Prendre vraiment part aux décisions... (Photo: You X Ventures/Unsplash)
BLOGUE. C’est clair, le succès de votre organisation passe nécessairement par vos employés. Par leurs talents, par leur engagement, par leur rendement. Mais voilà, notre façon classique de considérer le fonctionnement d’une organisation fixe, en vérité, des contraintes, pour ne pas dire des limites, à l’expression de leur plein potentiel, et donc, à leur productivité. Si, si…
Prenons un cas concret. Classiquement, une organisation est composée d’employés, de dirigeants et de hauts dirigeants. Et il appartient à la haute direction de prendre les décisions stratégiques – importantes et vitales –, en se montrant plus ou moins à l’écoute des dirigeants, voire des employés. Pas vrai?
Autrement dit, on ne voit jamais un employé participer activement aux réunions de la haute direction, et encore moins avoir droit au chapitre sur des sujets comme, disons, le «GO» ou le «NO GO» pour le lancement d’un nouveau produit, ou encore la rémunération du PDG. Pas vrai?
Et si on changeait la donne… Oui, et si les employés étaient invités aux réunions de la haute direction… Et s’ils occupaient même des sièges permanents au conseil d’administration (CA)… Serait-ce si fou que ça?
Il se trouve – tenez-vous bien! – que c’est justement le cas en Allemagne. Pour la grande majorité des entreprises cotées en Bourse, il est obligatoire que le tiers des sièges du CA soient occupés par des représentants des employés, désignés par ceux-ci sans la moindre interférence de la direction.
La question saute aux yeux : pis? Ça marche, ou ça ne marche pas, cette implication «extrême» des employés?
Simon Jäger est professeur d’économie au MIT, à Cambridge (États-Unis). Avec les économistes Benjamin Schoefer, de l’Université de Californie à Berkeley (États-Unis), et Jörg Heining, de l’Institut de recherche sur l’emploi, à Nuremberg (Allemagne), il a analysé la performance des entreprises allemandes concernées par ce point, et a pu déterminer si cela avait un impact positif ou négatif. Regardons l’étude intitulée «Labor in the boardroom» ensemble…
Les trois économistes allemands ont noté une date cruciale pour l’économie allemande, celle du 10 août 1994. Que s’est-il passé ce mercredi-là? Une modification importante a été apportée à la réglementation sur les entreprises : désormais, les nouvelles entreprises cotées en Bourse (Aktiengesellschaften et Kommanditgesellschaften auf Aktien) ne seraient plus obligées d’avoir des représentants des employés sur leur CA, à moins de compter au moins 500 employés. L’intérêt pour les trois chercheurs allemands : il devient possible de comparer à grande échelle la performance d’entreprises où les employés sont impliqués dans les décisions stratégiques et celle des entreprises similaires où les employés n’ont, eux, pas droit au chapitre; et donc, d’évaluer avec précision l’impact de l’implication «extrême» des employés.
[Source: «Labor in the boardroom», 2019]
Bon. Le résultat de tout ça? Je vous le donne sans tarder:
– Des entreprises plus riches. Le capital fixe (machines, équipement, bâtiments…) des entreprises dans lesquelles les employés sont impliqués est, en général, de 40% à 50% plus élevé que celui des autres. Ce qui contredit la «théorie du hold-up» concoctée par l’économiste britannique Paul Grout en 1984, qui veut que si on s’aventurait à confier davantage de responsabilités décisionnelles aux employés, l’entreprise verrait alors fondre comme neige son capital fixe, leur réflexe étant, d’après lui, de se partager entre eux ce qu’il y a dans les caisses plutôt que d’investir dans les capacités de production de l’entreprise.
– Des employés plus talentueux. L’implication décisionnelle des employés ne se traduit pas par une hausse significative de l’emploi. Ce qui prend le contre-pied de l’idée reçue selon laquelle les employés, s’ils le pouvaient, recruteraient à tour de bras afin que chacun trime un peu moins qu’auparavant. En revanche, cela se traduit par une hausse de la compétence de chaque employé : leur réflexe est, en vérité, de rendre plus facile l’accès aux programmes de formation; et lorsqu’il convient de recruter, d’embaucher des personnes plus compétentes que celles actuellement en poste, tout en veillant à la complémentarité des talents.
– Des entreprises plus compétentes. Les entreprises où les employés sont impliqués confient moins de tâches à l’externe, et donc davantage à l’interne. Autrement dit, on y fait davantage appel aux différents talents qui y évoluent que dans les autres entreprises.
– Des employés plus productifs. Ces mêmes entreprises voient la productivité individuelle de chaque employé boostée de 16% à 21% par rapport aux entreprises où les employés ne sont pas particulièrement impliqués. Comment cela se fait-il? C’est que d’une part l’engagement individuel et collectif y est plus élevé, et d’autre part, les talents individuels et collectifs s’y expriment mieux.
– Des rémunérations inchangées. L’implication des employés ne change pas «de manière significative» la rémunération des employés : les sommes versées globalement au 25e percentile (les 25% d’employés les moins bien payés) sont grosso modo les mêmes, que l’entreprise implique franchement ses employés, ou aucunement; même chose pour le 75e percentile (les 25% d’employés les mieux payés). Comme quoi, il est erroné de croire que le réflexe des employés serait dès lors de s’en mettre toujours plus dans les poches, en particulier au détriment des dirigeants et des hauts dirigeants.
Fascinant, n’est-ce pas? Je vous l’avais bien dit.
«L’implication des employés dans les instances de la haute direction contrebalance l’influence des actionnaires. En ce sens que l’accent est alors davantage mis sur l’avenir à moyen et long termes de l’entreprise, et non plus sur le seul rendement à court terme : investissements et innovations deviennent ainsi les vraies priorités», a d’ailleurs dit dès 2004 Berthold Huber, à l’époque vice-président d’IG Metall, le syndicat allemand qui représente les ouvriers de l’industrie métallurgique, du textile et de l’habillement ainsi que du bois et du plastique. Comme quoi, même s’il n’avait pas les résultats de l’étude des trois chercheurs allemands, il sentait bien que l’implication «extrême» des employés avait du bon pour tout le monde.
Bref, impliquer ses employés, c’est bon, ça peut même être très bon. Pour l’entreprise, pour les hauts dirigeants, pour les dirigeants, pour les employés. Pour tout le monde, quoi. Alors, pourquoi vous en priver? Oui, pourquoi vous empêcher d’enrichir votre organisation, dans tous les sens du terme puisque le véritable capital est humain, social et financier? À bon entendeur, salut!
En passant, le philosophe suisse Alexandre Jollien a confié, dans le cadre d’une entrevue accordée au magazine Elle en août 2007 : «Grandir n’est pas s’enrichir de quelque chose de nouveau, mais découvrir ce que l’on a déjà à l’intérieur».
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