Le sexisme, un fléau grandissant pour les femmes gestionnaires!
Olivier Schmouker|Mis à jour le 13 juin 2024Une étude française montre que 3 femmes gestionnaires sur 5 ont déjà subi différentes formes de sexisme au travail. (Photo: Marcos Paulo Prado pour Unsplash)
MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. – «J’ai été promue gestionnaire il y a de cela quelques semaines, et il m’est arrivé quelque chose d’inimaginable. Un jour où j’ai dû remonter les bretelles d’un employé, j’ai surpris peu après deux autres employés qui jasaient discrètement dans le couloir et l’un d’eux murmurait “C’est une hystérique”! J’ai ressenti comme un coup de poing dans le ventre…» – Marilou
R. — Chère Marilou, j’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer. Une très mauvaise nouvelle. De toute évidence, vous êtes victime de sexisme, et ce phénomène est en train de gagner en ampleur à la vitesse grand V. Autrement dit, les femmes gestionnaires n’en ont pas fini d’être discriminées sur le lieu de travail, et cela sûrement pour encore de nombreuses années, pour ne pas dire des décennies. Explication.
Hostinger, une firme technologique lituanienne spécialisée dans l’hébergement de sites web, s’est demandé si le management au féminin était si différent que ça du management au masculin. Pour en avoir une petite idée, il a commandé une étude à ce sujet au cabinet d’études IFOP, concernant la France. À n’en pas douter, ni Hostinger ni l’IFOP ne s’attendaient aux données renversantes qu’ils allaient ainsi mettre au jour.
Les premières données de l’étude semblent a priori encourageantes. Ainsi, le sexe des collègues de travail semble avoir perdu de l’importance aux yeux des employés. En 1987, ils étaient 39% à dire qu’ils préféraient travailler avec des collègues masculins, et 21% avec une collègue. En 2024, ils ne sont plus que 29% à préférer travailler avec un homme, et 11% à préférer travailler avec une femme. Autrement dit, 60% des employés considèrent aujourd’hui que le sexe de leurs collègues n’a aucune espèce d’importance.
Tant mieux, me direz-vous. Le sexe des collègues ne semble plus être un véritable enjeu au travail. Mais ne sautons pas trop vite à cette conclusion, car la donne change dès que le collègue en question est une femme gestionnaire…
En 2024, 22% des employés préfèrent que leur gestionnaire soit un homme et ils ne sont que 8% à préférer que ce soit une femme. Bon, vous pourriez me dire que ce n’est pas si mal que ça, que ça signifie que 70% des employés se montrent indifférent au sexe de leur boss. Et donc, que ce n’est pas non plus un enjeu managérial.
Mais ce faisant, vous vous mettriez le doigt dans l’œil. Car lorsqu’on creuse dans les données, on découvre que 34% des employés masculins âgés de moins de 35 ans — en gros, ceux qu’on appelle les milléniaux — préfèrent, eux, avoir un boss masculin. Ça signifie que 1 jeune travailleur sur 3 ne souhaite pas avoir de patronne. Ce qui est une proportion d’autant plus alarmante que cette génération est appelée à prendre une importance de plus en plus grande dans nos organisations, à mesure que les baby-boomers et les X vont partir à la retraite.
Pis, il semble que la minorité de travailleurs sexistes est non seulement grandissante, mais aussi agissante. Asseyez-vous bien avant de découvrir les chiffres qui suivent :
— 3 femmes gestionnaires sur 5 ont déjà été victimes de sexisme. L’étude montre que 58% des femmes gestionnaires disent avoir déjà été exposées à différentes formes de sexisme au travail. Et cela touche particulièrement les jeunes femmes gestionnaires : la proportion des victimes de sexisme grimpe à 71% pour les moins de 30 ans.
Le sexisme se traduit la plupart du temps par des remarques blessantes, pour ne pas dire des insultes.
— Règles. 41% des femmes gestionnaires se sont déjà fait dire, après avoir fait preuve d’autorité, «Elle est de mauvaise humeur, ça doit être ses règles». À noter que le pourcentage grimpe à 50% pour les femmes gestionnaires de moins de 30 ans.
— Remarques désobligeantes. 38% d’entre elles ont déjà subi des remarques désobligeantes concernant leur tenue ou leur physique.
— «Plaisanteries». 31% ont déjà du faire face à des «plaisanteries» sur la compétence des femmes gestionnaires.
— Faveurs sexuelles. 27% se sont fait dire que si elles avaient été promues, c’était sûrement à la suite de faveurs sexuelles.
— Hystérique. 22% ont déjà été traitées d’«hystérique» (comme cela s’est produit pour vous, Marilou).
On le voit bien, il faut avoir la couenne dure lorsqu’on est une femme gestionnaire. Car elles en prennent, des coups. De méchants coups, mêmes. C’est là une réalité de notre quotidien au travail, une bien triste réalité.
Bon. Je me dois de souligner un point. Certains ronchons vont me glisser le fait que cette étude concerne la France, pas le Québec, en sous-entendant que la situation ne peut pas être la même ici. Hum… À ceux-là, je me permets de leur répliquer qu’ils n’ont qu’à ouvrir les yeux, pour une fois, et oser regarder la réalité en face. Tenez, demandez ce qu’en pense l’une des femmes gestionnaires qui travaillent au sein de votre propre organisation, et vous verrez bien : je suis prêt à parier que, comme en France, au moins 1 femme gestionnaire québécoise sur 2 a déjà été exposée à différentes formes de sexisme au travail. Oui, au moins 1 sur 2.
Maintenant que ce point est réglé, je me permets d’en souligner un autre qui me préoccupe tout particulièrement, à savoir le fait que le sexisme est surtout prégnant auprès des milléniaux. Ça augure mal pour l’avenir. C’est d’ailleurs ce qui m’a poussé à vous dire d’emblée, Marilou, que le phénomène allait empirer au fil du temps. Nous en avons encore pour des années, voire des décennies, à être confrontés au sexisme au travail.
La solution? Comment éviter que nos lieux de travail ne deviennent un véritable enfer pour les femmes gestionnaires, pour ne pas dire pour tous ceux qui sont moyennement soucieux d’équité? Je ne sais pas vraiment.
Toutefois, il m’en vient quand même une en tête, qui vaut ce qu’elle vaut. Elle tient en un mot : éducation. Nous nous devons d’éveiller les milléniaux à l’importance de l’ÉDI (Équité, Diversité, Inclusion), de manière générale. Nous nous devons d’être intransigeants concernant la notion de respect envers ses collègues, quels qu’ils soient. Nous nous devons de tout mettre en œuvre pour que nos lieux de travail deviennent accueillants, apaisants, bienveillants.
Bref, chers RH et autres dirigeants d’entreprise, vous avez à présent un peu plus de pain sur la planche. Peut-être n’aviez-vous pas réalisé l’ampleur du sexisme dont sont victimes les femmes gestionnaires. Maintenant que vous en êtes informés, agissez en menant de régulières opérations d’éducation, en particulier auprès des milléniaux. Agissez sans tarder.
En passant, la journaliste française Benoîte Groult a dit dans «Ainsi soit-elle» : «Le sexisme est plus profond et plus endémique encore que le racisme».