L'idée derrière l'image de l'édredon, c'est qu'il convient de se montrer à la fois ferme et doux, et donc accueillant. (Photo: Sincerely Media pour Unsplash)
MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. – «En tant que leader, j’ai longtemps considéré que je me devais de contrôler la parole. La mienne, mais aussi celle des autres, pour imposer mon autorité. J’ai fini par réaliser que mes collègues en venaient à se taire plutôt que de partager leurs meilleures idées. Comment corriger le tir (sans perdre de mon autorité)?» – Jos
R. – Cher Jos, votre prise de conscience est louable, car elle fait preuve d’une belle humilité. Ce qui, en vérité, est assez rare de nos jours, me semble-t-il. Je vous en félicite donc!
Maintenant, vous souhaitez mieux maîtriser votre parole, en ce sens que vous voulez continuer de prendre la parole quand cela s’impose, mais en laissant davantage de place à celle des autres. Parfait. Je vais donc vous parler d’un article du magazine français Management qui date de janvier 2017 dans lequel Romain Nadal, alors porte-parole du Quai d’Orsay (le surnom du ministère français des Affaires étrangères), expliquait justement comment il s’y prenait pour prendre la parole à bon escient, et surtout donner la parole afin que chacun puisse enrichir la discussion.
Selon lui, «maîtriser la parole, c’est avant tout savoir la partager», dit-il. «Je fais toujours des interventions très courtes pour laisser parler les autres, pour laisser une chance au dialogue de s’installer», explique-t-il.
Concrètement, chacune de ses prises de parole «se limite à trois ou quatre idées». Chaque fois qu’il en présente une, il offre la possibilité de la discuter, il invite à poser des questions à son sujet, il cherche à savoir s’il n’y en a pas une meilleure. «Cela suppose de pousser la parole des autres, pas la mienne», dit-il.
Aucune de ses interventions n’est rédigée en entier, à l’avance; ni n’a de PowerPoint. Juste une feuille de papier sur laquelle il a jeté quelques faits saillants, quelques chiffres importants, quelques données cruciales. Il brode autour de tout ça. L’intérêt de cette façon de faire, c’est que ça empêche de lire un texte à voix haute: pour n’importe quel auditoire, il n’y a rien de pire que d’écouter passivement un discours (rappelez-vous de la dernière fois où ça vous est arrivé, vous verrez combien c’est vrai!). «Je me souviens d’une conférence où j’avais trop écrit, trop parlé, raconte-t-il. En la revoyant sur Internet, je me suis trouvé très mauvais.»
Bien entendu, il y a toujours le stress de parler en public, de s’exposer, même pour un porte-parole du Quai d’Orsay. Son truc? «Bannir l’impulsivité, l’agressivité», dit-il. Pour ce faire, il recourt à la «technique de l’édredon», qui lui permet de s’affirmer en harmonie avec les autres. Mise au point par le psychologue Manuel J. Smith, elle consiste à déjouer les jeux de pouvoir ou de manipulation tout en gardant sa position, son point de vue sur un sujet qui fait débat. Et ce, en se montrant à la fois doux et ferme, à l’image d’un bon édredon.
Trois phrases clés permettent d’y arriver dans n’importe quelle situation:
– «C’est vrai.» À dire lorsqu’on est d’accord avec notre interlocuteur, à tout le moins sur la même longueur d’onde.
– «C’est possible.» À dire quand on n’est ni d’accord ni en désaccord. Cela permet de donner une réponse dénuée de toute subjectivité, sans prendre une réelle position sur la question.
– «C’est ton avis.» À dire au moment où nous ne sommes pas d’accord avec notre interlocuteur. Cela permet de relancer la discussion sur un autre point sans entrer dans un débat ni prendre la déclaration de l’autre pour soi.
Prenons des exemples très simples:
– «Jos, l’idée que tu viens de présenter est intéressante, mais je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure qui soit.» Au lieu de prendre la mouche, mieux vaut alors répondre calmement «C’est possible», puis inviter l’auditoire à en présenter d’autres.
– «Jos, tu as l’air fatigué aujourd’hui.» Au lieu de vous vexer, dites plutôt «C’est vrai» et expliquez la raison particulière de ce fait inusité.
– «Jos, tu es en retard ce matin.» Au lieu de vous fâcher, dites posément «C’est ton avis», indiquez que vous vous êtes levé à 5 h du matin pour peaufiner la présentation que vous devez faire à la réunion de 10 h, puis enchaînez en invitant votre interlocuteur à s’exprimer sur l’enjeu principal de cette réunion.
«L’idée derrière la technique de l’édredon, c’est de donner la parole, encore et toujours, au besoin en reformulant le propos de l’autre en cas de désaccord», résume Romain Nadal.
Son dernier conseil: ne jamais censurer le sujet qui fâche. «Si on est dans l’évitement, on n’est plus crédible», explique-t-il.
Voilà, Jos. Vous souhaitez vraiment mieux maîtriser la parole? Eh bien, faites le plus court possible lorsque vous parlez, et faites en sorte que les autres prennent la parole le plus souvent possible. Ce sera gagnant aussi bien pour vous que pour les autres. Mieux, cela renforcera votre leadership: gain en crédibilité, gain en inclusion, gain en innovation, etc.
Pour finir, laissez-moi vous faire part d’une petite anecdote. Un beau jour que je discutais avec Henry Mintzberg, professeur de management à l’Université McGill, il m’a expliqué qu’il avait un truc très simple pour savoir s’il avait affaire à un vrai leader, ou pas, lorsqu’il discutait avec un dirigeant d’entreprise: «S’il monopolise moins de 50% du temps de parole dans la discussion, c’est qu’il s’agit d’un vrai leader, m’a-t-il dit. Bien entendu, plus le pourcentage diminue, meilleur est-il a priori.»