Comment rendre vos employés plus soucieux de l’environnement?
Olivier Schmouker|Publié le 26 septembre 2023L'idée, pour donner à autrui une bonne habitude, c'est de recourir à un «coup de pouce» (nudge, en anglais). (Photo: Markus Spiske pour Unsplash)
MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. – «Je trouve que mes collègues utilisent beaucoup trop l’imprimante. Ce qui gaspille papier, encre et énergie. Comment les inciter à être davantage respectueux de l’environnement, à diminuer par eux-mêmes leur empreinte écologique, sans passer pour la tannante de service?» – Nathalie
R. – Chère Nathalie, vous mettez le doigt sur un nœud de discorde récurrent au sein des équipes de travail: une minorité souhaiterait un changement éthique de la part de l’ensemble du groupe, mais pour mille et une raisons la majorité rechigne à s’y plier. Ici, il s’agit d’un enjeu environnemental: nombre de vos collègues peuvent comprendre qu’une imprimante qui fonctionne à longueur de journée n’est pas un bienfait pour l’environnement, mais ils ont du mal à saisir que leur propre impression de trois courriels et de deux PDF par jour puisse être une véritable nuisance pour la planète.
Les études sur la meilleure façon de responsabiliser les gens en matière de respect de l’environnement abondent. Elles en arrivent toutes, ou presque, à la même conclusion: il n’y a rien de pire que de chercher à convaincre son interlocuteur à coup de raisonnements logiques et de chiffres, aussi solides soient-ils. Cela donne à la personne sceptique l’impression qu’on cherche à la manipuler, voire à la culpabiliser. Et celle-ci se braque, elle refuse d’entendre raison.
Mieux vaut, en vérité, user de ce qu’on appelle un «coup de pouce» (nudge, en anglais). Il s’agit d’une «incitation discrète» permettant à chacun de faire le «bon choix» (moins imprimer), sans contrainte. Car, comme l’explique Coralie Chevallier, chercheuse en sciences cognitives et comportementales à l’École normale supérieure de Paris, «loin d’être rationnels, la plupart de nos choix sont en réalité influencés par nos émotions immédiates, notre expérience passée, ou encore les normes sociales en vigueur».
L’efficacité de ces coups de pouce est aujourd’hui éprouvée. Pour preuve, les escaliers du métro de Stockholm, en Suède, qui font une note lorsqu’on marche dessus, ce qui amène les usagers à les privilégier par rapport aux escaliers mécaniques qui se trouvent pourtant juste à côté. Ou bien, les simples marquages au sol qui ont favorisé la distanciation sociale dans certains lieux publics lors de la pandémie.
Maintenant, comment pourriez-vous, Nathalie, donner un coup de pouce concernant l’utilisation de l’imprimante au bureau? Avant de vous l’indiquer, laissez-moi vous parler d’une étude récemment menée par Philipp Thamer, doctorant à l’École de management WHU-Otto Beisheim à Coblence (Allemagne), Sanchayan Banerjee, professeur en économie environnementale à l’Université libre d’Amsterdam (Pays-Bas), et Peter John, professeur de sciences politiques et économiques au King’s College de Londres (Grande-Bretagne). Je suis sûr que ça va vous intéresser.
Les trois chercheurs ont voulu savoir s’il y avait moyen, ou pas, d’optimiser le recours à un coup de pouce, en l’occurrence une incitation discrète à manger moins de viande afin de réduire son empreinte écologique. Leur terrain d’action a été la cafétéria d’une université allemande, laquelle a fait l’objet d’une petite expérience menée pendant cinq semaines.
– Semaine 1. Simple observation des habitudes alimentaires des clients de la cafétéria.
– Semaine 2. Une étiquette verte a été apposée sur les plats végétariens en libre-service ainsi que sur ceux figurant sur le menu.
– Semaines 3 et 4. L’étiquetage des plats végétariens a été maintenu. Parmi les clients habituels de la cafétéria, trois groupes ont été formés, placés au hasard dans des conditions distinctes.
Le groupe 1 était le groupe témoin. Il n’a été soumis à aucun traitement supplémentaire.
Le groupe 2 a été invité à répondre à un questionnaire deux fois par semaine, lequel les invitait à réfléchir à l’étiquetage des produits végétariens et à indiquer leur niveau de soutien à son égard.
Le groupe 3 a lui aussi été invité à répondre deux fois par semaine au même type de questionnaire, mais au lieu d’indiquer leur niveau d’adhésion à l’opération, il lui fallait prêter serment à son égard: chacun était prié de jurer qu’il allait désormais donner la priorité aux plats végétariens, autant que faire se pouvait, par souci environnemental.
Résultat? En général, les membres du groupe 2 ont diminué de 5% leur consommation de viande, et les membres du groupe 3, de 7%. Et ce, de manière apparemment durable: la bonne habitude de manger moins de viande s’est poursuivie durant la semaine 5, même s’il n’y avait plus d’étiquette verte apposée sur les plats végétariens.
Autrement dit, pour optimiser un coup de pouce, il suffit d’une indication simple du bon choix (étiquette verte) et d’une réflexion personnelle à ce sujet, voire, si l’opération s’y prête, à un serment individuel.
Revenons à l’imprimante de votre bureau, Nathalie. Il existe plusieurs trucs pour atténuer son empreinte écologique.
1. Ne plus imprimer. Certes, c’est radical, mais il y a des entreprises où cela fonctionne. J’imagine que, dans votre cas, vous ne souhaitez pas vous mettre tout le monde à dos. Vous pourriez donc montrer l’exemple, arrêter vous-même d’imprimer et ainsi apporter la preuve vivante qu’on est tout aussi efficace au travail sans imprimer quoi que ce soit. À ce sujet, je vous invite à recourir à des «imprimantes virtuelles», à l’image de PDFCreator, et à en parler autour de vous.
2. Imprimer en recto verso. Ce qui permet d’utiliser presque deux fois moins de papier qu’auparavant, tout le monde ayant la fâcheuse manie d’imprimer recto.
3. Imprimer en mode brouillon. Mine de rien, ça sauve beaucoup d’encre.
4. Supprimer les éléments inutiles avant l’impression. À savoir, par exemple, les publicités et autres images d’articles de journaux que vous imprimez.
5. Utiliser du papier recyclé. Ça sauve beaucoup d’arbres, pour ne pas dire des forêts entières.
6. Débrancher l’imprimante à la fin de chaque journée. C’est un fait souvent méconnu, mais simplement mettre le bouton sur «off» ne suffit pas! Car une imprimante consomme parfois autant d’électricité éteinte qu’allumée. À cela s’ajoute le fait que le Wi-Fi a un impact conséquent sur la consommation d’énergie des imprimantes qui en disposent.
Vous pourriez donc mettre l’accent sur un de ces trucs pendant un mois et ainsi apposer une étiquette simple et colorée invitant, par exemple, à toujours imprimer en recto-verso. En parallèle, vous pourriez demander au gestionnaire de votre équipe de prendre cinq minutes d’une prochaine réunion pour expliquer la raison de cette étiquette et pour inviter chacun à y réfléchir sur le plan personnel, voire, pour les plus motivés, à s’engager à respecter cette invitation pendant tout le mois.
Puis, le mois suivant, vous passez à un autre truc. Et ainsi de suite. Cela devrait suffire à créer de bonnes habitudes chez la plupart des participants.
En passant, le cycliste français Cyrille Guimard aime à dire: «Bousculer les habitudes, c’est encore le meilleur moyen de faire évoluer les choses.»