Dans Squid Game, le meilleur moyen de s’en sortir vivant est non pas de tenter d’être le meilleur de tous, mais de s’unir aux autres. (Photo: 123RF)
MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. – «Nos employés partent les uns après les autres, séduits par les offres que leur font nos concurrents. C’est dramatique pour nous, car nos employés sont très spécialisés, et donc rares sur le marché de l’emploi. Comment arrêter l’hémorragie ? Et comment empêcher les autres de nous vampiriser ?» – Aurélie
R. – Chère Aurélie, la pénurie de main-d’œuvre est devenue si criante dans certaines industries que les entreprises en sont réduites à piller le voisin dans l’espoir de survivre. Ce faisant, elles se livrent, sans même le réaliser, à un mortifère Squid Game, ce jeu présenté dans la télésérie sud-coréenne homonyme de Netflix où des centaines de joueurs se disputent un lot unique de 45 milliards de wons (47 millions de dollars), les perdants étant éliminés d’une rafale de mitraillette. Un jeu ahurissant dont personne ne peut vraiment sortir gagnant, comme on le comprend à la fin de la saison 1…
Dans Squid Game, le meilleur moyen de s’en sortir vivant est non pas de tenter d’être le meilleur de tous, mais de s’unir aux autres. Autrement dit, il convient de jouer non pas individuel, mais collectif. Il en va de même dans la vraie vie : si vous voulez que votre organisation mette fin à l’hémorragie de ses forces vives, l’idéal est d’y implanter un leadership propice au jeu collectif. Comme en attestent quatre études récentes et complémentaires :
– L’équipe de chercheurs pilotée par Gustavo Tavares, professeur de leadership et de comportement organisationnel à l’École de commerce Insper de São Paulo (Brésil), a découvert qu’un moyen efficace pour diminuer le taux de roulement d’une organisation (le rapport entre le nombre des départs et le nombre total d’employés) consistait à faire adopter aux gestionnaires un «leadership charismatique». En l’occurrence, cela signifie l’adoption de six valeurs précises : « intégrité ; responsabilité ; impartialité ; ouverture d’esprit ; altruisme ; et professionnalisme ».
Lorsque les gestionnaires mettent en pratique ces valeurs-là, les employés se sentent mieux au sein de l’organisation. Car ils réalisent que leurs talents propres sont reconnus et utiles, et ils ont dès lors moins envie de voir si l’herbe est plus verte ailleurs.
– Un exemple concret de «leadership charismatique» est mis en lumière dans une autre étude menée par une équipe de chercheurs dirigée par Liuba Belkin, professeure de management à l’Université Lehigh de Bethlehem (États-Unis). Il s’agissait de regarder si l’obligation implicite pour les employés de consulter et de répondre aux courriels qui leur sont envoyés en dehors des heures de travail avait le moindre impact sur eux. Résultat ? Cette obligation nuit à l’équilibre entre le travail et la vie privée, et la nuisance est telle qu’elle déclenche des signaux de «désengagement professionnel», voire d’«épuisement professionnel». À la clé, un taux de roulement du personnel «nettement plus élevé» que dans les organisations où cette obligation n’existe pas.
– Cet impact est confirmé par une autre étude effectuée par Monica Choy et Ken Kamoche, deux professeurs de management, respectivement à l’Institut technologique et d’enseignement supérieur de Hong Kong (Chine) et à l’Université de Nottingham (Grande-Bretagne). Il en ressort en effet que les principaux facteurs poussant à quitter un employeur sont, en général : l’obligation, explicite ou implicite, de travailler en dehors des heures de travail normales ; le manque de contacts sociaux au travail ; un environnement de travail déplaisant ; une trop grande distance entre le domicile et le lieu de travail ; de mauvaises relations avec le boss et/ou les collègues ; une rémunération jugée insuffisante ; et de piètres perspectives d’évolution de carrière.
Autrement dit, faute de «leadership charismatique» — ouverture d’esprit, altruisme, etc. —, les employés n’hésitent pas à écouter les offres qui leur sont faites par des organisations concurrentes.
– Ce dernier point est corroboré par une étude signée par l’équipe de Tobias Huning, professeur de management à l’Université de Floride du Nord à Jacksonville (États-Unis). C’est lorsque le leader se met au service des membres de son équipe que le taux de roulement du personnel est le plus bas. Oui, c’est lorsqu’il agit avec chacun comme un coach – comprendre, conseiller et soutenir -, et non plus comme un «petit boss» – commander et contrôler -, que les employés se révèlent heureux et efficaces dans leur quotidien au travail. Et donc, qu’ils ont le moins envie d’aller voir ailleurs.
Bref, ma chère Aurélie, pour survivre au Squid Game dans lequel vous êtes embarquée malgré vous, le mieux est de faire évoluer le leadership en vigueur au sein de votre organisation vers un «leadership charismatique». C’est-à-dire d’inviter chacun de vos gestionnaires à comprendre au lieu de critiquer, à conseiller au lieu commander et à soutenir au lieu de sévir. À ne plus considérer que leur équipe est à leur service, mais plutôt à se mettre au service de chacun des membres de l’équipe. Et vous verrez dès lors les employés songer de moins en moins à partir sous d’autres cieux