Le risque, c'est le désordre... (Photo: Alexander Grey pour Unsplash)
MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. – «Je suis le PDG d’une PME d’une centaine d’employés. Deux dossiers m’occupent, ces temps-ci. D’une part, l’acquisition d’une autre PME, ce qui nous permettra d’élargir notre offre de services. D’autre part, une poignée de petits projets à fort potentiel (par exemple, rendre notre site web transactionnel). Je donne de la tête partout, mais j’ai l’impression que rien n’avance aussi vite que je le voudrais. Quel dossier devrais-je prioriser?» – Éloi
R. – Cher Éloi, vous avez là un beau dilemme. Donner la priorité à un gros dossier (opération de fusion-acquisition) ou à plusieurs petits projets qui semblent tous palpitants. Et ce, parce que – c’est bien normal – vous ne pouvez pas vous démultiplier, et devez donc choisir stratégiquement où mettre vos efforts; les vôtres comme, je l’imagine, ceux de vos employés.
En fait, la vraie question dans votre message est la suivante: «L’un des deux dossiers est-il plus payant que l’autre pour l’entreprise?»
Il se trouve que deux analystes du cabinet-conseil PwC, Aaron Gilcreast et Allen Webb, se sont justement penchés sur le sujet. Ils ont interrogé quelque 4 500 PDG quant à la façon dont ils allouaient les ressources de leur entreprise, et ont ensuite regardé si l’une des façons de faire les plus courantes permettait d’engranger des marges bénéficiaires plus élevées que les autres. Cela leur a permis de faire une découverte surprenante:
– Un gros dossier du genre opération de fusion-acquisition est proportionnellement tout aussi payant qu’un petit dossier à haut potentiel du genre nouveau design pour un produit dont les ventes commençaient à refluer.
«Ça signifie que le réflexe fréquent de mettre tous ses efforts sur les gros dossiers au détriment de dossiers a priori de moindre importance est une erreur», notent les deux analystes, en soulignant que «l’idéal est d’accorder autant d’attention aux uns qu’aux autres».
Selon MM. Gilcreast et Webb, «les activités apparemment banales telles que «semer» (lancer un nouveau projet, accorder davantage de financement à un projet porteur, etc.) et «désherber» (tuer un projet qui se révèle finalement à faible potentiel, etc.) sont tout aussi payantes – et parfois même davantage! – que les activités souvent jugées plus importantes (vague de nominations à la tête d’une division clé de l’entreprise qui avait connu une série de déconvenues, etc.)».
D’où leurs trois principaux conseils pratiques:
– PDG, laissez davantage les coudées franches à vos employés. Laissez-les prendre certaines décisions à votre place, en particulier en ce qui a trait aux petits dossiers à haut potentiel. Cela vous laissera davantage de temps pour les grands dossiers. Et cela se révèlera payant pour l’entreprise, en argent tout comme en engagement (quoi de plus motivant pour un employé que de sentir qu’il est en mesure de faire une vraie différence?). Bien entendu, l’idée n’est pas de leur donner carte blanche, mais de vous contenter d’un œil vigilant et distant sur les petits dossiers.
– PDG, favorisez l’agilité organisationnelle. L’idée n’est pas de donner un simple GO aux employés, mais de leur fournir le temps et les ressources nécessaires pour pouvoir réussir sans votre supervision constante. Cela peut signifier, entre autres, des moyens supplémentaires, des programmes de formation, ou encore une réorganisation de l’agenda des membres d’une équipe pour qu’ils puissent mener à bien un dossier spécial.
– PDG, envisagez l’éventualité de nommer un «tueur de projets». Les deux analystes de PwC ont noté qu’une erreur fréquente était de ne pas dire assez souvent «non» aux projets, pour mille et une mauvaises raisons («Laissons-leur une chance, même si ça augure mal jusqu’à présent»; «Bah, c’est un projet auquel ils tiennent et qui ne nous coûte pas cher, donc ce n’est pas grave s’ils le dépensent jusqu’au bout»; etc.). Et ils trouvent remarquable l’initiative du géant néo-zélandais de l’agroalimentaire Goodman Fielder qui, pour remettre un peu d’ordre dans ses 550 projets de R&D, a fini par nommer un «tueur de projets», qui est parvenu à mettre fin sans heurt aux deux tiers d’entre eux.
Voilà, Éloi. Si vous voulez vraiment gagner en efficacité dans la gestion de vos projets, je vous invite à vous inspirer des enseignements de cette étude. Encouragez chacun à faire preuve d’initiative, mettez vos équipes en situation de réussite et regardez-les gagner les airs en déployant leurs ailes. Tout en gardant un œil sur eux, histoire de les aider à remettre les pieds sur terre, le cas échéant. Car c’est ainsi que chacun des projets porteurs de votre PME sera géré au mieux.
En passant, le navigateur français Éric Tabarly a dit dans ses «Mémoires du large»: «La confiance est un élément majeur: sans elle, aucun projet n’aboutit».