L’art et la manière de raconter un succès professionnel
Olivier Schmouker|Publié le 26 Décembre 2023Quand on s'y prend mal, on risque fort de passer pour un arrogant. (Photo: Cherrydeck pour Unsplash)
MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. – «Au party de Noël, j’ai remarqué quelque chose de curieux: ma réaction aux histoires des uns et des autres concernant leurs bons coups professionnels durant l’année écoulée peut varier du tout au tout. Certaines fois, j’ai été fascinée, et d’autres fois, complètement gonflée. Comment expliquer ça?» – Abeille
R. – Chère Abeille, vous venez de mettre le doigt sur un sujet passionnant, à savoir la meilleure façon de partager avec autrui sa réussite professionnelle, sans pour autant passer pour quelqu’un d’arrogant, pour ne pas dire de puant. Pis, pour quelqu’un qui use de fausse modestie.
C’est que raconter à autrui un bon coup professionnel, ça tient de l’art. Si, si… Je l’ai saisi à la lecture d’une étude récente, intitulée «The Self-Promotion Boost: Positive consequences for observers of high-rank self-promoters» et signée par Kelly Nault, professeur de ressources humaines et de comportement organisationnel à l’IE Business School, et Andy Yap, professeur de comportement organisationnel et directeur académique du Centre de recherche organisationnelle de l’Insead. Regardons ça ensemble…
Les deux chercheurs ont demandé à quelque 2 600 employés œuvrant aux États-Unis, au Royaume-Uni et à Singapour de bien vouloir se prêter à quelques expériences. Le principe de celles-ci était simple: analyser leur réaction face à différentes sortes de «pétage de bretelles» dans le cadre du travail.
Cela leur a permis de faire de belles trouvailles:
– Le modèle. En général, nous aimons les histoires de réussite professionnelle lorsqu’elles sont racontées par quelqu’un que nous admirons et respections. La plupart du temps, il s’agit d’une personne qui, hiérarchiquement, nous est supérieure (notre boss immédiat, le boss d’une autre division, etc.).
D’où vient une telle fascination? Selon l’étude, elle résulte du simple fait que nous trouvons cette histoire inspirante: la personne qui parle est, à nos yeux, un modèle dont nous aimerions copier les idées et les réalisations pour, nous aussi, voler de succès en succès.
– Le rival. En revanche, nous avons tendance à décrocher de l’histoire si celle-ci est racontée par un pair ou par un subalterne. Car nous trouvons qu’il fait alors preuve d’arrogance.
L’explication de ce phénomène est, là aussi, on ne peut plus simple: notre ego se sent menacé et nous pousse soit à arrêter d’écouter, soit à nous montrer agressifs, à l’aide notamment de remarques sarcastiques ou de petites piques au sujet de ratés récents de notre interlocuteur. Notre volonté la plus pressante est de vite le remettre à sa place.
Autrement dit, Abeille, vos différentes réactions s’expliquent par le fait que, consciemment ou pas, vous considériez votre interlocuteur comme un modèle ou comme un rival.
Bon. Se pose maintenant la question suivante: quand vous voulez partager un bon coup professionnel avec autrui, comment faut-il s’y prendre pour ne pas passer pour un rival? Et ce, quel que soit notre position hiérarchique par rapport à l’autre ou les autres?
Les deux chercheurs ont davantage creusé dans leurs données, et ont identifié une sorte de recette pour bien maîtriser l’art et la manière de raconter un succès professionnel.
– Inspirer avant tout. La priorité absolue, c’est de se montrer inspirant, et surtout pas arrogant. Or, la différence entre les deux est assez simple. La personne inspirante raconte, étape par étape, comment elle a rencontré la réussite, en veillant à ce que son interlocuteur soit en mesure d’agir exactement de la même façon, le moment venu. En revanche, la personne arrogante expliquera son succès par des choses impossibles à reproduire pour son interlocuteur. Par exemple, quelqu’un qui raconte qu’il a décroché un poste important grâce au fait qu’il a passé toute son enfance au Japon – une condition impossible à reproduire pour l’interlocuteur – va immanquablement passer pour un arrogant.
– Être pertinent. Le récit doit également être pertinent de bout en bout. Par exemple, quelqu’un qui souligne que son dernier bon coup professionnel lui a permis de s’offrir une seconde Rolex va éteindre l’intérêt de son interlocuteur. Même si une collection de montres dispendieuses implique une réussite matérielle, elle n’est pas pertinente pour l’interlocuteur concernant l’atteinte de ses propres objectifs professionnels.
– Ne jamais se répéter. Il est crucial d’éviter de se répéter. Car le risque est dès lors de passer pour quelqu’un de vantard. Raconter l’histoire une seule fois, ça suffit amplement.
Par ailleurs, il est à noter que l’étude a mis au jour le fait que l’âge, le sexe, l’origine ethnique et le niveau d’éducation des deux interlocuteurs (ou plus, si l’on jase en petit groupe) ne jouent aucun rôle dans l’impact que peut avoir, ou pas, l’histoire d’un succès professionnel. Le niveau inspirationnel du récit demeure constant, peu importe ces variables.
Voilà, Abeille. Vous savez maintenant pourquoi certains vous ont inspiré, et d’autre gonflé. Mais surtout, vous êtes à présent en mesure de raconter vous-même une histoire inspirante auprès de vos collègues!
En passant, l’homme de lettres français Alfred Capus aimait à dire, pince-sans-rire: «Il n’a qu’une qualité: il est modeste. Et il s’en vante!»