«La créativité est un moyen de redéfinir ce que vous faites», explique son ancien PDG, Daniel Lamarre. (Photo: 123RF)
BLOGUE INVITÉ. Après 20 ans passés à diriger le Cirque du Soleil, Daniel Lamarre est considéré comme un véritable maître dans l’art du leadership créatif. À la tête de cette entreprise devenue une référence du divertissement artistique contemporain, il nous explique comment le maintien d’une culture organisationnelle qui stimule la créativité a permis au spectacle de continuer à se produire malgré les défis de la crise de la Covid-19.
Originaire de Grand-Mère, près de Shawinigan, Daniel Lamarre a obtenu un baccalauréat en communications de l’Université d’Ottawa. Avant de rejoindre le Cirque du Soleil en 2001 — d’abord en tant que directeur des opérations, puis comme directeur général — il a occupé différents postes de gestion au sein de nombreuses entreprises canadiennes dont le cabinet de relations publiques National et TVA.
À la fin de novembre 2021, l’ancien PDG du Cirque du Soleil est passé au poste de vice-président exécutif du conseil d’administration. Notons l’importance du terme « exécutif » dans le titre, car lorsqu’il est associé aux rôles de « président » ou « vice-président », il indique une implication plus importante dans les décisions stratégiques quotidiennes de l’entreprise.
Daniel Lamarre aime les artistes pour ce qu’ils font et admire leur capacité à se produire devant un public et à impressionner les spectateurs par leurs performances physiques et artistiques. Pour lui, les artistes du Cirque du Soleil demeurent une réelle source d’inspiration, m’explique-t-il lors de notre rencontre.
Sa réputation, son salut
Le chiffre d’affaires du Circle du Soleil avoisinait le milliard de dollars avant le début de la pandémie. Alors que de nombreuses industries ont été contraintes d’interrompre leurs activités pour prévenir la propagation du virus, le secteur des arts du cirque n’a pas été épargné avec l’ensemble des représentations reportées ou annulées – une période économique sombre que Daniel Lamarre appelle ironiquement « le fameux Black Friday ».
Ainsi, pour le Cirque du Soleil, le 13 mars 2020 marque le début d’une crise : « En 48 heures, nous sommes passés de 44 spectacles à zéro», raconte-t-il. Une semaine à peine après avoir dû interrompre la quasi-totalité de ses activités, l’entreprise a donc été contrainte de licencier 95 % de ses 4679 employés ; Daniel Lamarre était complètement bouleversé à l’idée de ne pas pouvoir venir en aide à ces derniers, devenus de vrais amis après 20 ans de service, glisse-t-il en entrevue.
Pour subvenir aux besoins de l’entreprise, ce sont donc 375 millions de dollars américains qui ont été investis dans le groupe par différents créanciers – un financement inédit que l’ancien PDG attribue à l’unicité du Cirque du Soleil au sein du milieu des représentations artistiques. « Nous n’avions aucun revenu, mais présentions une référence mondiale ; c’est en cela que les créanciers ont cru. [… Le Circle du Soleil] est trop important pour être détruit, et ils l’ont mis à prix à 1,2 milliard de dollars américains», déclare-t-il. Ayant toujours cru fermement en l’identité du Cirque, Daniel Lamarre explique être grandement impressionné de cette démonstration du pouvoir de sa marque.
L’importance du bac à sable
Selon Daniel Lamarre, la force du Cirque du Soleil provient de la capacité de ses spectacles à inspirer les gens du monde entier : pour défier les attentes, le Cirque doit constamment repousser les limites de l’imagination. C’est la raison pour laquelle il a voulu s’assurer, au moment d’accepter l’offre de ses créanciers, que l’organisation ne perde jamais ce pour quoi elle est le plus connue, c’est-à-dire sa créativité. Il a donc exigé le maintien d’une liberté créative du département de la création.
Ainsi, pour préserver cette inventivité, le style de leadership de Daniel Lamarre encourage les employés à proposer de nouvelles idées. « La créativité est un moyen de redéfinir ce que vous faites. Cela peut être une nouvelle solution à un problème, un nouveau produit ou une nouvelle façon de percevoir votre organisation », précise-t-il.
« Cultiver l’ingéniosité commence dans l’espace de travail », ajoute Daniel Lamarre, insistant sur l’importance de créer un environnement qui reflète l’âme du Cirque – autant dans son organisation, son espace de travail, ou encore dans ses décors. Toutefois, il prévient que certaines limites sont nécessaires pour garantir une pensée créative efficace.
Il compare la définition d’un mandat créatif à un bac à sable, où on encourage l’originalité tout en la cadrant dans les intérêts et les moyens de l’entreprise : « une fois ce carré de sable établi, nous laissons nos employés faire leurs propres recherches pour qu’ils puissent revenir avec des idées nouvelles, dit-il. Vous ne pouvez pas vous contenter de dire «soyez créatifs» parce que les gens vont venir vous voir avec une tonne d’idées qui ne sont pas pertinentes, et c’est une perte de temps. Il faut au contraire être précis sur le mandat que vous demandez aux gens ».
Innover, même en ligne
De la présentation d’une première idée jusqu’au spectacle final, le processus de création du Cirque du Soleil incroyablement collaboratif peut prendre jusqu’à deux ans. Aujourd’hui, l’institution compte 16 spectacles et cherche à réinventer sa stratégie marketing en adaptant cette dernière aux tendances numériques et se positionner comme fournisseur de contenu. « Alors qu’il y a quelques années seulement nous aurions arrêté un camion sur la 5e Avenue à New York pour faire notre publicité, aujourd’hui celle-ci se fait principalement sur des réseaux comme Facebook ou TikTok » affirme Daniel Lamarre.
C’est pour cette raison qu’en avril 2020 le groupe de divertissement a lancé CirqueConnect, un espace de contenu numérique qui présente chaque semaine diverses offres multimédias du Cirque du Soleil. Parmi les différentes offres proposées, on retrouve des retransmissions de spectacles, des séries « behind-the-scenes », ou encore des programmes de condition physiques proposés par les athlètes.
Selon Daniel Lamarre cette nouvelle plateforme rejointe par plus de 70 millions d’utilisateurs constitue une opportunité extraordinaire pour attirer de futurs clients.
Dans le cadre de ces nouvelles fonctions de vice-président exécutif du conseil d’administration, il explique vouloir devenir un « évangéliste de la créativité » parcourant le monde en incitant les gens à devenir plus créatifs.
À ce sujet, Daniel Lamarre a publié un nouveau livre cette semaine, Balancing Acts : Unleashing the Power of Creativity in Your Life and Work. Je prévois analyser celui-ci dans les deux prochaines semaines, soyez à l’affût.