Tania Saba, professeure titulaire à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal (Photo: Gaëlle Vuillaume)
La professeure titulaire à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, Tania Saba, est on ne peut plus claire : « Le modèle hybride, quand il n’est pas réfléchi, devient source d’inefficacité. » Selon les conclusions de ses recherches, limiter son analyse à décider quels jours seront passés au boulot est loin d’être assez.
Depuis le début de la pandémie, la chaire BMO en diversité et inclusion dont elle est la fondatrice s’est penchée sur l’évolution du monde du travail et sur la place qui sera accordée au télétravail.
Elle constate qu’en 2022, « les gens se posent des questions, transportent leur matériel, sont moins bien installés au bureau ou chez eux. Il y a une inefficacité qui vient du fait qu’on ne peut faire le même travail aux deux endroits ».
Le hic, c’est que de nombreuses entreprises établissent les barèmes de ce que sera le modèle hybride en ne se concentrant que sur le calendrier, et non en fonction de la productivité que pourraient gagner leurs employés grâce à ce nouveau paradigme.
« On n’a pas entendu de questions qui ont transcendé l’horaire. On pressait les gestionnaires de trouver les jours [à passer au bureau]… mais, par exemple, pour certains, il n’est pas question que ce soit le lundi ou le vendredi, de peur que tous se fassent de longues fins de semaine », s’étonne la professeure lors d’une conférence tenue le 12 mai 2022.
Selon elle, cette « obsession » vient du fait qu’il est plus facile d’imposer une politique de retour au travail homogène, que certains qualifient à tort de plus équitable. « Depuis quand l’horaire est une question d’équité ? C’est le système d’emploi qui doit l’être, pas l’horaire », rétorque Tania Saba.
La conseillère en ressources humaines agréée s’inquiète particulièrement pour ces entreprises qui considèrent que le modèle hybride ou à distance sont des privilèges, de réels terreaux fertiles pour que certains groupes soient désavantagés.
« Qui va s’en prévaloir ? […] Les femmes avec de jeunes enfants ou les personnes moins à l’aise dans les milieux de travail vont préférer travailler à distance, alors que les autres vont y retourner », explique-t-elle. Citant des propos tenus dans « The Economist », « on n’est pas loin de reproduire les milieux de travail des années 1960 », prévient-elle.
Afin de profiter de cette période de « mutation », Tania Saba encourage les équipes de direction à expérimenter avant de coucher sur papier les nouvelles conditions du télétravail. Certes, au départ, les balises mises en place peuvent concerner le nombre de jours passé au boulot, concède-t-elle. Le modèle hybride ne doit toutefois pas se résumer qu’à ça.
« C’est complexe, on doit d’abord définir les activités à valeur ajoutée au bureau et à domicile, puis regarder les composants du travail, les tâches, où faire les réunions informatives ou de création, énumère-t-elle. Il faut créer des unités à partir desquelles on peut mesurer un système d’emploi. […] On ne doit pas oublier que les modalités qu’on veut appeler hybrides doivent être efficaces. »