Mine de rien, des employés "fatigués" par leur travail sont une vraie plaie pour l'organisation toute entière, selon une étude de McKinsey. (Photo: Sander Sammy pour Unsplash)
MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. – «Je ne sais pas à quoi ça tient, mais j’ai l’impression que les employés de notre PME sont de moins en moins engagés envers leur travail. Ça traîne des pieds, ça soupire. Y a-t-il un truc pour leur redonner le cœur à l’ouvrage?» – Pierre-Olivier
R. – Cher Pierre-Olivier, si cela peut vous soulager, sachez que votre PME n’est pas l’exception qui confirme la règle: le désengagement des employés est de nos jours un phénomène majeur. J’en veux pour preuve un récent sondage mené en Amérique du Nord par le cabinet-conseil en stratégie McKinsey qui met au jour le fait que plus de la moitié des travailleurs ne se sentent pas engagés dans leur travail:
– 10% des travailleurs sont des démissionnaires. Ils sont tellement désengagés qu’ils sont sur le point de démissionner: ils font le strict minimum au travail et recherchent activement une autre job ailleurs.
– 12% sont des perturbateurs. Ils ressentent une faible satisfaction au travail et affichent un faible engagement: leur performance est tout aussi faible, mais pis, ils pompent l’énergie des autres en ce sens qu’ils leur laissent faire le gros du travail et que leur attitude plombe le moral de ceux qui les entourent.
– 33,5% sont des “moutons”. Leurs niveaux de satisfaction et d’engagement sont en dessous de la moyenne: ils font la job, sans plus et, surtout, sans chercher à en faire plus. En gros, ils se contentent de suivre le mouvement, sans rien dire. Et mine de rien, cela nuit grandement à la productivité de l’organisation.
Bref, ce n’est pas la joie au travail, en tout cas pour plus de la moitié des travailleurs.
La question saute aux yeux: qu’est-ce qui ne va pas? L’étude de McKinsey s’est, bien entendu, penchée sur ce point. Il en ressort que le désengagement des travailleurs résulte pour l’essentiel de six facteurs.
– Rémunération inadéquate. Les travailleurs estiment qu’ils sont sous-payés, ce qui les amène à sous-performer et à se sous-engager. Ce facteur explique à lui seul 12% du désengagement global.
– Manque de sens (12%). Leur quotidien au travail ne fait aucun sens à leurs yeux. Cela les amène à considérer que leur travail est inutile.
– Manque de flexibilité (11%). Les travailleurs aimeraient pouvoir mieux concilier vie pro et vie perso, à tout le moins pouvoir disposer d’une certaine souplesse dans leur gestion du quotidien (horaires, lieux de travail, etc.).
– Manque de possibilités d’évolution de carrière (10%). Ils aimeraient bénéficier, par exemple, d’un plan de carrière au sein de l’organisation, à tout le moins de la possibilité de suivre des programmes de formation susceptibles de les aider à faire progresser leur carrière.
– Manque de soutien (9%). Ils trouvent que leur gestionnaire immédiat ne les comprend, ne les conseille et ne les soutient pas assez. Ils déplorent le fait qu’il se contente de les commander et de les contrôler. Et si ce manque de soutien ne vient pas du gestionnaire immédiat, il vient alors des cadres supérieurs, voire de la haute direction.
– Sentiment d’insécurité (9%). Ils ne se sentent pas en sécurité sur leur lieu de travail, sur le plan physique ou psychologique.
Autrement dit, les problèmes sont nombreux et variés, et ça ne semble pas a priori une bonne nouvelle pour les employeurs, car ils ont clairement du pain sur la planche. Toutefois, les experts de McKinsey qui ont signé l’étude pensent qu’il est possible de redonner du cœur à l’ouvrage aux employés, comme vous dites Pierre-Olivier. Et ce, en procédant en trois temps.
1. À quoi servez-vous?
À bien y regarder dans les principaux facteurs du désengagement des employés, une note une chose assez simple: le nœud du problème, c’est que les employés ne trouvent pas leur place au sein de l’organisation. Pas leur place au niveau de la rémunération, de la mission à remplir à travers leurs tâches quotidiennes, ou encore de la méthode à mettre en œuvre pour la remplir.
Et ça, c’est de la faute de l’organisation elle-même, estiment les experts de McKinsey: «Si les employés sont déboussolés, c’est presque toujours parce que la haute direction, tout comme ses relais que sont les dirigeants et les gestionnaires, ne sait pas elle-même dans quelle direction aller, parce qu’en vérité elle se contente de naviguer à vue», notent-ils.
Vous en doutez? OK. Alors, répondez à la question suivante: «Quelle est aujourd’hui la raison d’être de votre organisation?» Et à la suivante: «Est-ce que, par hasard, tous les membres de la haute direction, les dirigeants et les gestionnaires de votre organisation donneraient la même réponse uniforme à la première interrogation?»
Hum… On peut raisonnablement estimer que certains donneraient une réponse en lien avec les besoins de la clientèle, d’autres avec les profits sains et durables, d’autres encore avec l’offre à tous d’un bien ou d’un service respectueux de la planète. Pas vrai?
Mine de rien, le chaos des réponses ainsi données par la “tête” de l’organisation se répercute dans le quotidien des employés. Et pour la majorité d’entre eux, cela se traduit par un véritable chaos dans leur quotidien au travail. Au fond, ils ne savent pas pourquoi ni pour quoi ils bossent, et ça les mines, jour après jour, jusqu’au désengagement.
Pour y remédier, il convient d’organiser des réunions de groupe visant à amener chacun à réfléchir sur la raison d’être de l’organisation. Autour d’une question centrale: «À quoi servons-nous?». Suivie de: «Et chacun de vous, à quoi servez-vous?»
Cela permettra chacun de mieux comprendre la mission à remplir non seulement collectivement, mais aussi individuellement. Et donc, à donner du sens au travail de chaque employé.
Après ça, les experts de McKinsey préconisent de vérifier sur une base régulière si chacun parvient bel et bien à arrimer son quotidien à la mission à remplir. Par exemple, les cadres supérieurs utilisent-ils la raison d’être de l’organisation en tant qu’étoile polaire pour prendre leurs décisions?
Cette vérification est primordiale, soulignent-ils. «Si la raison d’être n’est qu’une affiche sur le mur, vous faites perdre du temps à tout le monde. Si elle n’imprègne pas le quotidien de chaque employé, les conséquences peuvent se révéler dévastatrices», soulignent-ils.
En passant, ils ajoutent ce point qui me semble crucial: «Notre enquête a révélé que les employés sont cinq fois plus susceptibles d’être engagés dans leur quotidien au travail lorsqu’ils œuvrent au sein d’une organisation qui consacre du temps à réfléchir à l’impact qu’elle a sur le monde.»
2. Misez davantage sur l’empathie
Regardez attentivement les dirigeants et les gestionnaires de votre organisation. Cultivent-ils un leadership compatissant, ou leur attitude est-elle plutôt du genre «Arrêtez de chialer et mettez-vous donc au travail!»? Et si vous êtes vous-même un leader, posez-vous la question suivante: «Mon équipe est-elle vraiment assez à l’aise pour partager des choses personnelles avec moi?»
Si jamais vous pensez que ces questions sont secondaires, retenez ce point issu de l’étude de McKinsey: lorsque les employés ne se sentent pas en sécurité psychologique, ils n’ont que 0,5% de chances d’atteindre leurs objectifs individuels et collectifs au travail. C’est-à-dire quasiment aucune chance de se montrer performants, à tout le moins d’atteindre les objectifs qui leur sont fixés. C’est aussi bête que ça.
Le truc pour corriger le tir est, somme toute, assez simple: redoubler d’empathie envers les employés. Concrètement, cela peut revenir à faire évoluer votre empathie en trois temps.
– Empathie cognitive. Cherchez à comprendre le point de vue de l’autre, sans le juger. Essayez de saisir la logique, le raisonnement de l’autre. Ou bien, imaginez ce que c’est que de vivre la réalité de l’autre.
– Empathie émotionnelle. Cherchez à saisir les émotions de l’autre au moment où il s’adresse à vous. Regardez si vous ressentez de la détresse lorsque l’autre souffre (et demandez-vous pourquoi, si ce n’est pas le cas). Ou bien, faites l’expérience de venir en aide à l’autre, en vous mettant vraiment à son service.
– Empathie compatissante. Comprenez le point de vue de l’autre, faites preuve de sollicitude et prenez des mesures afin d’atténuer la douleur de l’autre ou de résoudre le problème auquel il est confronté. Ressentez de la détresse lorsque l’autre souffre et prenez les mesures qui peuvent permettre de l’atténuer, voire de l’annihiler. Ou bien, comprenez, conseillez et soutenez l’autre.
3. Aidez chacun à s’épanouir
L’étude de McKinsey montre que 63% des employés considèrent que leur employeur ne leur donne pas vraiment la possibilité de s’épanouir dans leur quotidien au travail. C’est une proportion énorme. «Vous n’avez par conséquent pas d’autre choix que de pallier ce grave problème», disent les auteurs de l’étude.
Certaines organisations en ont plus ou moins conscience, et elles organisent de temps à autre des réunions et autres ateliers visant à inciter chacun à exprimer davantage ses compétences propres dans son quotidien au travail. Cet effort est «louable, mais insuffisant», estiment les experts de McKinsey.
Mieux vaut chercher à aligner les objectifs personnels de chacun aux objectifs visés par l’organisation. Car l’employé se sentira dès lors «à sa place», et donc en situation de se montrer à la fois utile et efficace. Cela le mènera droit à l’épanouissement.
Maintenant, comment effectuer un tel alignement? En s’asseyant avec chacun et en prenant le temps de voir ensemble si ses objectifs individuels permettent bel et bien de contribuer à l’atteinte des objectifs collectifs. C’est aussi simple que ça. Ce travail peut certes paraître fastidieux, mais il peut permettre à l’employé de réaliser à quel point son travail est important et, surtout, d’effectuer les petits ajustements qui lui permettront de se sentir plus «à sa place», le cas échéant. Par exemple, lui enlever une tâche qui le rebute parce qu’elle ne lui donne pas l’occasion d’exprimer l’une de ses compétences clés pour la redonner à un autre membre de l’équipe qui, lui, tripera à l’idée de l’assumer.
Voilà, Pierre-Olivier. Il est parfaitement possible de redonner envie aux autres de donner leur 110% au travail. Le truc, c’est d’arrêter de déplorer la paille fichée dans l’œil d’autrui pour oser considérer la poutre qui est logée dans le vôtre. Et d’avoir le cran de retirer l’une comme l’autre.