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«Le mode hybride, ça ne fonctionne pas!»

Olivier Schmouker|Publié le 17 octobre 2023

«Le mode hybride, ça ne fonctionne pas!»

De récentes études scientifiques indiquent les règles à suivre pour que le travail en mode hybride soit optimal. (Photo: Faizur Rehman pour Unsplash)

MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudisVous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca

Q. – «Comme beaucoup d’entreprises, nous fonctionnons en mode hybride depuis la fin de la pandémie (quatre jours au bureau, une journée en télétravail). Il paraît que c’est la meilleure façon de travailler, que c’est idéal pour le bien-être et la productivité des employés. Mais moi, je trouve que ça ne marche pas: je sens toujours un niveau de stress élevé chez les uns et les autres. Comment expliquer ce mystère?» – Élisabeth

R. – Chère Élisabeth, je suis en train de lire un livre carrément passionnant, «Le stress au travail vs le stress du travail» de Sonia Lupien. L’auteure, professeure titulaire du département de psychiatrie de la faculté de médecine de l’Université de Montréal, m’a fait une fleur: elle m’a envoyé son tout dernier ouvrage avant même qu’il ne parte à l’impression; il sera disponible en librairie au début de novembre. Et il y a dedans un passage qui répond justement à votre interrogation! Regardons ça ensemble.

Ces derniers temps, les études se sont multipliées concernant les différentes façons de travailler: 100% bureau, 100% télétravail, 50% bureau/50% télétravail, etc. Ces études ont considéré mille et un aspects: la productivité individuelle, la performance collective, les impacts sur le bien-être, etc. Et Sonia Lupien en présente une lumineuse synthèse dont il ressort de précieux enseignements.

Ainsi, pour que le travail en mode hybride fonctionne bien, il faut qu’il soit structuré. C’est-à-dire qu’il doit reposer sur quatre règles fondamentales, inspirées des travaux de Nicholas Bloom, professeur d’économie à l’Université Stanford, aux États-Unis:

– Journées d’ancrage. Les membres de l’équipe doivent tous venir au bureau les mêmes jours de la semaine. Car il est primordial que chacun côtoie les autres en personne. Ces journées communes passées au bureau sont dénommées les «journées d’ancrage».

– Travail de surface. Les journées d’ancrage doivent avant tout servir au «travail de surface». À savoir des tâches qui ne nécessitent pas une concentration intense, voire maximale, de la part de l’employé. Il peut s’agir, entre autres, de rencontres formelles et informelles, de traitement de ses courriels, ou encore de programmes de formation.

– Travail en profondeur. Les journées de télétravail doivent être utilisées, elles, pour effectuer du «travail en profondeur». C’est-à-dire pour mener à bien des tâches qui nécessitent une intense concentration et qui se doivent d’être traitées les unes après les autres (le multitâches est à proscrire absolument, car il est toujours contre-productif, souligne-t-elle).

Point important: pour que la concentration demeure optimale, il convient d’éviter toute possibilité d’être dérangé. C’est pourquoi Sonia Lupien recommande vivement d’éteindre son cellulaire, de fermer sa boîte de courriels et de bloquer toutes les notifications de son ordinateur. L’idée est aussi simple que radicale: il faut dès lors se couper du monde, littéralement.

Bien entendu, l’experte en stress sait fort bien que tout le monde ne peut pas y parvenir. Quand on travaille de chez soi, les enfants (ou pitou) peuvent être une source de perturbations, ou bien il peut être difficile de couper toute forme de communication avec son boss. Dans un tel cas de figure, il peut tout de même être envisageable de se couper d’autrui pendant au moins une demi-heure ou une heure, et de répéter ça plusieurs fois dans une même journée. Ce qui est mieux que rien.

– Cas particulier. Pour les jeunes recrues (moins de deux années d’expérience professionnelle), il convient d’ajouter une journée supplémentaire de présence au bureau par rapport aux autres. Car cela peut être pour elles l’occasion, entre autres, de recevoir du mentorat et de développer leur réseau de connexions au sein de l’organisation.

Ce n’est pas tout. Des études scientifiques indiquent que le télétravail a des effets positifs sur la santé mentale, mais tant qu’on ne dépasse pas un total de 15 heures par semaine. Ça signifie que l’idéal est d’avoir 15 heures de télétravail par semaine, pas plus. Ce qui correspond à deux jours par semaine.

Par conséquent, Élisabeth, vous n’avez pas la formule optimale pour le mode hybride. Chez vous, chacun dispose d’une journée de télétravail par semaine. C’est bien, mais il serait nettement mieux d’en avoir deux (à l’exception des jeunes recrues, pour qui l’idéal est une journée de télétravail par semaine), en veillant à ce que tout le monde ait les mêmes deux journées de la semaine (comme le veut la première règle inspirée de Nicholas Bloom). Mine de rien, cela ferait une grosse différence pour la santé mentale de vos employés: le rapport entre le nombre d’heures passées en télétravail et les bénéfices du télétravail sur la santé mentale forme une courbe en U inversée, le sommet de la courbe correspondant à 15 heures.

Voilà. J’espère que ces quelques éléments scientifiques vous permettront d’améliorer votre formule du travail en mode hybride, Élisabeth. Car ceux-ci mettent en lumière le fait qu’on peut réellement améliorer le niveau de stress de chacun dans son quotidien au travail, rien qu’en effectuant quelques ajustements dans nos façons de travailler. Et ce faisant, permettre à chacun de gagner en bien-être.

En passant, l’écrivain français Honoré de Balzac a dit dans «La Peau de chagrin»: «Le but de la société n’est-il pas de procurer à chacun le bien-être?»

 

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