MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. — «C’est pénible, les gens n’arrêtent pas de terminer mes phrases ou de rebondir sur mon idée avant que je finisse de l’exprimer complètement. Ce sont surtout les gars qui font ça. Surtout en réunion. Y a-t-il un truc pour mettre fin à ça?» – Joanny
R. — Chère Joanny, il se peut fort bien que vous soyez victime d’un phénomène identifié il y a dix ans par Jessica Bennett, chroniqueuse au New York Times et au Time Magazine, sous le terme de «manterrupting» (contraction de «man» et «interrupting»). Ce phénomène veut que les hommes ont tendance à couper la parole aux femmes lors d’une discussion, en particulier au travail. Et il est corroboré par nombre d’études, à l’image d’une issue de l’Université George Washington, à Washington, qui a révélé que les hommes interrompaient leurs collègues 33% plus souvent lorsqu’ils parlaient avec des femmes que lorsqu’ils parlaient avec d’autres hommes.
Une méta-analyse de 43 études menée en 1998 a mis au jour le fait que les hommes interrompent la parole «surtout pour disqualifier», et «parfois valider», le propos d’autrui. Et que lorsque les femmes le font, les rares fois où cela leur arrive, c’est plutôt pour «compléter une information» ou bien pour «encourager, remercier ou soutenir». Autrement dit, l’intervention masculine est plutôt négative tandis que l’intervention féminine est, elle, plutôt positive. Ce qui explique pourquoi se faire couper la parole peut être dur à vivre pour une femme.
D’où votre légitime interrogation, Joanny: que faire lorsqu’on est injustement interrompu, en particulier en réunion? S’indigner? Répliquer vertement? Laisser faire?
Joel Schwartzberg est coach en prise de parole en public et auteur du livre «Get to the Point! Sharpen Your Message and Make Your Words Matter». Voici ses trois recommandations:
- Terminez diplomatiquement votre propos
Vous étiez en train de parler, en réunion en personne ou en Zoom, et quelqu’un vous a interrompu. Cette personne s’est ainsi arrogé un droit qu’elle n’avait pas, que vous ne lui aviez pas accordé. Vous avez donc parfaitement le droit de terminer votre propos.
Pour ce faire, attendez que la personne termine sa phrase, puis reprenez aussitôt la parole à l’aide d’une tournure de phrase subtile, du genre:
– «J’aimerais juste terminer ce que je disais pour m’assurer d’avoir été claire (…)»
– «Merci, Bastien. Pour terminer mon propos, j’aimerais dire (…)»
– «Il y a un point dont je veux m’assurer qu’il est bien compris de tous (…)»
- Ne le prenez pas personnel
Une erreur de communication serait de réagir à l’interruption comme à une provocation. En reprenant la parole, ne cherchez donc pas à vous venger, à lancer une pique, à entrer dans un débat. Cherchez plutôt à présenter votre idée de manière claire et concise.
Voilà pourquoi il ne faut pas reprendre la parole à l’aide de tournures de phrases comme «Avant d’être grossièrement interrompue (…)». Mieux vaut rester respectueux envers la personne qui vous a coupé la parole, car c’est ainsi qu’on gagne en leadership auprès des autres.
- Ne sous-estimez pas les microagressions
Si les interruptions se produisent de manière répétée de la part d’une même personne ou d’une même catégorie de personnes, il peut bel et bien s’agir là d’une microagression. C’est-à-dire d’une intervention répétée et déplacée ayant pour conséquence d’être ressentie par la personne ciblée comme une marque d’hostilité ou de rejet.
Le cas échéant, il convient de régler ce problème sans tarder. Par exemple, en en parlant avec un responsable des ressources humaines, sinon avec un boss.
Bref, Joanny, il ne faut pas négliger les interruptions de parole, surtout lorsqu’elles se produisent de manière répétée. Il convient de systématiquement reprendre la parole, sans se fâcher pour autant avec quiconque. Car il ne faut jamais oublier que prendre la parole fait partie de notre travail, et que rien n’autorise un collègue de nous brimer dans notre travail. Que chacun de nous est qualifié pour partager ses idées ou les informations dont il dispose, et donc que personne n’a le droit de nous empêcher de le faire.
En passant, l’écrivaine belge Amélie Nothomb a dit dans «Mercure»: «La parole émancipe».