Prendre le temps de respirer est, de nos jours, une nécessité pour être efficace au travail. (Photo: Nathan Cima pour Unsplash)
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Q. — «J’ai une chance extraordinaire. En tant que nouvelle RH, le boss m’a demandé de lui présenter une mesure RH inédite, qui serait saluée par les employés de notre PME et qui pourrait même servir d’argument de séduction à l’égard des candidats à l’embauche. En connaîtriez-vous une semblable?» – Amélia
R. — Chère Amélia, il existe une foule de mesures simples et efficaces qui répondent aux critères que vous avancez, mais il y en a une qui a vu le jour cette année en Chine et qui pourrait bien séduire votre boss. Il s’agit des «congés pour respirer».
Yu Donglai est fondateur et président de Pang Dong Lai, une chaîne de supermarchés de la province centrale du Henan, en Chine. Lors de la Semaine des supermarchés de Chine 2024 qui s’est tenue en mars dernier, il a frappé un grand coup en annonçant qu’il offrait une nouvelle sorte de congés à ses employés à temps plein, des congés qu’il a désignés sous un terme chinois qui signifie «congés de tristesse», mais que je préfère présenter sous la dénomination plus positive, et plus précise, me semble-t-il, de «congés pour respirer».
Le principe est simple: chaque employé à temps plein peut désormais prendre jusqu’à un total de 10 jours de congés par an sans avoir besoin de les justifier. Ces 10 jours s’ajoutent à la banque de congés dont il dispose déjà. Pour en bénéficier, nul besoin de demander le GO de son gestionnaire immédiat ou de la haute direction.
«Tout le monde connaît des journées où rien ne va, où on ne se sent pas bien, où on se sent malheureux, a alors expliqué Yu Donglai. Eh bien, ces journées-là, il ne sert à rien d’aller travailler. Et je veux que chez nous, chacun se sente libre de ne pas aller au travail quand il est dans cet état-là, sans avoir à se justifier auprès de quiconque.»
Bref, ces 10 jours-là sont faits pour respirer. Pour décrocher. Pour renouer avec un peu de calme. Et il est clair que chacun de nous en a besoin, de nos jours…
À ce sujet, une récente étude a mis au jour le fait que 2 travailleurs chinois sur 3 (65%) se sentaient «fatigués» et/ou «malheureux» au travail. En cause, selon eux, les bas salaires, les relations interpersonnelles complexes ainsi que la culture des heures supplémentaires. Et il me semble que la situation est passablement la même ici, au Québec: regardez bien, il n’y a pas une semaine où l’on ne parle pas des ravages du travail sur la santé mentale dans les médias et sur les médias sociaux…
Yu Donglai est un visionnaire sur ce point, en Chine. Pour lui, la priorité n’est pas de faire grandir son entreprise à tout prix, mais que celle-ci soit «saine et bienfaisante»; et pour y parvenir, il est convaincu que ça passe avant tout par des employés qui sont eux-mêmes «sains et bienfaisants».
D’où sa politique managériale qui sort de l’ordinaire en Chine: par exemple, les employés de Pang Dong Lai ne travaillent pas plus de sept heures par jour, ils ont des fins de semaine (par roulement) et ils ont droit à une trentaine de jours de congés par an auxquels s’ajoutent cinq autres jours lors du Nouvel An lunaire. Enfin, le salaire mensuel moyen des employés de l’entreprise est de 7 000 yuans (1 341 dollars); c’est presque le double du salaire moyen des employés du commerce de détail en Chine, selon le site web chinois Linkshop.com, spécialisé dans l’information sur le commerce de détail.
Selon la coach et auteure britannique Hannah Salton, les «congés pour respirer» peuvent avoir de nombreux bienfaits pour les entreprises qui les mettent en place. Par exemple, cela peut potentiellement «diminuer l’absentéisme et le présentéisme, atténuer l’épuisement professionnel, améliorer la rétention du personnel, voire accroître la productivité individuelle et collective», a-t-elle confié au quotidien britannique Metro. De fait, le droit de librement respirer lorsqu’on en ressort le besoin peut permettre de «se sentir plus heureux et plus investi» dans son quotidien au travail.
Mais surtout, cela peut amener certains employés à parler de leur santé mentale à leur employeur, et donc aider à «surmonter le tabou que ce sujet représente encore dans nombre de milieux de travail». Car, soulignons-le, ce genre de discussion avec un boss n’est jamais chose aisée, a fortiori lorsque l’employeur ne fait pas le premier pas.
C’est d’ailleurs sur ce point que les «congés pour respirer» se distinguent d’autres types de congés comme les «journées couette» et autres «journées personnelles». L’idée n’est pas de bénéficier de la possibilité de poser un congé n’importe quand, parce qu’on doit emmener son enfant chez le dentiste ou bien parce qu’on doit faire un peu de bricolage au chalet. Non, l’idée est bel et bien de donner une bouffée d’air frais à sa vie, de se donner du temps à soi, pour soi, pour notre plus grand bien-être. Mine de rien, la nuance est de taille.
Bien entendu, Amélia, l’employeur ne peut pas juste décréter, du jour au lendemain, qu’il accorde désormais 2, 5 ou 10 jours de «congés pour respirer» à tout le monde. S’il le faisait ainsi, il irait droit dans le mur.
Il lui faut d’abord voir s’il peut se le permettre financièrement. Il doit peaufiner la formule en fonction de sa propre réalité, par exemple en imposant un préavis afin que le travail des équipes ne soit jamais perturbé par un congé pour respirer. Puis, il doit rédiger le programme, en expliquant de quoi il s’agit concrètement et en soulignant l’intérêt qu’il représente pour l’employeur comme pour chaque employé, l’un d’eux étant le fait que parler de santé mentale ne doit plus jamais être un sujet tabou au sein de l’entreprise.
Voilà, Amélia. Que pensez-vous des «congés pour respirer»? Sont-ils susceptibles d’attirer l’attention de votre boss? N’hésitez pas à me faire part de vos commentaires.
En passant, l’écrivain français Jules Renard a noté dans son «Journal»: «De temps en temps, se retirer de ce qu’on fait, et gagner quelque hauteur pour respirer et dominer».