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Foutus trous de mémoire!

Olivier Schmouker|Publié le 07 octobre 2021

Foutus trous de mémoire!

Lisez-les. Relisez-les. Relisez-les encore une fois. Plongez-vous vraiment dedans, et ça viendra tout seul. (Photo: Mathias North pour Unsplash)

MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudisVous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca


Q. – «On attend de moi que je maîtrise mes dossiers, que je sois à jour sur tout, que je sois incollable sur les chiffres clés. Mais rien ne veut rester dans mon fichu cerveau, j’oublie les informations importantes, et ça paraît lors des réunions…»Claire

R. – ­Chère Claire, j’ai une anecdote lumineuse pour vous. Un beau jour de 1867, l’écrivain russe Fiodor Dostoïevski s’est planté devant Le Corps du Christ mort dans la tombe du peintre allemand Hans Holbein le Jeune, au musée d’Art de Bâle (Suisse). Il a été littéralement subjugué par ce tableau grandeur nature, d’un réalisme cru, qui montre le cadavre de Jésus-Christ avec des signes de putréfaction sur le visage, les mains et les pieds. À tel point que sa femme, lassée, a fini par le tirer par la manche, au bout d’une demi-heure.

Des mois plus tard, Dostoïevski a été capable de décrire cette toile avec une incroyable précision dans L’Idiot, publié en feuilleton en 1868 et 1869 dans Le Messager russe. Les détails qu’il en donne sont quasi photographiques; aujourd’hui, un écrivain téléchargerait l’image du Christ mort sur son ordinateur et serait capable d’en dévoiler les moindres détails, mais au XIXe siècle l’écrivain russe n’avait à sa disposition que sa mémoire.

Comment Dostoïevski a-t-il réussi un tel tour de force? Avait-il une mémoire absolue? Sûrement pas. En vérité, il était comme vous et moi, si ce n’est que, par la force des choses, il n’a pas misé sur la technologie pour garder en mémoire des informations importantes, mais bel et bien sur son cerveau.

L’écrivain russe s’est «immergé» dans la toile, estime l’auteur et entrepreneur suisse Rolf Dobelli dans son livre Die Kunst des guten Lebens (Piper Verlag, 2017). Oui, il a fait ce que nous ne faisons plus de nos jours : passer du temps à observer, détail après détail ; sans compter notre temps ; sans même voir le temps passer.

«À présent, je ne lis plus un livre une fois, mais toujours deux fois. Car au lieu d’en retenir 3% des informations, j’en retiens maintenant 30%», note Rolf Dobelli, en soulignant qu’une lecture «lente et concentrée» permet de surcroît d’approfondir la compréhension du texte. 

Par conséquent, ma chère Claire, consacrez davantage de temps à vos dossiers importants. Lisez-les. Relisez-les. Relisez-les encore une fois. Plongez-vous vraiment dedans, et ça viendra tout seul : votre cerveau grappillera des informations ici et là, puis il sera en mesure de les ressortir au moment opportun.

Bref, chère Audrey, ouvrez-vous à l’imprévu et vous verrez débouler l’inopiné !