Au travail, le burn-out peut avoir des conséquences individuelles aussi foudroyantes que dévastatrices. (Photo: Yaoqi pour Unsplash)
Q. — «Je rêve d’avoir des horaires de travail plus souples, mais mon boss ne veut rien entendre. J’aimerais lui présenter des arguments en béton susceptibles de le faire changer d’avis. Par exemple, j’aimerais bien lui dire que des horaires plus souples, ça diminue le risque de faire un burn-out…» – Béatrice
R. — Chère Béatrice, il est vrai que le désir de nombre d’employés de pouvoir bénéficier d’horaires de travail plus souples (possibilité de faire autre chose que du 9 à 5, de télétravailler une journée par semaine, etc.) est encore souvent perçu comme un caprice. Hauts dirigeants et autres gestionnaires ne voient pas ce que ça peut bien apporter à l’entreprise, si ce n’est de potentiels ennuis, comme le risque que l’employé profite d’être chez lui pour faire tout autre chose que ce pour quoi il est payé (ménage, lavage, repassage, etc.). Au mieux, se disent-ils, le fait de «céder à ce caprice» peut éventuellement accroître la fidélité des employés qui en bénéficient.
Kristen du Bois est chercheuse en économie et en psychologie à l’Université de Gand (UGent), en Belgique. Ses travaux portent sur un point précis, les horaires de travail flexibles. Et ce qu’il en ressort devrait vous intéresser au plus haut point, Béatrice…
Dans une étude récente, la chercheuse a suivi durant des mois les 204 employés d’un Ikea implanté en Belgique. Ceux-ci présentaient une particularité: 140 d’entre eux avaient décidé de bénéficier d’un programme mis en place par le gouvernement belge qui autorise ce qu’on appelle «la semaine compressée».
Le principe est simple: les employés font autant d’heures que d’habitude dans la semaine, mais en rallongeant les journées de travail de telle sorte qu’ils puissent faire en quatre jours ce qu’ils faisaient en cinq jours. En gros, les journées de travail sont plus longues, et en échange ils ont une journée de congé supplémentaire, par exemple le vendredi (ce qui permet de bénéficier de fins de semaine de trois jours).
Résultats? Deux faits saillants se dégagent du suivi de ces employés d’Ikea:
– La semaine compressée favorise le désengagement psychologique. C’est-à-dire que les employés qui en bénéficient pensent moins au travail pendant leur temps libre. Et mine de rien, cela a un impact «significatif» sur leur sentiment de bien-être dans la vie en général, y compris au travail. Ils savourent davantage le temps où ils ne travaillent pas, mais aussi celui où ils travaillent.
– La semaine compressée n’atténue pas le risque de burn-out. Les employés qui bénéficient de la semaine compressée peuvent tout autant faire un burn-out que les autres employés.
Dans une autre étude, la chercheuse de l’UGent a creusé ce dernier point. Elle voulait savoir si, de manière générale, les régimes de travail plus courts (par exemple, le travail à temps partiel) étaient associés à un risque plus faible de faire un burn-out, ou pas. Pour s’en faire une juste idée, elle a considéré un échantillon de 1006 travailleurs représentatif de la société belge et a noté, au final, qu’il n’y avait aucune association «significative» entre les deux: des horaires de travail plus souples, ça ne signifie pas moins de risques de faire un burn-out.
L’explication est simple. Elle réside dans le fait qu’assouplir les horaires de travail n’agit pas sur les causes profondes du burn-out. Selon la Société canadienne de psychologie, ces causes peuvent être individuelles: être perfectionniste dans son travail, donner trop d’importance au travail, avoir une faible estime de soi, avoir de la difficulté à déléguer, etc. Elles peuvent également découler de situations particulières que l’on connaît dans son quotidien au travail: surcharge de travail, manque de contrôle sur la manière dont les tâches doivent être exécutées, reconnaissance insuffisante, gestionnaire toxique, etc.
Autrement dit, Béatrice, vous ne pouvez pas approcher votre boss en lui disant qu’assouplir les horaires de travail aiderait à diminuer les risques de burn-out, de votre part ou de celle de vos collègues. Car ce n’est pas vrai.
En revanche, vous pouvez très bien lui présenter d’autres arguments en béton, comme vous dites. Il se trouve en effet qu’une récente étude a été menée au Québec concernant les différents impacts individuels de la semaine de quatre jours sur les travailleurs. Cette étude a été pilotée par Irène Samson, professeure adjointe en psychologie du travail et des organisations à l’Université de Sherbrooke. Elle consistait en une méta-analyse d’une vingtaine d’études scientifiques sur le sujet, et il en est ressorti une liste impressionnante d’effets positifs:
– Productivité. Hausse significative du rendement, de la qualité du travail fourni, de l’efficacité, de la concentration, etc.
– Santé. Diminution significative du stress, du sentiment de fatigue, ou encore de l’irritabilité des gestionnaires à l’égard des employés. En parallèle, hausse significative de la motivation, de l’enthousiasme, ou encore du sentiment de bien-être.
– Satisfaction. Hausse significative du sentiment de satisfaction dans son quotidien au travail.
– Équilibre vie pro / vie perso. Meilleure qualité de vie générale, plus grande implication dans les tâches (au travail comme en famille), diminution des inquiétudes liées à la vie perso, etc.
Voilà, Béatrice. Je vous invite à piger dans cette liste les points positifs susceptibles de faire vibrer une corde sensible de votre boss, puis de les lui présenter à un moment propice. Cela pourrait bel et bien l’amener à y réfléchir plus sérieusement que d’habitude, voire à modifier ses idées reçues. Pour votre bien comme pour celui de vos collègues, et donc pour celui de votre organisation.