Logo - Les Affaires
Logo - Les Affaires

La performance au-delà des chiffres

Philippe Jean Poirier|Édition de la mi‑novembre 2024

La performance au-delà des chiffres

Le bien-être des employés n’est qu’une facette d’un virage beaucoup plus large des firmes vers une démarche « holistique » de la mesure de performance en entreprise. (Photo: courtoisie)

PERFORMANCE FINANCIÈRE. Lorsqu’une entreprise voulait mesurer sa performance, le réflexe a longtemps été de se tourner vers le tableau de bord « équilibré » de Kaplan et Norton, décliné selon quatre axes : les finances, la relation client, les processus internes et l’apprentissage. Or, depuis quelques années, les nouvelles préoccupations sociétales forcent les entreprises à décloisonner leur vision de la performance. Nouvelle époque, nouveaux indices. Voyons lesquels.

« Si je remonte à il y a 20 ans, quand j’ai commencé mon métier, nous évaluions la performance d’une entreprise principalement par sa rentabilité : rentabilité par ressource, rentabilité par heures travaillées, ainsi de suite », se souvient Eugène Gilbert, vice-président de pratique — Conseil en management, Services de conseil chez Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT). Nous étions beaucoup dans Kaplan et Norton », convient-il. 

Or, ces dernières années, le VP constate que le volet « bien-être » des employés prend beaucoup plus d’importance dans la mesure de la performance globale des entreprises. « Je vois beaucoup de sondages internes sur la santé globale des gens dans l’organisation. Les grandes entreprises mettent en place des programmes de mieux-être qui ratissent très large : ça va de l’achat d’écran ergonomique à des séances d’entraînement, en passant par de l’aide pour couper sa pelouse. »

Le bien-être des employés n’est qu’une facette d’un virage beaucoup plus large des firmes vers une démarche « holistique » de la mesure de performance en entreprise. « Lorsqu’on veut tenir compte du développement durable en entreprise, il faut aborder la performance à travers des indicateurs qui sont beaucoup plus globaux, explique Charles Duchesne, PDG de la firme de développement durable Coesio. C’est une question d’équilibre à atteindre. Il faut amener les entreprises à faire la part des choses entre la fin du monde et la fin du mois », résume-t-il, avec un clin d’œil au slogan des gilets jaunes.

Cette quête d’« équilibre », donc, en 2024, déborde des « cadrans » de Kaplan et Norton. En effet, l’exercice implique d’équilibrer la poursuite du profit à tout prix et les effets environnementaux et sociaux de son entreprise. D’où l’essor des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), de plus en plus discutés en tant qu’indice de performance. « Les critères ESG ne sont pas qu’un simple rapport, assure Laëtitia Fière, directrice principale de la gestion ESG chez RCGT. C’est un levier de performance financière durable. »

Selon elle, le point de départ d’une telle démarche est l’analyse de « double » matérialité : non seulement l’entreprise doit regarder l’incidence des changements climatiques sur ses finances et ses opérations (matérialité simple), mais, à l’inverse, elle doit aussi considérer les effets de ses propres activités sur l’environnement, ses parties prenantes et, plus largement, sur la société. « La double matérialité est plus qu’une tendance, insiste Laëtitia Fière. C’est l’approche la plus solide pour évaluer les risques et les occasions ESG d’une entreprise, en examinant à la fois l’impact de l’entreprise sur le monde et vice versa. » Cette démarche, ajoute-t-elle, permet d’avoir une vision « à 360 degrés » sur les défis à venir.

Pour aider les entreprises à s’approprier le développement durable, Marius André, directeur des relations d’affaires à Coesio, rappelle qu’il existe désormais des référentiels « par secteurs ». « Si on se rapporte à l’International Sustainability Standards Board, une entreprise peut obtenir la liste des enjeux liés à son secteur d’activité, pour ensuite la comparer avec sa réalité. L’entreprise peut dès lors sélectionner les indicateurs extrafinanciers qui vont nourrir sa stratégie globale. »

D’autres priorités en tête

Si l’on s’intéresse plus particulièrement aux PME, il faut reconnaître qu’il n’existe pas de ruée massive vers l’adoption d’indicateurs de performance ESG à ce moment-ci. Dans ses mandats, le consultant Dany Landry, directeur du coût de revient au sein de la firme Mallette, continue d’utiliser le réputé tableau de bord de Kaplan et Norton pour aider les entreprises à mesurer leur performance. « Plusieurs entreprises cherchent à consolider leurs actifs, observe-t-il. Donc, les indicateurs financiers demeurent toujours très importants. »

Tout comme les indicateurs en lien avec les « processus » et l’« apprentissage », précise-t-il. « Les PME québécoises ont un retard à combler en robotique et en adoption de l’intelligence artificielle (IA). Donc, nous travaillons très fort avec elles pour trouver des indicateurs de performance liés à l’innovation. » Ces indicateurs peuvent inclure le nombre d’heures consacrées à la formation ou à l’amélioration en continu, le nombre de projets en robotique ou en IA, ou encore le nombre de nouveaux produits développés par année.