur une base quotidienne.

«Ce flux continuel de justifications xénophobes crée une «fonds commun» de logiques d’opposition aux minorités dans lequel quiconque peut puiser allègrement. Et par suite, il favorise l’apparition de propos et même d’actes xénophobes, même si la communauté dans laquelle ceux-ci s’expriment leur est globalement défavorable», notent les quatre chercheurs dans leur étude.

Prenons un exemple concret… Imaginons que des Américains s’opposent à l’immigration en provenance du Mexique simplement parce qu’elles n’aiment pas les Mexicains de façon générale, mais ne peuvent exprimer cette opposition en raison du coût social que cela entraînerait. Une fois qu’une justification anti-mexicaine devient de notoriété publique (ex.: un président prétend que les immigrants mexicains introduisent le crime dans le pays), ces Américains jouissent dès lors d’une excuse : ils peuvent attribuer leur position à la croyance que les immigrants mexicains sont des criminels en puissance, l’afficher publiquement sans vergogne, et dans le pire des cas, passer pour des personnes influençables; mieux, confrontés à un contradicteur, ils peuvent alors mettre l’accent sur leur préoccupation profonde concernant la criminalité, une préoccupation commune à à peu près tout le monde, y compris leur contradicteur, ce qui peut leur permettre de «noyer le poisson».

«Tout cela montre l’importance insoupçonnée du «fonds commun», lequel fournit des explications autres que l’intolérance et la xénophobie aux positions anti-mexicaines, indiquent les quatre chercheurs. Ce fonds permet aux xénophobes d’argumenter sur d’autres points que leur simple xénophobie, de tourner autour du pot à miel sans risquer de tomber dedans et de s’y engluer. Et ce, peu importe que la discussion permette de convaincre l’interlocuteur, ou pas, car l’important pour le xénophobe est de pouvoir s’afficher en public à l’aide, au besoin, d’excuses plausibles.»

Et ça marche! Souvenez-vous de Donald Trump en 2016, de sa campagne présidentielle axée sur l’immigration mexicaine associée, à ses yeux, à des crimes violents. Cette justification lui a permis, une fois élu, de poursuivre une politique anti-immigration agressive, tout en maintenant un déni plausible sur sa motivation profonde. Résultat : un sondage mené en 2019 a mis au jour le fait que 49% des Amércains considéraient que le président était motivé par «un intérêt sincère de contrôler les frontières», et seulement 41%, par «des croyances racistes».

Alors? Comment lutter efficacement contre la xénophobie, en politique comme au travail? Voici ce qu’en disent les quatre chercheurs, à la lumière des résultats de leur étude…

Pour expliciter leur idée originale, ils considèrent le phénomène des fake news, ce vivier de logiques d’opposition aux minorités. Ils estiment que celles-ci sont à présent si virulentes qu’il est devenu presque inutile de tenter de contredire un xénophobe à l’aide d’arguments solides et raisonnables. Car celui-ci peut aisément rebondir de fake news en fake news pour éviter d’être coincé et épinglé par le moindre fait vérifié et vérifiable. Bref, le travail de «vérification des faits» – largement entrepris par nombre de médias sérieux, ces derniers temps – n’a, en vérité, guère d’utilité, car guère d’efficacité. Il ne suffit pas. Il faut impérativement aller au-delà.

Que faire de plus, donc? Il convient, selon les quatre chercheurs, de s’en prendre directement aux utilisateurs du «fonds commun» de logiques d’opposition aux minorités. Les médias sociaux tels que Facebook savent quelles sont les personnes habituées à puiser dedans – elles le savent par ce qu’elles consultent comme posts, par ce qu’elles relaient comme posts, par ce qu’elles commentent comme posts, etc. -, si bien qu’il leur est techniquement possible – grâce à l’intelligence artificielle (IA) – d’envoyer un message personnalisé dès que l’une de ces personnes se met à rédiger en ligne quelque chose de xénophobe, ou s’en approchant grandement. Ce message pourrait être le suivant : «Sachez que toutes les personnes qui consulteront votre message verront systématiquement apparaître la mention suivante : «Avertissement. L’auteur de ce post a été prévenu que le contenu de son message avait été signalé comme faux ou trompeur, avant même qu’il ne le mette en ligne.»

«Un tel message, pourvu qu’il soit systématique, aurait un impact considérable sur les propagateurs d’opinions xénophobes, selon notre étude, disent les quatre chercheurs. Car, se sachant décrédibilisés et dans l’incapacité de «noyer le poisson» grâce à des «excuses plausibles», nombre d’entre eux s’abstiendraient purement et simplement.»

Un signe ne trompe pas, survenu après la publication de l’étude : le jour où Twitter a publiquement signalé un tweet de Donald Trump comme «faux et trompeur», celui-ci est entré dans une colère noire, oui, une rage folle qui l’a poussé à signer un décret visant à affaiblir tous les médias sociaux américains. Par pure vengeance.

Comme quoi, décrédibiliser automatiquement et systématiquement tous ceux qui puisent dans le «fonds commun» de logiques d’opposition aux minorités est bel et bien une approche qui peut se révéler efficace. L’idée n’est pas juste d’argumenter avec le xénophobe, à coups de faits étayés, mais d’aller plus loin encore, en signalant à tout le monde que la personne en question est une utilisatrice à répétition de propos «faux et trompeurs», preuves à l’appui. Car cela lui coupe l’herbe sous le pied, l’empêche de recourir au «fonds commun» de logiques d’opposition aux minorités pour avancer ses propos «ambigus» : contrainte de ne présenter aux autres que des propos xénophobes dénués de la moindre «justification», elle se sentira à la fois démunie et ridicule, et elle s’abstiendra.

Subtil, n’est-ce pas? Maintenant, comment appliquer une telle approche en dehors des médias sociaux? Dans la vie quotidienne, et en particulier au travail? (Car – soyons honnêtes – il y en a aussi de la xénophobie au travail, ne serait-ce qu’à coups de blagues sexistes, voire carrément homophobes, ou encore à coups de CV écartés parce que le recruteur ne parvient pas à prononcer le nom du candidat à l’embauche…)

C’est assez simple, me semble-t-il:

– Chaque fois qu’un propos «ambigu» est émis par quelqu’un, vous vous devez de le lui signaler. Et de le décortiquer tranquillement avec lui : d’une part, le bout de phrase qui correspond à l’excuse plausible (ex.: «pour protéger les États-Unis contre les maladies contagieuses, telles que le coronavirus»); d’autre part, le bout de phrase qui correspond au propos xénophobe (ex.: «Je soutiens une interdiction permanente de l’immigration mexicaine»).

– Puis, vous vous devez de lui indiquer que l’excuse plausible provient d’un «fonds commun» de logiques d’opposition aux minorités (ex.: «C’est ce qu’avance Donald Trump sur Twitter, sans jamais présenter la preuve vérifiée et vérifiable de ce qu’il avance (absence de tout lien vers une étude scientifique démontrant la véracité du propos)). Et que ce fonds-là n’est pas fiable, qu’il ne peut aucunement servir à appuyer une affirmation.

– Enfin, vous vous devez de lui indiquer que le seul bout de sa phrase qui reste, c’est celui qui concerne le propos xénophobe. Et que ce dernier, de toute évidence, n’est pas recevable.

La clé, c’est de ne surtout pas s’en prendre à la personne, mais à son propos. Et de décortiquer ce dernier, avec calme et précision, devant tout le monde. La personne ainsi coincée et épinglée ne passera pas alors pour quelqu’un de xénophobe, mais pour quelqu’un d’influençable; ce qui lui donnera l’occasion de saisir son erreur, et même – qui sait? – de commencer à voir les choses autrement.

L’important, je le souligne, c’est d’en faire une pratique systématique. De ne jamais laisser passer un seul propos «ambigu». Jamais. Car c’est seulement ainsi que les opinions évolueront, même si c’est petit à petit.

En passant, l’humoriste français Raymond Devos disait : «J’ai un ami qui est xénophobe. Il déteste à tel point les étrangers que lorsqu’il va dans leur pays, il ne peut pas se supporter!»

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