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Janie Béïque: se donner les moyens de ses ambitions

Camille Robillard|Édition de la mi‑septembre 2023

Janie Béïque: se donner les moyens de ses ambitions

Janie Béïque, PDG du Fonds de solidarité FTQ (Photo: courtoisie)

LE TÊTE-À-TÊTE. Le 23 juin, le Fonds de solidarité FTQ a soufflé ses 40 bougies. Inspirée par l’idée audacieuse derrière la création du réseau d’investissement, Janie Béïque, PDG depuis 2021, oriente ses actions autour de trois grands thèmes : le développement durable, la retraite et ce qu’elle aime appeler « les rendements sociétaux ». Entrevue avec une femme qui aspire à être courageuse et ambitieuse, comme les leaders qui l’ont précédée.

 

Quels sont les moments forts des 40 dernières années du Fonds?

La chose la plus exceptionnelle, et on la sous-estime, c’est à quel point l’idée derrière le Fonds était énorme. À sa création, en 1983, il était à l’avant-garde de ce qu’on appelle aujourd’hui les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance). On faisait des bilans sociaux, on se préoccupait des divers partis prenants d’un écosystème. On était une B Corp — des entreprises qui agissent dans l’intérêt public général — avant le temps, parce que c’était déjà dans notre loi, dans notre mission, dans nos valeurs de ne pas reposer notre succès uniquement sur notre rendement financier. On a pris des placements minoritaires dans des entreprises, chose qui n’était vraiment pas commune à l’époque. On faisait de la formation économique en entreprise parce qu’on désirait que les travailleurs s’impliquent dans leur succès. Tous ces éléments précurseurs mélangés avec l’ambition de lever 100 millions de dollars en capital, la majorité des gens pensaient que ça n’avait aucun sens. Quarante ans plus tard, le projet a fonctionné avec 18 milliards de dollars (G$) d’actifs.

Je dirais donc que le plus bel accomplissement, quand je regarde les 40 ans du Fonds, c’est la créativité et l’audace que les gens ont eu de faire quelque chose d’exceptionnel et qui fonctionne encore 40 ans plus tard. Cet ADN de créer, de vouloir changer les choses, de vouloir innover, de vouloir faire de grandes choses, existe encore. On est parti petit, et plus les moyens du Fonds augmentaient, plus la taille des projets et des défis auxquels on s’attaquait était importante. Cette volonté d’avoir un effet positif, de changer les choses dans la vie des gens et dans la vie des entreprises, c’est le fil conducteur d’un chemin qui n’est pas parfait. Mais c’est ça qui est fascinant. À quel point cette vision, qui était vraiment audacieuse en 1983, perdure et est si profondément implantée dans l’organisation.

 

Quelles sont vos plus grandes fiertés depuis que vous avez été nommée PDG?

Ce dont je suis le plus fière, ce sont les objectifs qu’on s’est donnés pour les cinq prochaines années.

Premièrement, on vise 12 G$ d’actifs en développement durable. C’est énorme. Si je regarde les actifs du Fonds aujourd’hui, on en a dans les entreprises privées et dans des entreprises publiques, mais toute la notion de développement durable n’est pas encore inculqué au sein des entreprises. Ce montant va nous donner l’occasion de former et d’accompagner les entreprises dans la transition qu’elles vont devoir mettre en place pour être plus responsables dans leurs activités.

On a également un volet sur la retraite. On le sait, au Québec, on crée les retraités les plus pauvres de tout le Canada. Parmi les gens qu’on va recruter comme nouveaux actionnaires, on a décidé de faire une place particulière à des personnes pour qui il est plus compliqué d’épargner.

Finalement, on concentre nos actions autour de six axes qu’on appelle des « rendements sociétaux ». Je sais que l’expression n’existe pas, mais pour moi, elle reflète ce qu’il y a derrière. Je suis tannée qu’on évalue une institution ou une entreprise uniquement par son rendement financier. Je pense qu’on doit regarder ses retombées dans la société.

Donc, le premier thème, c’est la retraite. J’en ai parlé, ça fait partie de notre mission de sensibiliser les travailleurs à l’importance d’épargner, tout en les aidant. Le deuxième, c’est la croissance durable. On accorde une place importante au développement durable et à la durabilité des entreprises, notamment par l’entremise du repreneuriat et le maintien des sièges sociaux. Il y a également toute la question de l’immobilier durable. Nous avons une pénurie de logements, entre autres de logements abordables, communautaires, etc. C’est donc une de nos priorités. L’année passée, on s’est engagé à construire 1000 logements. Aujourd’hui, on vise plutôt 1400. On souhaite continuer à financer des projets en gardant en tête qu’il faut construire mieux, en diminuant notre empreinte carbone. Ensuite, il y a toute la question de l’attraction et de la rétention de main-d’œuvre. Comment peut-on aider les entreprises à tirer profit de la situation, à garder leur personnel et à le mobiliser ? Finalement, les deux derniers thèmes, ce sont les transitions technologique et environnementale. Donc, l’histoire derrière nos grands axes, c’est : on veut des emplois. Si on veut des emplois, ça prend de bonnes entreprises. Si on veut de bonnes entreprises, elles doivent prendre le virage technologique et environnemental qui va assurer leur survie. Ces mêmes entreprises doivent être attrayantes pour les employés. Si tu veux attirer les employés, ça prend du logement parce que s’il n’y a pas de logements, les gens vont aller ailleurs.

 

Lire la suite de l’entrevue: Depuis que vous êtes arrivée, vous avez nommé plusieurs femmes à des postes de gestion. Pourquoi était-ce important pour vous?

Depuis que vous êtes arrivée, vous avez nommé plusieurs femmes à des postes de gestion. Pourquoi était-ce important pour vous?

Le premier projet auquel je me suis attaqué, c’est la nomination de femmes sur les conseils d’administration des entreprises au sein desquelles on investit. La plupart des organisations ont ce qu’on appelle en anglais un « best effort » de 30 %. Moi, j’ai plutôt obligé à ce que 40 % de nos postes de direction soient occupés par des femmes. Ma recette n’est pas compliquée. Les premiers hommes que mes équipes ont voulu soumettre, je les ai refusés. Ils ont compris que j’étais sérieuse. Pour moi, c’est juste une question de sortir de son réseau naturel. Il y en a plein de femmes qui sont compétentes et qui peuvent apporter énormément. Je suis fondamentalement convaincue que plus tu t’attaques à de gros problèmes, plus tu as de gros projets en tête, plus ça prend une diversité d’opinions pour arriver avec la meilleure solution.

 

Un autre de vos chevaux de bataille, c’est la lutte contre la violence conjugale. De quelle manière comptez-vous la faire avancer?

Jusqu’à présent, nous avons fait plusieurs dons de capital et des visites pour comprendre les besoins réels des organismes. J’ai quelques idées plus concrètes en tête, mais je ne peux pas encore les partager. Cependant, l’idée, pour moi, c’est vraiment d’utiliser l’expertise qu’a le Fonds dans différentes sphères, comme en immobilier, pour voir au-delà des dollars ce qu’on peut faire pour créer des projets qui vont aider ces personnes. Ces dernières, comme plusieurs autres, sont très touchées par la situation économique et beaucoup de femmes retournent dans leur milieu violent parce qu’elles n’ont pas les moyens de se loger et de fonctionner avec le coût de la vie élevé. Au-delà du fait de donner de l’argent à ces organismes, il faut travailler sur les causes profondes.

 

Que souhaitez-vous pour les 40 prochaines années du Fonds?

J’espère que dans 40 ans, les gens vont regarder ce qu’on a fait aujourd’hui et qu’ils vont se dire qu’on avait du courage et de l’audace. Qu’on a réfléchi et abordé les choses de façons différentes. Qu’on a été humains et solidaires dans notre manière de faire. Je souhaite que ce que nous avons entrepris existe encore. Nous avons une vision à long terme, et je veux que tout ce qu’on accomplit, on en soit encore fiers dans 15, 20 et 25 ans. J’espère qu’on va avoir encore le courage de nos idées, le courage de rêver, le courage de penser à long terme, le courage d’être audacieux dans nos choix.