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Et si on repensait nos mesures disciplinaires?

Catherine Charron|Édition de la mi‑octobre 2024

Et si on repensait nos mesures disciplinaires?

Il est difficile de prouver les bénéfices directs des suspensions sans solde pour changer un comportement. (Photo: Adobe Stock)

À la suite de gestes répréhensibles répétés, il n’y a pas que l’employé fautif qui subit les conséquences des mesures disciplinaires qui lui sont imposées. L’entreprise aussi y perd, surtout lorsqu’une suspension sans solde le prive momentanément de l’apport de ce travailleur.

C’est pourquoi Alexandre Pinard et Geneviève Beaudin, respectivement avocat principal et associée au sein du groupe Droit du travail et de l’emploi du cabinet Lavery, ont lancé un appel à l’innovation en matière de gestion disciplinaire lors du Congrès RH 2024 de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés.

D’après eux, il existe différentes avenues pour arriver aux mêmes fins. Il faut à la fois éviter que la personne ne commette des fautes à nouveau et limiter les externalités négatives sur l’organisation qui l’emploie.

« Si notre présentation a suscité autant d’intérêt, c’est parce qu’on se demande s’il n’y aurait pas des solutions alternatives qui pourraient être explorées. Nous ne sommes pas d’avis que le système actuel est mauvais, mais il est perfectible », estime celui qui est également conseiller en relations industrielles agréé.

Au moment de rédiger son mémoire de maîtrise sur la question, Alexandre Pinard réfléchissait déjà depuis quelques années à différentes manières d’amener les employés négligents à respecter les règles sans pour autant cesser leur prestation de service, a-t-il raconté en entrevue avec Les Affaires.

Il était aussi à la recherche de solutions pour réduire les contestations des mesures disciplinaires desquelles découlent habituellement des démarches administratives longues, éprouvantes et chronophages.

« Actuellement, si on veut faire un arbitrage, ce ne sera pas avant l’automne 2025. Et ça, c’est la première date d’audience. Il faudra ensuite trouver en moyenne quatre autres moments où l’arbitre, les témoins, les procureurs, les représentants de l’employeur et du syndicat sont disponibles. […] Le processus complet peut prendre de quelques mois à presque deux ans », rapporte Geneviève Beaudin.

Les trois objectifs des mesures disciplinaires alternatives demeurent les mêmes, précise l’avocat : on tente de punir un comportement jugé inadéquat, de redresser le travailleur fautif, mais aussi de montrer l’exemple au reste de l’équipe.

Or, sa revue de la littérature scientifique lui a montré que le système actuel peine à susciter une meilleure conduite chez le salarié.

Il est par exemple difficile de prouver les bénéfices directs des suspensions sans solde pour changer un comportement. Pendant ce temps, en revanche, la production ou l’offre de service de l’employeur souffre de son absence. La conséquence est parfois « antinomique » avec le geste à corriger.

« Si un employé s’absente pendant une semaine pour aller à la chasse sans autorisation, il faut le sanctionner à son retour. Le renvoyer chez lui sans solde aura l’effet d’une punition économique pour le travailleur, mais aussi pour l’employeur, qui perd ultimement deux semaines de prestation de service », illustre Geneviève Beaudin.

« Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’autres avantages, mais en ce qui concerne la correction du comportement, c’est souvent peu porteur de changement », rapporte Alexandre Pinard.

Des solutions concrètes

D’une part, il a donc tenté de déterminer s’il n’était pas possible d’amener le salarié à reconnaître ses torts et d’évaluer leurs répercussions sur l’organisation, à s’impliquer dans le choix de la sanction et à changer son comportement par la suite. En d’autres termes, à faire preuve d’autodiscipline.

De l’autre, il s’est demandé si les mesures disciplinaires étaient réellement le meilleur moyen de punir un employé désordonné. « Le congédiement restera toujours la finalité quand ça ne fonctionne pas, confirme Alexandre Pinard. On peut jouer sur les types de conséquences imposées, miser sur certaines moins pénalisantes ou qui peuvent présenter d’autres avantages. »

Les avocats ont recensé quelques solutions qui vont en ce sens.

L’entreprise peut par exemple distribuer quatre avis écrits qui se soldent par un renvoi, ou encore miser sur des suspensions réflectives plus courtes que les suspensions sans solde habituelles au cours desquelles il est attendu de l’employé qu’il se réhabilite.

« On peut aussi imposer dix jours de suspension qui seront scindés en deux : on commence par cinq jours, puis si après trois mois on constate que le comportement de la personne s’est replacé, on va de l’avant avec notre clémence et on laisse tomber la moitié de la mesure », ajoute Geneviève Beaudin.

La partie patronale pourrait également offrir des primes pour encourager les bonnes pratiques, ou recourir à un système de points d’inaptitude similaire à celui contenu dans le code de la sécurité routière. Après en avoir accumulé un certain nombre, l’individu serait alors congédié.

Certes, ces mesures ne sont pas adaptées à toutes les situations fâcheuses qui requièrent une action disciplinaire, reconnaissent les avocats de Lavery. En véhiculant leur message, ils espèrent cependant que les employeurs pourront garnir leur coffre à outils des différents leviers afin de maximiser les changements de comportement et limiter les conséquences pour l’organisation du travail.

Les entreprises doivent s’assurer d’informer toutes les parties prenantes de ces ajouts, préviennent-ils. S’ils sont contestés, le tribunal se penchera sur le cadre de la mesure, mais aussi sur les communications qui ont été faites à l’égard de ces modifications à la marche à suivre.

« C’est sûr qu’il va y avoir d’autres changements dans l’avenir, conclut Geneviève Beaudin. Les employeurs doivent être un peu précurseurs et voir ce qu’ils pourraient faire, anticiper à quoi rimera la discipline de demain. »