Employeurs, et si vous osiez la flexibilité illimitée…
Olivier Schmouker|Publié le 03 septembre 2019Un concept qui peut vous donner des ailes... (Photo: Edu Lauton/Unsplash)
Connaissez-vous Nexus Innovations? Si je vous dis qu’il s’agit d’une firme montréalaise spécialisée dans les services de génie logiciel riche aujourd’hui d’une quarantaine d’employés, je ne vous dis rien de l’essentiel. Il s’agit, en vérité, d’un fascinant laboratoire en matière de management. Explication.
L’autre jour, je suis tombé par hasard sur un billet de blogue de Louis-Philippe Vallée, le PDG de Nexus, diffusé via LinkedIn. Un billet si intéressant que je l’ai lu d’une traite, émerveillé:
– Une politique managériale épeurante. Le problème actuel de Nexus? Aucun candidat à l’embauche ne croit ses recruteurs lorsqu’ils indiquent en entretien que tous les employés bénéficient d’emblée de «vacances rémunérées illimitées». «La méfiance s’installe aussitôt, dit le PDG. Est-ce qu’il y a une entourloupe? Est-ce que nous nous arrangeons pour que personne ne puisse partir quand bon lui semble? Est-ce qu’on peut vraiment prendre, par exemple, trois mois de vacances d’affilée? Les interrogations fusent systématiquement, plus sceptiques les unes que les autres.»
Et d’ajouter : «Nous qui croyions obtenir un «Wow!», nous n’obtenons en général qu’un «Yeah right!». Les «vacances illimitées», ça fait peur au monde!»
– Une explication lumineuse. Les recruteurs de Nexus doivent dès lors justifier leur politique de «vacances illimitées», ce qu’ils font surtout à l’aide d’un argument massue : le but premier est de contrer le présentéisme. «‘Corps présent, rendement absent.’ Ça, nous n’en voulons pas chez nous. Pas question de voir un employé travailler jusqu’à 18h parce qu’il a pris une heure pour amener son enfant chez le dentiste. Car cela est contre-productif et nuit au bien-être», explique M. Vallée.
– Une question d’intelligence. «Ta semaine n’est pas complète? Ce n’est pas la fin du monde, poursuit-il. Tu seras payé de toute façon, et personne ne te demandera de «reprendre ces heures». Parce qu’on part du principe que personne ici n’abusera de la liberté qu’il a de travailler quand ça lui chante : lorsque ton projet, ton client ou ton équipe a besoin de toi, spontanément, tu répondras présent, quitte à faire des heures supplémentaires, au besoin.»
Et de souligner : «La différence avec le présentéisme? Les heures supplémentaires ainsi faites le seront pour une bonne raison aux yeux de l’employé concerné, et celui-ci donnera, du coup, son 110%, au lieu, dans le cas du présentéisme, d’attendre que la cloche sonne.»
Concrètement, cette approche se traduit par trois règles à respecter:
1. Chacun prend des vacances quand il en a besoin.
2. Chacun donne un effort supplémentaire lorsque le projet/client/équipe le requiert.
3. Chacun s’assure d’être en contact avec son équipe, histoire de pouvoir vite répondre présent si jamais le besoin s’en faisait sentir.
Parfait. Tout cela est bien beau en théorie, mais dans la pratique, qu’est-ce que ça donne, les «vacances illimitées»?
Les calculs sur les 12 derniers mois montrent que les employés ont pris en moyenne un total de 4,9 semaines de congé par an. La grande majorité en a pris entre 3 et 4,8 semaines. Seulement deux en ont pris nettement plus, soit 6,6 et 8,4 semaines.
À noter un point intéressant : Gsoft, une autre firme technologique montréalaise, pratique elle aussi la politique managériale des «vacances illimitées», et elle a noté que ses employés prenaient également entre 4 et 5 semaines de vacances par an. À croire que c’est là la «durée normale» dont on a besoin lorsqu’on tripe dans son quotidien au travail…
Par ailleurs, Gsoft n’appelle plus ça des «vacances illimitées» puisque, dans les faits, personne ne part des semaines durant sans donner signe de vie. Il l’appelle plutôt «l’absence de politique de vacances» : les employés n’ont pas de banque de congés, il leur suffit d’obtenir l’approbation de leur équipe pour pouvoir partir au loin le temps qu’ils veulent; l’idée est qu’un congé ne doit jamais avoir d’impact négatif sur un projet en cours ou à venir.
Fascinant, n’est-ce pas? Je vous l’avais bien dit…
Ce n’est pas tout. J’en viens à cette réflexion de Louis-Philippe Vallée, qui résume le tout avec brio:
«La réalité, c’est qu’au lieu de parler de «vacances illimitées», on devrait plutôt parler de «flexibilité illimitée», dit-il. Car notre objectif consiste à mettre en place un environnement de travail dans lequel chacun organise sa semaine comme il le désire, de façon autonome, en ayant l’intelligence de respecter les contraintes inhérentes à son projet/client/équipe.»
Autrement dit, chacun peut travailler depuis chez lui, si ça lui chante. Chacun peut travailler au moment de la journée de son choix, si ça lui chante. Chacun peut régler des affaires familiales au lieu de travailler, si ça lui chante. Ou encore, chacun peut prendre autant de congés qu’il en a besoin, si ça lui chante. À condition, bien entendu, que cela soit concerté et que cela ne nuise en rien au travail collectif.
Un exemple lumineux concernant le souci sincère de Nexus du mieux-être possible de ses employés : chacun est fortement incité à faire au moins deux heures de sport par semaine. Comment? Les heures normales de travail hebdomadaires ont été réduites de deux heures pour tout le monde, histoire d’avoir le temps nécessaire pour entretenir sa forme grâce à l’activité physique de son choix (gym, yoga, hockey…).
Voilà. Les «vacances illimitées» font peur, mais ce n’est pas grave puisqu’il suffit d’adopter, à la place, la politique de «flexibilité illimitée». L’idéal, semble-t-il, pour favoriser l’épanouissement personnel et professionnel des employés.
«La «flexibilité illimitée» est adaptée à la réalité d’aujourd’hui, note le PDG de Nexus. Nous croyons fermement aux bienfaits de redonner aux gens la liberté de gérer eux-mêmes leur temps en fonction de leurs réalités personnelles et professionnelles. Ceux-ci en sont tout à fait capables, il suffit à nous, dirigeants d’entreprise, d’avoir la dose de confiance nécessaire pour arriver à lâcher prise à ce sujet.»
Alors? Chers employeurs, et si, à votre tour, vous osiez la «flexibilité illimitée»…
En passant, le moraliste français Vauvenargues disait : «Il est bon d’être ferme par tempérament, et flexible par réflexion».
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