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Comment vous préparer au futur du travail?

Olivier Schmouker|04 avril 2024

Comment vous préparer au futur du travail?

L'idée, c'est de commencer par changer notre vision de ce qu'est une carrière. (Photo: Tom Parkes pour Unsplash)

MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudisVous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca

Q. – «IA, télétravail, hyper productivité… Le monde du travail est en pleine mutation, et je m’inquiète pour mon futur: vais-je toujours avoir du travail? Oui, vais-je devenir obsolète? Mes compétences clés seront-elles bientôt dépassées? Bref, que devrais-je faire aujourd’hui-même pour m’assurer d’avoir un avenir professionnel?» – Billy

R. – Cher Billy, il est vrai que nos façons de travailler sont en train d’évoluer à la vitesse grand V, ces temps-ci. Depuis la pandémie, nombre d’entre nous ont goûté au télétravail pour la toute première fois et ont tellement aimé ça que les employeurs ont dû revoir leurs politiques managériales, notamment en adoptant l’entre-deux qu’est le mode hybride. En parallèle, les avancées technologiques sont si rapides que nombre de nos tâches peuvent d’ores et déjà être mieux exécutées par des robots intelligents que par nous-mêmes. On pense, entre autres, à la traduction, à la retranscription de réunions de travail, ou encore au tri de CV. Et demain matin, ce sont des métiers qui pourraient être carrément accaparés par les robots intelligents: les études abondent pour désigner, entre autres, les métiers de la gestion de la paie, du service à la clientèle, ou encore de l’analyse de données.

Convient-il de baisser les bras face à la puissance grandissante de l’intelligence artificielle (IA)? Non, bien sûr. Mieux vaut plutôt reconnaître le danger qui s’en vient droit sur chacun de nous, en ne se laissant pas leurrer par le discours des pionniers de l’IA qui jurent que leurs trouvailles ne feront qu’aider les êtres humains à être plus productifs que jamais alors qu’en vérité celles-ci fauchent d’ores et déjà nombre d’emplois dans les secteurs qui s’en servent le plus, à commencer par le secteur technologique lui-même! Pour vous en convaincre, regardez ce qui se passe aujourd’hui chez Google, Meta et autres géants de la tech: plus de 34 000 employés ont été licenciés dans le monde par des entreprises technologiques entre le 1er janvier et le 13 février 2024, soit davantage que le nombre d’emplois sabrés dans la tech au cours d’un trimestre entier depuis 2022, selon Statista. Idem, regardez ce qui se passe dans le milieu du jeu vidéo, en particulier au Québec. Tout ça, soulignons-le bien, en grande partie parce que l’IA supplante l’être humain, vu qu’elle effectue ses tâches en un clin d’œil là où l’être humain prend des heures, qu’elle travaille 24/7 sans jamais chialer, qu’elle ne prend jamais de congés pas plus qu’elle ne parle de «bien-être au travail», et surtout qu’elle ne demande pas la moindre rémunération.

On le voit bien, notre objectif commun est donc d’éviter l’obsolescence. Et cela m’amène à vous parler, Billy, de l’organisme maori Tokona te Raki, en Nouvelle-Zélande. Sa mission? «Nous sommes des créateurs d’avenir maoris, indiquent-ils sur leur site web. Nous utilisons l’innovation sociale pour parvenir à l’équité en matière d’éducation, d’emploi et de revenus pour tous les Maoris au sein du takiwā Ngāi Tahu [zone tribale] et au-delà. Notre approche consiste à nous appuyer sur la sagesse ancestrale pour bâtir un nouvel avenir aux Maoris.»

Concrètement, Tokona te Raki vient en aide aux autochtones de la Nouvelle-Zélande afin de leur permettre de s’adapter à la vie d’aujourd’hui et de demain sans pour autant renier leurs valeurs propres. L’idée est simple: permettre à chacun de trouver sa place et de s’y épanouir, en dépit des défis inhérents à un monde en pleine mutation, en particulier dans le milieu du travail.

Quand j’ai découvert l’existence de cet organisme maori, ça m’a sauté aux yeux: ce qu’il prône pour son peuple est, au fond, tout aussi valable pour nous tous. Nous aussi, nous sommes confrontés à un défi d’adaptation. Nous aussi, nous sommes menacés d’obsolescence. Bref, nous aussi, nous sommes des Maoris.

Là où ça devient passionnant, c’est que Tokona te Raki a récemment signé une étude sur la meilleure façon dont les Maoris pouvaient s’adapter au futur du travail, et donc, sur la meilleure façon dont nous pourrions nous tous nous adapter au futur du travail. Cette étude s’appuie sur une foule de données sur l’avenir du travail ainsi que sur des entrevues effectuées auprès de gestionnaires et de travailleurs. Regardons ça ensemble.

Pour commencer, l’étude montre que la monnaie d’échange de demain, ce sera les compétences. Un travailleur n’aura de valeur aux yeux d’un employeur qu’à travers ses compétences propres. L’idée est donc de cultiver les compétences nécessaires au futur du travail.

Selon l’étude, les compétences qui seront sûrement les plus payantes à l’avenir, tous métiers confondus, sont les suivantes, par ordre d’importance:

1. Résolution de problème

2. Connexité (capacité à évoluer harmonieusement en nouant des liens fructueux avec les autres)

3. Compétences organisationnelles (planifier, prioriser, gérer son temps, etc.)

4. Communication

5. Capacité à travailler en équipe

6. Souci du détail

Il convient donc de renforcer avant tout ces compétences-là, que nous avons déjà tous plus ou moins, mais pas n’importe comment. L’important est de tenir compte du fait qu’il va nous falloir les mettre en application dans des rôles souvent différents. De fait, l’étude indique que les jeunes diplômés d’aujourd’hui seront appelés, en général, à occuper 12 rôles différents au cours de leur carrière. Oui, vous avez bien lu: 12 rôles différents. Par exemple, celui qui commence à présent sa carrière comme surveillant de chantier va ensuite devenir démolisseur au marteau-piqueur, puis chauffeur de rouleau compresseur, puis chef de chantier, puis gestionnaire de projet, etc.

 

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Dans ces 12 rôles, certaines compétences clés vont demeurer omniprésentes. On pense ici à la liste des six principales indiquée ci-dessus (résolution de problème, connexité, etc.). Mais surtout, d’autres vont servir de passerelle entre un rôle et un autre. Dans le cas du chauffeur de rouleau compresseur qui entend devenir chef de chantier, on peut penser à différentes compétences: par exemple, savoir utiliser le logiciel Office de Microsoft, savoir planifier le travail d’une équipe et avoir des connaissances de base en comptabilité.

Par conséquent, Billy, il convient de vous montrer stratégique, en attachant une importance toute particulière aux «compétences passerelles». Car ce sont celles-ci qui pourront vous permettre d’évoluer sur le plan professionnel, d’occuper les 12 rôles qui vous attendent tout au long de votre carrière.

L’étude le résume fort bien. «L’ensemble des compétences d’une personne peut être considéré comme un «kete pūkenga» (en français, sac à compétences): les compétences sont accessibles, elles sont transférables et vous les avez toujours à portée de main si vous en avez besoin. Au fur et à mesure que vous poursuivez votre voyage de vie et d’apprentissage, vous ajouterez davantage à votre kete. À mesure que votre kete grandit, votre capacité à faire face à toutes les circonstances ou à tous les défis qui se présentent à vous grandit pareillement.»

Pour voir ainsi les choses, il convient de changer de mentalité, de considérer le travail non plus tel qu’on le connaît de nos jours, mais plutôt tel qu’on le connaîtra demain matin. Donc, de passer du «pae tata» (état actuel) au «pae tawhiti» (état futur).

Pae tata => Pae tawhiti

Mon travail est défini par mon emploi => Mon travail est défini par mes objectifs

Une carrière, c’est un diplôme et une job => Une carrière, c’est un bagage culturel, des compétences et la capacité d’exprimer son plein potentiel

Un métier durant toute ma carrière => 12 rôles durant toute ma carrière

Priorité aux compétences clés de mon métier => Toutes les compétences ont de la valeur

Je cultive mes compétences à l’école et lors de programmes de formation => Chaque journée est une nouvelle occasion de cultiver mes compétences

Les compétences techniques (savoir-faire) sont les plus importantes => Les compétences humaines (savoir-être) sont les plus importantes

Bref, c’est passer d’une situation professionnelle où les possibilités sont limitées et où les inégalités sont entretenues à une toute nouvelle situation où les barrières sont renversées et où chacun peut emprunter la voie la plus propice à son épanouissement.

Ce n’est pas tout. L’étude de Tokona te Raki a demandé à des «rangatahis» (Maoris membres de la génération Z, plus précisément âgés de 18 à 27 ans) quelle était, selon eux, la meilleure façon d’opérer un tel changement de mentalité. Leurs conseils tiennent en trois points primordiaux qui, à bien y regarder, sont interdépendants:

– Ne jamais arrêter d’apprendre. Une rangatahi raconte: «Mon début de carrière semble être un voyage aléatoire, et cela l’a été, en un sens. Mais en vérité, j’ai acquis des compétences techniques à l’école, des compétences interpersonnelles lors de mon stage à l’hôpital, des compétences d’analyse lors de ma remise de rapport de stage, etc. Chaque jour, j’apprends. Chaque jour, mon sac de compétences s’enrichit. Je suis convaincue que cela va me mener à une job de rêve.»

– Réseauter. Un ragantahi indique qu’il a accédé au poste d’agent de liaison maori dans un cégep, simplement parce qu’il connaissait quelqu’un qui embauchait: «La plupart des emplois que j’ai occupés, je les ai obtenus grâce à mon réseau de connaissances professionnelles, dit-il. Je suis persuadé que la capacité à nouer des liens avec autrui est un excellent moyen de trouver sa voie professionnelle.»

– Cultiver le «manaakitanga». Le quoi? Le manaakitanga est communément traduit par hospitalité, gentillesse, générosité et soutien. C’est, si l’on veut, l’addition de l’empathie et de la bienveillance. Les ragantahis rencontrés dans le cadre de l’étude disent que le manaakitanga s’exprime en permanence dans leur quotidien au travail: «J’ai développé cette compétence dans tous mes emplois, de celui de boucher à celui d’organisateur d’événements en passant par celui de réceptionniste», illustre l’un d’eux. Son intérêt principal? Il nourrit les liens qu’on a avec les autres dans n’importe quel type de situation, et en retour, cela nourrit nos propres compétences. Oui, le manaakitanga aide à grandir. Professionnellement comme humainement.

Voilà, Billy. Ne paniquez pas parce que l’IA et autres avancées technologiques menacent de plus en plus votre job. Ne stressez pas à l’idée que vos compétences vont bientôt devenir obsolètes. Prenez une grande respiration et inspirez-vous des Maoris, eux qui ont l’intelligence de combiner bagage culturel et capacité d’adaptation pour être en mesure de relever les défis de demain, quels qu’ils soient. Passez sereinement du pae tata au pae tawhiti, cultivez les bonnes compétences ainsi que les compétences passerelles, misez notamment sur le manaakitanga et l’avenir devrait devenir radieux pour vous. Je n’en doute pas une seconde.

En passant, le guide spirituel indien Mohandas Gandhi aimait à dire: «Commencez par changer en vous ce que vous voulez changer autour de vous».