Certains adorent, d'autres détestent et d'autres encore sont mitigés concernant le télétravail. (Photo: Good Faces pour Unsplash)
MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. – «Je suis partagée concernant l’intérêt du télétravail. D’un côté, j’apprécie le fait qu’il me permet de concilier vie pro et vie perso et qu’il me sauve un temps fou en transport. Mais de l’autre, je souffre d’être alors coupée de mes collègues: j’ai besoin de les voir et de jaser avec eux pour me sentir bien, je suis comme ça. Y aurait-il moyen de rendre mes journées de télétravail plus agréables à vivre?» – Roxanne
R. – Chère Roxanne, vous mettez le doigt sur un problème épineux concernant le télétravail, à savoir le fait que tout le monde ne le vit pas de la même façon. Certains adorent, d’autres détestent et d’autres encore, comme vous, sont mitigés. La bonne nouvelle, c’est qu’il y a bel et bien moyen d’aider chacun à vivre le télétravail au mieux, quelle que soit son appréciation actuelle de cette façon de travailler. Explication.
Heba Abdel-Rahim est professeure de comptabilité à l’Université de Toledo, aux États-Unis. Avec son doctorant Akram Khattab et Dana Hollie, professeure de comptabilité à l’Université d’État de Louisiane, à Bâton Rouge (États-Unis), elle a considéré la théorie de l’autodétermination pour voir si celle-ci pouvait permettre de comprendre pourquoi certains apprécient plus que les autres le télétravail.
Qu’est-ce que la théorie de l’autodétermination? Elle s’intéresse à ce qui pousse l’être humain à faire certains choix plutôt que d’autres, en particulier en fonction de ses traits de personnalité. Elle considère notamment que nous pouvons agir en fonction de notre motivation intrinsèque (nous effectuons l’activité en question parce qu’elle nous procure une satisfaction en elle-même) ainsi qu’en fonction de notre motivation extrinsèque (nous effectuons l’activité en question parce qu’elle nous permet de décrocher une récompense externe, comme une prime).
Bref, la théorie de l’autodétermination traite de ce qui nous motive vraiment à faire telle ou telle chose, par exemple à faire du télétravail.
Donc, les trois chercheurs ont considéré deux profils de gens. D’une part, les extravertis; d’autre part, les introvertis. Et ils ont noté qu’en général les extravertis ont des besoins plus élevés en matière de relations interpersonnelles, tandis que les introvertis ont des besoins plus élevés en matière d’autonomie.
Que se passe-t-il pour ces deux catégories de personnes lorsqu’elles télétravaillent?
– Négatif pour les extravertis. En général, les extravertis voient leur motivation intrinsèque diminuer lorsqu’ils télétravaillent. Sauf dans un cas de figure particulier, à savoir lorsqu’ils sont en visioconférence: ils sont alors en contact avec les autres, et se sentent bien (cela répond à leur besoin de relations interpersonnelles).
– Positif pour les introvertis. En général, les introvertis voient leur motivation intrinsèque augmenter lorsqu’ils télétravaillent: le simple fait d’être dans leur bulle personnelle les fait se sentir bien, car cela assouvit leur besoin d’autonomie. Sauf dans un cas de figure particulier, à savoir lorsqu’ils sont en visioconférence: ils ressentent alors la pression des autres peser sur leurs épaules.
À noter un point important concernant les introvertis. Les trois chercheurs ont mis au jour le fait que plus les introvertis ont d’expérience professionnelle, plus ils parviennent à nourrir leur motivation intrinsèque lorsqu’ils sont en visioconférence, et donc à relativement bien vivre les réunions Zoom. Cela s’explique assez aisément: leur expérience professionnelle leur permet de saisir que les visioconférences sont une bonne occasion d’assouvir leur besoin de compétence (montrer aux autres qu’on est capable de mener à bien les tâches qui nous sont confiées), et assouvir ce besoin-là permet de gonfler sa motivation intrinsèque.
Autrement dit, il y a moyen d’aider chacun à mieux vivre le télétravail:
– Pour les extravertis, il convient de multiplier les visioconférences et autres coups de fil. Même si c’est juste pour socialiser cinq ou 10 minutes. Un boss a donc tout intérêt à leur fixer des petits points de rendez-vous lors des journées de télétravail, voire à proposer de temps à autre des 5@7 et autres apéros virtuels auxquels chacun est libre de participer, ou pas (les extravertis diront tout de suite oui, les introvertis se feront hésitants, ou diront non merci).
– Pour les introvertis, mieux vaut leur lâcher la bride lorsqu’ils télétravaillent. Ils se sentiront parfaitement bien de travailler tout seuls dans leur coin, en sachant, bien entendu, qu’ils peuvent contacter n’importe quel collègue à tout moment, si jamais ils ont besoin d’une information ou d’un petit coup de main. Les plus expérimentés d’entre eux sauront surmonter leur réticence à participer à une visioconférence, ils s’y plieront pour le bienfait de la communication au sein de l’équipe, même si cela ne sera pas le meilleur moment de la journée. Quant aux moins expérimentés, ils jubileront si jamais leur boss leur dit par courriel: «Écoute, si tu es trop chargé aujourd’hui, tu es dispensé de Zoom aujourd’hui. Je te ferais un résumé demain matin au bureau, et tu me diras ce que tu en penses.»
On le voit bien, il revient au boss d’adapter son style de gestion à la personnalité des membres de son équipe lorsqu’il est question de télétravail. Fort heureusement, il ne s’agit pas d’une difficulté insurmontable: l’effort d’adaptation est, me semble-t-il, à la portée de tout leader digne de ce nom.
Voilà, Roxanne. Vous me semblez extravertie, ce qui explique pourquoi vous êtes mitigée quant à l’intérêt du télétravail. Ma suggestion pour vous: multipliez les points de contact avec vos collègues, tant que ça leur convient. Y compris pour jaser de tout et de rien, un peu comme vous le faites sûrement au bureau. Mais attention à ne pas trop solliciter vos collègues introvertis, car ça les mettrait dans une position difficile: ils préfèrent vous voir en personne au bureau, et être tranquilles chez eux lorsqu’ils télétravaillent.