Logo - Les Affaires
Logo - Les Affaires

De gestionnaire de projet à gestionnaire du changement

Marie-Hélène Proulx|Publié le 29 novembre 2019

Seulement 45% des chef de direction canadiens sont préoccupés par les changements de comportement des consommateurs.

D’après les données publiées en 2019 par la multinationale PWC, seulement 45% des chefs de direction canadiens se disent quelque peu ou extrêmement préoccupés par la façon dont les changements de comportement des consommateurs pouvaient affecter leur croissance, alors que sur le marché mondial, 60% se disent préoccupés. Les gestionnaires de projet ont donc du pain sur la planche pour inciter leurs équipes, mais aussi leurs supérieurs, à s’adapter à cette réalité.

Survivre à la nécessité d’innover

Le président du Project Management Institute (PMI) de Montréal, Henri-Jean Bonnis, affirme même que cette incapacité à prendre le virage des changements technologiques, de la mondialisation et de l’accès à une quantité accrue de connaissances expliquait que plusieurs entreprises phares des dernières décennies aient maintenant disparu du paysage.

Tâter le pouls de son équipe

L’étude de PWC indique aussi que 84% des chefs de direction canadiens pensent que l’intelligence artificielle transformera fondamentalement leur entreprise au cours des cinq années à venir.

Mais même si, dans ce contexte, miser sur des approches collaboratives peut alors sembler la solution évidente, Diane-Gabrielle Tremblay, responsable et enseignante au Programme court en gestion de projets créatifs à la TÉLUQ, rappelle que ces approches doivent avant tout être choisies en fonction de ce que l’équipe semble apte à vivre, en termes d’interactions. «On a des approches pour les gens qui aiment beaucoup se mettre de l’avant, faire des choses très actives, mais il y a peut-être des milieux où les gens ne sont pas très proactifs. S’ils ne sont pas extravertis, cela leur conviendra moins». Sans exclure totalement l’appel à la créativité, certains groupes nécessiteront alors des façons de faire moins propices aux confrontations.

Doit-on en conclure que certaines entreprises sont d’emblée condamnées à l’essoufflement, dans cette course à l’innovation? Pas nécessairement, raconte Patrick Girard, chargé de cours à la maîtrise à l’École de science de gestion (ESG), et fondateur de la société Okazy, spécialisée en gestion de projet. Selon lui, plusieurs hauts dirigeants doivent renoncer à voir ces projets se réaliser à la vitesse de l’éclair, ce qui peut même signifier de devoir renoncer, pour un temps, à la réalisation de projets fort prometteurs. «On a peut-être l’argent, mais cela ne veut pas dire qu’on possède toutes les ressources pour livrer ses projets. Les experts ne se créent pas par magie. Et même si vous procédez à des embauches, il y a une courbe d’apprentissage qui fait qu’ils ne seront pas efficaces demain matin».

Monsieur Girard et les autres experts rencontrés s’entendent d’ailleurs généralement sur une durée de deux ou trois ans, avant de parvenir à implanter de nouvelles méthodes de travail ou simplement un type de collaboration plus évolué dans une organisation.

Évoluer lentement mais sûrement

Embaucher des ressources externes ou une sélection de ressources davantage attentives aux aptitudes humaines peut apparaître comme une première façon d’accélérer cette transformation. Ces recrues pourront arriver avec de nouvelles idées et, idéalement, amorcer une nouvelle dynamique grâce à laquelle les gestionnaires et autres employés en place apprendront à se former entre eux.

Karl Lussier a été longtemps consultant, avant de s’inclure à l’équipe des enseignants du Centre de formation en gestion Laurent Beaudoin (CLB), de l’Université de Sherbrooke. Il entrevoit également dans l’intervention du consultant un avantage sur le plan de la neutralité. Les gestionnaires doivent, à son avis, apprendre à faire passer les intérêts associés à une vision globale avant ceux des différents départements. «Parfois, c’est difficile de rassembler les gens autour d’une vision. Et le fait que ce soit un des partenaires qui soit porteur de la démarche pourrait amener des biais ou, du moins, des perceptions de biais dans le processus.»

Lorsque vient le moment d’implanter, par exemple, des méthodes plus agiles ou collaboratives au sein d’équipes rodées à leurs façons de faire, Yvan Petit, vice-doyen à l’international de l’ESG UQAM, suggère d’entamer cette démarche avec de petits succès rapides et plus accessibles. Il ajoute que le fait de chercher à arrimer tous les départements et à briser tous les vases clos d’une grande organisation en une seule étape représente sans doute un défi un peu trop audacieux. «La façon d’introduire la méthodologie Agile dans une organisation est souvent de commencer par un petit projet, par une équipe de six ou sept personnes, pour voir comment cela peut avoir du succès. Graduellement, on répand cette façon de faire à d’autres équipes».

Après les projets, un rituel de bilan, s’il est dûment mis en place, peut aider à constater le chemin parcouru et les avantages d’avoir su mieux faire appel les uns aux autres.

Apprendre, tous ensemble

Pour faciliter cet apprentissage, seulement 16% des chefs de direction auraient choisi d’envoyer leurs équipes en perfectionnement, selon les chiffres de PWC. Mais même avec cette priorisation, les têtes dirigeantes des entreprises doivent être prêtes à mettre la main à la pâte. «Quand un gestionnaire décide d’envoyer ses employés en formation, il ne faut pas le prendre comme un désengagement et se dire ‘Eux, ils vont aller se faire former, ils vont revenir et tout va bien se passer’. Il faut mettre les éléments en place pour faciliter ce changement», soutient Émélie Corriveau, directrice adjointe du Centre Laurent Beaudoin.

«En tant que leader ou en tant que dirigeant d’entreprise, il faut vraiment mettre l’ego de côté et se mettre en mode servir. C’est vraiment une façon de renverser la pyramide de contrôle classique que l’on connaît dans les entreprises pour faire en sorte que le travail d’équipe soit le plus efficace possible», croit Maël Rieussec, coach chez Askida et vice-président de Agile Montréal. Ce dernier croit que les leaders doivent être prêt à renoncer à leur rôle décisionnaire de premier plan pour se mettre au service de tout ce qui pourrait faciliter la démarche décisionnelle autour d’eux.