«Ces multiples coups de gueule, débats et intrigues autour de la langue ont de quoi nous tenir en haleine, vous ne trouvez pas?» (Photo: 123RF)
EXPERTE INVITÉE. Notre langue française fait les manchettes régulièrement depuis des décennies, mais j’ai remarqué depuis un certain temps que le volume de reportages, de lettres d’opinion et de chroniques atteint des sommets. Surtout depuis la révision de la Charte de la langue française (projet de loi 96 devenu la loi 14).
Je le remarque parce que c’est une déformation professionnelle; je suis une langagière de métier et j’accompagne les entreprises dans leurs efforts pour se conformer à la Charte. Je suis constamment à l’affût de nouvelles de cette nature et je dois dire que j’ai été servie à souhait ces derniers temps.
Jetons un coup d’œil sur les plus récents rebondissements en la matière. Allez! Sortez votre pop-corn et votre bière d’épinette, c’est parti!
La traduction en trame de fond
D’abord fin décembre, on apprenait que les nouvelles exigences de la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français faisaient, semble-t-il, fuir les entreprises hors du Québec. L’article rapportait notamment les positions du Conseil du patronat du Québec (CPQ) et de la Fédération canadienne des entreprises indépendantes (FCEI).
Le CPQ blâmait entre autres la pénurie de traducteurs et traductrices, « ce qui a pour effet de ralentir la capacité des entreprises à s’adapter à cette réforme de la Charte de la langue française ».
Croyez-en une traductrice de formation, la profession a le dos large.
Selon le CPQ, les effets négatifs des nouvelles exigences réglementaires sur la productivité de plusieurs entreprises les pousseraient à quitter la province.
De son côté, la FCEI évoquait les coûts importants qu’entraînerait l’obligation d’entreprendre une démarche de francisation pour les PME employant entre 25 et 49 personnes, alors que cette obligation se limitait auparavant à celles qui en employaient 50 et plus.
On comprend donc que, selon certaines organisations, l’investissement en francisation ne rapporterait pas assez au box-office.
Cela dit, afin de faire bonne impression, les deux organisations se sont empressées d’affirmer qu’elles étaient en faveur de l’utilisation du français.
Une réplique assassine
En réplique à cet article, le président sortant de l’Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec rappelait que les obligations d’utiliser le français dans la province (et même au Canada) ne dataient pas d’hier. Il ajoutait que l’exigence d’utiliser la langue du marché pour faire des affaires n’était pas unique au Québec. « En Italie, en Allemagne et en Turquie, la vie se déroule en italien, en allemand et en turc. » Il est donc tout à fait normal d’adopter la langue locale quand on veut y brasser des affaires.
Comme dirait l’autre: à Rome, on fait comme les Romains.
Ensuite, coup de théâtre: on a appris que le projet de règlement sur l’affichage public publié le 10 janvier dernier avait fait réagir jusqu’à Washington, imaginez! L’administration Biden a exprimé ses préoccupations face à certaines dispositions qui viennent resserrer les exigences linguistiques dans l’affichage public.
Rappelons que selon le projet de règlement, les commerces ayant pignon sur rue au Québec auraient jusqu’en juin 2025 pour s’assurer que le français occupe deux fois plus d’espace que toute autre langue sur leurs affiches, vitrines et enseignes.
Sans surprise, les réactions n’ont pas tardé à Ottawa comme à Québec. Le Bloc québécois a défendu cette approche dans une lettre adressée au secrétaire d’État américain. De son côté, le Parti libéral du Canada a rappelé que les entreprises étrangères qui veulent s’installer au Québec doivent adopter le français. La CAQ a pour sa part assuré vouloir « offrir un accompagnement de qualité aux entreprises qui ont des questions sur le droit linguistique québécois. » Ce sera donc à suivre.
La saga se poursuit
Le 16 janvier, l’administration Plante désignait le Quartier latin de Montréal comme Quartier de la francophonie. Cette annonce a été reçue avec scepticisme par plusieurs, notamment en raison de l’omniprésence de l’anglais qui prend le haut de l’affiche dans ce secteur de la ville. D’autres remettent en question la pertinence de souligner l’héritage francophone d’un quartier en particulier alors que Montréal s’autoproclame métropole francophone des Amériques.
Et finalement, le 5 février dernier, le Parti québécois dénonçait en ces écrans les effets négatifs des critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) et d’EDI (équité, diversité et inclusion). L’adoption de l’ESG par les entreprises québécoises accélérerait « l’anglicisation de nos milieux de travail et ne [laisserait] aucune place à la culture québécoise. »
Qu’on ne se méprenne pas: je suis tout à fait d’accord avec le fait qu’il serait impératif d’ajouter le critère linguistique aux évaluations ESG dans un contexte québécois, comme je l’ai déjà mentionné dans d’autres publications. Mais de là à affirmer que l’ESG et l’EDI favorisent l’anglais en milieu de travail, ça me semble arrangé avec le gars des vues.
Ces multiples coups de gueule, débats et intrigues autour de la langue ont de quoi nous tenir en haleine, vous ne trouvez pas?
J’ai déjà hâte à la suite de l’histoire. Peut-être s’intitulera-t-elle « La langue contre-attaque », qui sait?