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Marie-Eve Landry

Concilier entrepreneuriat et équilibre

Marie-Eve Landry

Expert(e) invité(e)

J’entreprends, donc je suis

Marie-Eve Landry|Publié il y a 15 minutes | Mis à jour il y a 12 secondes

J’entreprends, donc je suis

(Photo: Adobe Stock)

EXPERTE INVITÉE. Près de 87% des entrepreneurs mentionnent que leur entreprise fait partie de leur identité et 94% indiquent avoir peu d’intérêts dans leur vie autre que leur entreprise.

Entreprendre peut constituer une aventure absolument fabuleuse, à condition que le rôle entrepreneurial n’asservisse pas complètement l’humain qui existe, respire, rêve et aime plus grand que nature sous les beaux habits du bâtisseur.  

Le gouffre de la servitude

«Quel rôle joue ton entreprise dans ta vie aujourd’hui?»

«Je n’en ai plus aucune idée. Mais je sais que je ne voulais pas que les choses se passent comme ça.»

C’est la réponse que j’entends de la part de nombreux entrepreneurs qui prennent place dans le fauteuil en face du mien. Ils sont plusieurs à avoir perdu le sens de leur projet entrepreneurial, perdu le sens de leurs efforts quotidiens et ils sont nombreux à se sentir égarés, à avoir l’impression d’être devenus les serviteurs d’une mission entrepreneuriale qui les dépasse.

Dans un environnement social et économique où la mission initiale même de l’entreprise se trouve parfois diluée, voire éclipsée par des enjeux de performance financière, il n’est pas surprenant de voir le rôle de l’entrepreneur lui-même au sein de sa propre entreprise changer.

Et cela ne se fait pas toujours pour le bien du principal concerné.

Sans une vigilance aiguisée, le rôle inspirant de visionnaire, de développeur et de semeur d’espérance se désincarne graduellement et amèrement pour migrer vers des tâches parfois sans valeur ajoutée en regard des talents de ce dernier, des exécutions parfois insipides aux yeux de celui qui voit généralement loin et des corvées trop souvent irritantes et contraignantes.

Entrevue initialement par la plupart comme un moyen qui permettra de changer le monde, l’entreprise devient doucement maître des minutes de l’entrepreneur lui-même, devenant ainsi malgré lui le moyen dédié à son entreprise pour qu’elle puisse exister.

Aucun bâtisseur n’entreprend un projet d’entreprise avec comme vision de devenir un serviteur. Mais nombreux sont ceux à s’y engouffrer malgré eux.

Engagement et servitude, deux choses très différentes

L’engagement envers la mission de l’entreprise est un ingrédient sine qua non de la réussite entrepreneuriale. Avoir confiance en son projet, avoir espoir que les efforts mèneront à des résultats, être déterminé à surmonter les écueils qui se présenteront et ressentir un attachement sincère à ses réalisations permettent de réaliser l’impossible.   

La posture de servitude face à son entreprise, quant à elle, est un élément hautement actif de l’épuisement. S’investir au point de renoncer à toutes les autres facettes de soi-même, se sentir obligé, astreint et condamné par les opérations, les aléas, les soubresauts de son entreprise est une atteinte directe à la liberté et à l’émancipation.

Ainsi, à la suite d’échecs répétés pour tenter de reprendre le dessus, certains entrepreneurs en viennent à internaliser un sentiment d’absence de contrôle sur leur environnement. Ce qui parfois va amener ces derniers à se résigner et à perdre espoir que les choses puissent changer, même lorsque leur environnement évolue.

Ce phénomène se nomme l’impuissance apprise. Et lorsque ce sentiment émerge en soi, il est impératif d’agir pour ne pas sombrer dans un état dépressif.

Réinvestir son sentiment de cohérence

Basculer de la servitude et du sentiment d’impuissance à l’engagement positif est possible. Cela requiert, notamment, de réinvestir son sentiment de cohérence.

Ce sentiment représente une vision et une attitude globales face à la vie et il se manifeste, notamment, par une assurance omniprésente face à l’adversité.

De façon plus spécifique, il fait référence à la capacité d’un individu à comprendre son environnement, à maîtriser les situations rencontrées et à donner du sens à ce qui lui arrive.

Il permet entre autres aux entrepreneurs de bien gérer le stress, de réfléchir sainement et d’utiliser efficacement leurs ressources personnelles et celles reliées à leur environnement afin de faire face avec dynamisme aux problèmes rencontrés.

Plus ce sentiment de cohérence est élevé, plus les individus perçoivent leur vie comme étant harmonieuse, plus le niveau de stress perçu est faible et meilleures sont la santé physique et la santé mentale.

Alors, installe-toi dans ton fauteuil, je prends place dans le mien. Voici quelques questions qui nécessiteront une réflexion pour t’aider à augmenter ton sentiment de cohérence et à retrouver une posture entrepreneuriale à la hauteur de tes besoins.

  • Comprendre son environnement

Quels sont les éléments qui te permettent de te sentir en harmonie ou en décalage avec ton environnement?

Qu’est-ce qui te maintient (les freins ou les obstacles) dans une posture entrepreneuriale inconfortable?

Quels aspects de ton environnement manquent de clarté et qu’as-tu besoin de clarifier pour dissiper le brouillard?

Qu’est-ce qui est prévisible et structuré dans ta vie entrepreneuriale et qui fonctionne bien pour toi?

  • Développer son sentiment de maîtrise

Quelles sont les ressources à ta disposition pour faire face aux défis de ta vie entrepreneuriale?

Qui sont tes alliés pour t’aider à surmonter les obstacles que tu rencontres?

Quelles sont tes forces et tes compétences qui te permettent de bien gérer les situations?

Que dois-tu cesser de faire pour pouvoir investir pleinement les fonctions qui te nourrissent en tant qu’entrepreneur?

  • Donner du sens aux événements

Quelles sont les priorités les plus importantes et signifiantes de ta vie entrepreneuriale?

Qu’est-ce qui te motive et augmente ton plaisir au travail?

Envers quoi as-tu profondément envie de t’engager pour le bien de ton entreprise et de toi-même?

Quels apprentissages retires-tu des épreuves que tu traverses?

Redonner à l’entreprise son juste rôle

Idéalement, l’entreprise devrait représenter un moyen pour permettre à une vision d’être concrétisée, à un rêve d’être réalisé ou à une aspiration d’être atteinte.

En faire une fin absolue en soi peut mettre les entrepreneurs qui la font naître et grandir à risque de s’y perdre et de s’y oublier.

La fonction première d’une entreprise est de servir la société et des humains qui la composent. Restons vigilants pour ne pas inverser les rôles.     

Important : Le contenu de cet article est ici simplifié et ne peut être considéré comme une information exhaustive sur le sujet ni comme une recommandation spécifique individuelle. Si vous ressentez de la détresse psychologique ou que vous rencontrez des difficultés à bien fonctionner, il est recommandé de consulter un professionnel de la santé.


Sources:

Antonovsky, A. (1987). Unraveling the Mystery of Health : How People Manage Stress and Stay Well, Jossey-Bass, San Francisco.

Debray, C., Ben Aissa, H., & Ben Hamouda, I. (2016). Relations entre sentiment de cohérence des dirigeants de PME et leur perception du sentiment de solitude. Dans Actes du 13e Congrès International Francophone en Entrepreneuriat et PME (CIFEPME).

Institut d’entrepreneuriat HEC Montréal – BNC (2023). Guide santé et bien-être entrepreneur

Peterson, C., Maier, S. F., & Seligman, M. E. P. (1993). Learned helplessness: A theory for the age of personal control. Oxford University Press.