L'idée, c'est de ne pas chercher les tics nerveux, mais plutôt les tics de langage. (Photo: Drew Hays pour Unsplash)
MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. – «J’ai la fâcheuse impression qu’un membre de mon équipe me ment souvent en pleine face. Mais je n’arrive pas à savoir ce qu’il en est vraiment: il a toujours réponse à tout, même si c’est parfois un peu tiré par les cheveux. Comment savoir une bonne fois pour toutes s’il est un champion du mensonge, ou bien si c’est moi qui suis trop soupçonneux?» – Zakary
R. – Cher Zakary, mettre au jour un menteur n’est jamais chose aisée, d’autant plus qu’il est facile de se tromper. Il s’agit là d’un exercice périlleux, qui peut avoir de lourdes conséquences en cas d’erreur de la part de celui qui essaye d’y voir clair: accuser quelqu’un d’être un menteur alors qu’il n’en est rien peut suffire à pourrir l’ambiance au sein de l’équipe de travail, et considérer comme quelqu’un de bien une personne qui ment de manière compulsive peut être catastrophique pour l’équipe et la performance de celle-ci.
Cela étant, il existe des trucs pour identifier un menteur. Ces astuces ne sont pas infaillibles, mais elles peuvent permettre de voir juste concernant les propos de quelqu’un, voire d’amener le fautif à confesser son mensonge. Elles proviennent d’un livre intitulé «Mind Reader» et signé par David Lieberman, un psychologue américain devenu un expert du mensonge au point de conseiller à ce sujet, entre autres, des interrogateurs professionnels du FBI, de la CIA et de la NSA.
Le premier conseil de David Lieberman, c’est de ne pas chercher à déceler des signes corporels qui trahiraient le fond de la pensée de votre interlocuteur. Surtout si vous n’êtes pas un interrogateur professionnel. Vous savez, ces petits gestes inconscients comme se gratter le nez au moment précis où l’on ment comme un arracheur de dents, ou comme éviter le regard de l’autre lorsqu’on s’empêtre dans son mensonge.
«Deux raisons à cela, explique-t-il. Tout d’abord, parce que les menteurs compulsifs connaissent ces petits signes et s’empêchent de les envoyer à la personne à qui ils mentent. Ensuite, parce qu’il est très facile de mal les interpréter: si vous avez en face de vous une personne honnête, mais anxieuse du simple fait qu’elle sent qu’on cherche à savoir si elle ment, elle va vous envoyer inconsciemment un paquet de ces signes-là, comme se gratter la nuque ou avoir des petits tremblements nerveux.»
Mieux vaut, en vérité, se concentrer non pas sur le «comment», mais plutôt sur le «quoi». C’est-à-dire sur la façon dont le menteur s’exprime, sur ses tournures de phrases. «Car mentir nécessite beaucoup plus d’énergie mentale que de dire la vérité, dit David Lieberman. Ce qui amène le menteur à recourir inconsciemment à des raccourcis de langage qui lui permettent de ne pas avoir à réfléchir trop en profondeur, à trop puiser dans son énergie mentale.»
Trois trucs simples et efficaces peuvent ainsi vous permettre de voir un drapeau rouge se lever alors que votre interlocuteur est en train de vous mentir en pleine face:
– Un menteur aime pontifier et philosopher. Toute déclaration pontifiante qui exprime un sentiment d’équité ou de justice peut être le signe d’un mensonge. Soyez attentif à des phrases du genre «Ça ne devrait pas être ainsi» et autres «On ne travaillait pas comme ça auparavant». Car elles trahissent le souci inconscient de se justifier, ne serait-ce qu’envers soi-même. «Personne ne se considère comme un sale type, explique David Lieberman. Même un sale type se considère, au fond de lui-même, comme un type bien qui a fait quelque chose de mal.»
– Un menteur a recours aux déclarations d’autoréférence. Ces déclarations-là surviennent lorsqu’une personne fait référence à ce qu’elle a dit ou écrit avec des expressions telles que «Comme je l’ai mentionné précédemment» et «Comme je l’ai expliqué plus tôt». Le menteur s’en sert souvent parce qu’elles lui évitent de donner des informations incorrectes, de s’emberlificoter dans son mensonge. Elles lui permettent de conserver un récit simple et clair, et donc d’économiser son énergie mentale ou, comme aime à le dire l’auteur, d’«alléger sa charge cognitive».
– Un menteur mise allègrement sur la simplicité. Les déclarations honnêtes impliquent souvent des structures de phrases complexes, avec des prépositions telles que «sauf», «sans», «mais» et «mis à part». Car la personne veut être précise, «prouver», si l’on veut, que ce qu’elle dit est vrai. Un menteur, en revanche, a le réflexe de miser sur des phrases simples, sans trop de détails et d’informations. Car son cerveau gruge déjà beaucoup d’énergie à élaborer et à tenir son mensonge, si bien qu’il ne va pas chercher à en gruger davantage en ajoutant un paquet de détails susceptibles, au fond, de dévoiler le pot aux roses.
À noter, toutefois, un point important: un menteur peut utiliser des termes alambiqués, voire se lancer dans des phrases pleines de détails, mais vous noterez alors que ces termes-là et ces détails-là sont totalement insignifiants, voire inutiles; son idée alors est de noyer le poisson dans plein de détails dont son cerveau n’a pas à se soucier outre mesure (si vous y revenez par la suite, il se peut fort bien que le menteur ne se souvienne même pas de tel ou tel détail donné pourtant il y a à peine cinq minutes de cela!).
Voilà, Zakary. Concentrez-vous sur les tics de langage, pas sur les tics nerveux. Cela devrait vous permettre de voir enfin si votre collègue est un fieffé menteur, ou pas.
En passant, le poète persan Abolghassem Ferdowsi a dit dans «Le Livre des rois»: «Mentir est le fait des faibles».