Nombre de gestionnaires se plaignent de ne pas avoir les ressources et le temps nécessaires pour pouvoir performer. (Photo: Nik pour Unsplash)
MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. – «Ça fait deux années que je suis gestionnaire, ça fait deux années que j’ai perdu le fun de travailler. Je passe mon temps à éteindre des feux et à régler des chicanes dignes d’une cour d’école, et je n’en peux plus. Est-ce que c’est moi, ou la job de gestionnaire?» – Anik
R. – Chère Anik, laissez-moi vous parler d’une récente étude mondiale du cabinet-conseil McKinsey, qui porte sur un millier de gestionnaires. Je suis sûr que ça va vous intéresser.
L’étude ne s’intéresse pas directement au niveau de satisfaction des gestionnaires, mais elle l’aborde indirectement en ce sens qu’elle concerne les épines qui se fichent souvent dans leur pied dans leur quotidien au travail. Et surtout, elle indique ce qu’il est possible de faire pour leur rendre la vie plus agréable.
Pour commencer, les experts de McKinsey ont réalisé qu’en général les gestionnaires passent, malgré eux, «la moitié de leur temps à des tâches non managériales», en dépit du fait que «le rôle fondamental d’un gestionnaire consiste à piloter et développer l’équipe» dont il a la responsabilité afin que chacun puisse atteindre ses objectifs individuels et collectifs.
Qu’est-ce qui gruge la moitié de leur temps? En général, un gestionnaire consacre, au total, une journée entière de sa semaine à des tâches purement administratives (gestion du calendrier commun, gestion des courriels, préparation de rapports, supervision de l’entretien du matériel et des fournitures de bureau, etc.). Idem, ils sont amenés à agir plus comme un «contributeur individuel» que comme un coach: ils se chargent souvent d’apporter l’expertise technique nécessaire à l’atteinte des objectifs collectifs (conseils pratiques auprès des employés qui ne maîtrisent pas telle ou telle tâche, solutions aux problèmes rencontrés par les uns et les autres, etc.). Mine de rien, cela accapare en général le tiers de leur temps de travail.
Résultat? Nombre de gestionnaires n’ont pas l’impression d’apporter une vraie valeur ajoutée, le «petit plus» qui permet à une équipe de faire une véritable différence. Pis, ils ont l’impression que la haute direction n’y tient pas tant que ça, car celle-ci, estiment-ils, ne fait pas grand-chose pour changer la donne: 35% des gestionnaires interrogés par McKinsey disent ne pas disposer des ressources et du temps nécessaires pour performer, en particulier pour mener à bien leurs tâches managériales.
Ce n’est pas tout. Lorsqu’ils finissent par trouver un peu de temps pour coacher les membres de leur équipe, les gestionnaires sont souvent déçus par les piètres résultats que ça donne. Seulement 20% d’entre eux estiment que la haute direction les aide à réussir en matière de gestion du personnel. Et 42% affirment tout de go que la haute direction ne les a pas adéquatement préparés à agir en bon gestionnaire, pour ne pas dire en bon coach.
Bref, la plupart des gestionnaires se sentent coincés entre l’arbre (l’équipe) et l’écorce (la haute direction). Et, sans surprise, ils le vivent mal.
– 44% des gestionnaires se plaignent d’être écrasés par les tâches administratives;
– 26% se plaignent d’employés sous-performants;
– 26%, de leur supérieur hiérarchique immédiat, qui a un impact négatif sur l’équipe;
– 25%, du départ des meilleurs éléments de leur équipe, la haute direction n’ayant pas su leur offrir ce dont ils avaient besoin pour performer au quotidien;
– 22%, du ou des employés qui ont une influence négative sur l’équipe;
– 22%, des directives inutiles provenant de leur supérieur hiérarchique immédiat;
– 22%, de la surcharge de travail;
– 22%, du manque d’autonomie;
– 17%, de désaccords répétés avec la haute direction;
– 12%, des directives inutiles provenant de la haute-direction.
Vous voyez, Anik, vous n’êtes pas la seule gestionnaire à avoir la sensation de vivre un enfer au quotidien!
Maintenant, comment peut-on envisager de corriger le tir? Voici ce que suggèrent les gestionnaires interrogés par McKinsey:
– 30% d’entre eux aimeraient jouir de davantage d’autonomie, notamment dans la prise de décision;
– 29%, avoir des responsabilités accrues, notamment dans l’attribution des dossiers;
– 28%, avoir la possibilité d’être reconnus par l’entremise d’un bonus ou d’une augmentation salariale;
– 26%, avoir la possibilité d’être reconnus par l’entremise d’une promotion;
– 22%, avoir la possibilité de suivre un programme de formation (leadership, management, etc.);
– 18%, avoir la possibilité d’être reconnus par l’entremise d’un événement interne soulignant les bons coups des uns et des autres;
– 4%, avoir la possibilité d’être reconnus par l’entremise d’un prix (place de concert, souper à un bon restaurant, etc.).
Quant aux experts de McKinsey, ils recommandent à toute haute direction digne de ce nom d’agir à l’aide de trois leviers:
– Accorder plus de temps pour agir en coach. Car les gestionnaires peuvent apporter une vraie plus-value en comprenant, conseillant et soutenant les membres de leur équipe.
– Alléger les tâches administratives. Car la bureaucratie est pour eux comme un boulet qu’il leur faut traîner de peine et de misère.
– Offrir des incitatifs personnalisés. Car les gestionnaires manquent cruellement de reconnaissance, semble-t-il.
Voilà, Anik. Votre quotidien peut changer, pour le mieux, ça va de soi. Voilà pourquoi je vous invite à faire lire cette chronique à la haute direction de votre organisation. Qui sait? Cela pourrait amener certains de ses membres à méditer sur la réalité de la vie de gestionnaire, et par suite à mettre en place différentes mesures visant à vous aider à rendre votre travail à la fois plus agréable et plus efficace.
En passant, le tragique grec Euripide a dit dans «Oreste»: «Le changement est toujours agréable».