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Et si on parlait franchement de racisme

Olivier Schmouker|Publié le 12 juillet 2022

Et si on parlait franchement de racisme

(Photo: 123RF)

MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudisVous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca

Q. — «Je suis nouvellement gestionnaire et je tombe de haut avec l’équipe qu’on m’a confiée: il y a là des gars carrément racistes. Quand j’ai expliqué que j’étais chargé de recruter pour renforcer l’équipe et que je regardais du côté des Autochtones et des immigrants, vous auriez dû voir les réactions! Sur le coup, je suis resté sans voix. Est-ce que je devrais avoir une discussion franche et ouverte avec l’ensemble de l’équipe à ce sujet, ou pas?» – Jessy

R. — Cher Jessy, votre interrogation m’a tout de suite fait penser au livre «The Conversation: How seeking and speaking the truth about racism can radically transform individuals and organizations» de Robert Livingston. Ce professeur de psychologie à la Harvard Kennedy School est également consultant en matière de diversité au travail, et a prodigué ses conseils à, entre autres, Airbnb, Deloitte, Microsoft, Under Armour, L’Oréal et JPMorgan Chase.

Robert Livingston recommande vivement d’avoir une telle discussion avec son équipe, mais il avertit qu’il ne faut pas s’y prendre n’importe comment. Par exemple, il ne faut pas que le but soit de désigner des coupables, directement ou indirectement. Pour assister à une véritable évolution des uns et des autres concernant les a priori racistes, il convient non pas d’attaquer de front les fautifs, mais plutôt de susciter la réflexion individuelle et collective sur des enjeux liés au racisme grâce au dialogue.

Selon le professeur américain, celui qui se charge d’animer la discussion ne doit pas commettre l’erreur classique qui est de considérer qu’en matière de racisme «tout le monde, ou presque, est sur la même longueur d’onde, à savoir que le racisme n’a pas de place dans la société, et encore moins dans l’organisation dans laquelle ils travaillent tous ensemble». Il lui faut prendre conscience qu’en vérité les gens figurent nécessairement dans l’une des trois catégories suivantes:

– Les dauphins, qui se soucient d’équité et de justice sociale ;

– Les autruches, qui, apathiques ou mal informés, n’ont pas vraiment d’idée sur ce qu’il conviendrait de faire pour diminuer le racisme dans leur organisation ;

– Les requins, qui sont farouchement opposés aux mesures antiracistes.

De manière générale, les autruches sont majoritaires, les dauphins sont minoritaires et les requins sont très minoritaires (mais sont souvent forts en gueule et en imposent donc aux autres). Ce qui signifie que celui qui va animer la discussion va devoir travailler fort, à tout le moins davantage que ce qu’il imaginait, pour intéresser et convaincre de passer à l’action l’entièreté des participants.

Pour y parvenir, un bon truc consiste à recourir à la méthode SPACESS concoctée par Robert Livingston:

– SP pour Sensibilisation au Problème. La discussion doit commencer par l’établissement d’un postulat, à savoir qu’il y a bel et bien du racisme dans notre société, et donc inévitablement au sein de l’organisation elle-même. Pour ce faire, il faut s’appuyer sur des faits, sur des études, sur des statistiques. À noter que cela amènera à bousculer certaines idées reçues, dont une très fréquente, selon le professeur de la Harvard Kennedy School, qui est que «beaucoup de Blancs considèrent que le racisme envers les gens de couleur a nettement diminué dans les pays occidentaux, ces 50 dernières années, à tel point que ce sont maintenant surtout les Blancs qui souffrent de rejets divers et variés».

– AC pour Analyse des Causes profondes. Ensuite, il faut s’accorder sur le fait que le racisme n’est pas le fruit de certaines «brebis galeuses», et donc d’une minorité bruyante, mais qu’il résulte bel et bien de réflexes profondément fichés dans notre société. Pour le réaliser, on peut chercher des exemples concrets au sein de l’organisation (une fois de plus, en veillant à ne pas blâmer qui que ce soit!). Ainsi, on peut faire l’exercice de se mettre dans la peau d’un RH, d’imaginer le cas où il reçoit le CV d’un candidat à l’embauche nouvellement arrivé au pays, et dont le nom étranger est difficile à prononcer (disons, M. Abhijeet Chakravarty), puis de se demander, sérieusement, s’il y a a priori un «fit» de ce candidat avec la culture organisationnelle de l’équipe. (Bien entendu, une telle approche est, en soi, raciste, mais elle présente l’avantage de faciliter la mise en lumière de réflexes insidieux chez les uns et les autres…)

– E pour Empathie. L’étape suivante revient à analyser ensemble un cas concret de discrimination. Si possible, un cas vécu au sein de l’organisation, sinon d’une organisation évoluant dans le même secteur d’activités. L’objectif est de susciter l’empathie chez chacun, c’est-à-dire à permettre à chacun de s’identifier avec la victime et même de ressentir ce qu’elle a subi.

– S pour Stratégie. Le groupe doit poursuivre en réfléchissant à ce qui devrait être fait pour qu’une telle chose ne puisse pas se reproduire, en particulier au sein de l’organisation. L’idée est d’identifier des idées concrètes et réalistes.

– S pour Sacrifice. Vient enfin le temps de prendre la décision de passer à l’action tous ensemble. Par exemple, en votant pour la «meilleure» mesure à prendre, en désignant des responsables et en établissant un échéancier. Ce qui peut amener l’équipe à effectuer un «sacrifice», selon Robert Livingston. Cela peut nécessiter d’investir «temps, énergie et ressources», parfois au détriment d’autres objectifs.

Voilà, Jessy. Vous êtes visiblement un dauphin. N’hésitez donc pas une seconde à prendre le taureau par les cornes, à réveiller les autruches et à brasser les requins. Car, avec un peu de méthode, cela vous permettra de rendre plus belle et plus conviviale votre organisation.