Employeurs, êtes-vous prêts à aller au-delà du salaire?
Olivier Schmouker|Publié le 08 novembre 2019Un sujet qui fâche, surtout les meilleurs talents... (Photo: Kal Visuals/Unsplash)
BLOGUE. «Pénurie de talents!», «Pénurie de talents!», «Pénurie de talents!»… Aujourd’hui, pas un employeur ne se plaint du manque criant de main-d’œuvre qualifiée. Pas un ne s’arrache les cheveux chaque fois qu’il est contraint de refuser un juteux contrat, sachant pertinemment que son équipe en place ne pourra jamais livrer la marchandise. Pas vrai?
Il est vrai que la démographie – le départ à la retraite des baby-boomers, le faible nombre des milléniaux – ne joue pas en faveur des employeurs. Il est également vrai que la politique anti-immigrants du gouvernement Legault – abaissement drastique des seuils d’immigration, durcissement des conditions d’admissibilité… – leur met des bâtons dans les roues. Cela étant, les employeurs ne gagneraient-ils pas à s’adapter à la nouvelle donne, plutôt que de passer leur temps à se lamenter sur leur sort?
«À mes yeux, il y a clairement un enjeu de comportement pour les employeurs : il leur faut impérativement changer d’attitude en matière d’attraction et de rétention des nouveaux talents, sans quoi ils vont continuer de filer droit dans le mur», a d’ailleurs lancé cette semaine Éric Bélair, gestionnaire, acquisition de talents, de Raymond Chabot Grant Thornton, lors de son animation de l’événement «Pénurie de talents» organisé par Les Affaires.
Changer de comportement, donc? Mais qu’est-ce à dire, au juste?
Le cabinet-conseil en ressources humaines Robert Half a regardé de près un point précis du processus de recrutement des organisations canadiennes : la négociation du contrat d’embauche. Ce qui lui a permis de faire une découverte renversante:
– «NON». 32% des employés canadiens ont déjà renoncé à une offre d’emploi parce que l’employeur n’était pas disposé à discuter des aspects allant au-delà du salaire. À savoir, entre autres, le titre du poste en jeu, les avantages sociaux, ou encore la possibilité de suivre des programmes de formation.
Autrement dit, 1 Canadien sur 3 a déjà dit «non» à un employeur parce que celui-ci refusait de négocier, parce que celui-ci refusait de considérer autre chose que le salaire, parce que celui-ci refusait de faire preuve de flexibilité. Incroyable, mais vrai.
Bien entendu, Robert Half s’est aussitôt retourné vers les employeurs, histoire de vérifier si c’était bien vrai ce que disaient ces talents-là, lesquels avaient été à deux doigts de dire «oui» et – de toute évidence – ne considéreront plus jamais la moindre offre en provenance de ces employeurs-là.
Résultats? Les voici:
– 62% des employeurs canadiens se disent ouverts à une discussion sur le salaire.
– 48%, sur les avantages sociaux.
– 44%, sur les programmes de formation.
– 43%, sur le télétravail et autres arrangements d’horaires de travail.
– 37%, sur le titre du poste en jeu.
Bref, les employeurs vraiment ouverts à une discussion allant au-delà du salaire sont minoritaires. Il y a bel et bien une rigidité palpable chez la majorité des employeurs dès lors que les termes «avantages sociaux», «formation» et «télétravail» sont évoqués. Une rigidité qui a le chic de refroidir les talents qui sont en mesure de dire «non» à une offre, et donc, les meilleurs talents qui soient puisqu’ils savent très bien qu’un autre employeur leur offrira demain matin des conditions de travail propices à leur épanouissement professionnel.
«Pour attirer et conserver les meilleurs, les organisations canadiennes doivent saisir que ce qui est important à leurs yeux va au-delà du salaire, dit David King, président, district principal, de Robert Half. Elles doivent s’ouvrir à des discussions sur, par exemple, l’équilibre entre le travail et la vie privée, les avantages sociaux et les possibilités d’avancement professionnel. Car tout cela est indispensable pour avoir des employés engagés et motivés.»
Et d’enfoncer le clou : «Au lieu d’éviter de telles négociations, les employeurs devraient plutôt les considérer comme une occasion en or de découvrir ce qui favorisera la rétention de leurs meilleurs employés. De renforcer la confiance du candidat envers son nouvel employeur. Et de positiver l’entretien lui-même.»
Voilà. Chers employeurs, si vous avez la fâcheuse impression de voir les meilleurs candidats vous filer systématiquement sous le nez, vous savez à présent pourquoi. Mieux, vous savez comment ajuster le tir dès demain matin. À vous de jouer!
En passant, le dramaturge français Jacques Deval a dit dans Afin de vivre bel et bien : «Le talent est bien souvent le génie découragé».
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