Leaders, la santé mentale de vos vendeurs pourrait plomber leur éthique
Catherine Charron|Mis à jour le 26 août 2024Bruno Lussier, directeur de l'Institut de vente de HEC Montréal et professeur agrégé au département de marketing (Photo: courtoisie)
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RHÉVEIL-MATIN. Lorsque l’épuisement professionnel les taraude, les spécialistes de la vente tournent plus souvent les coins ronds et s’adonnent à des pratiques pas toujours éthiques pour tenter de se sortir la tête hors de l’eau.
C’est là l’un des nombreux constats qu’a faits le directeur de l’Institut de vente de HEC Montréal, Bruno Lussier, depuis qu’il s’intéresse aux conséquences des problèmes de santé mentale sur la performance des équipes de vente B2B au Québec.
De 2017 à 2020, il a mené trois protocoles de recherche afin de mesurer les répercussions de l’anxiété, de la dépression et de l’épuisement professionnel en compagnie de comparses de l’international. En tout, c’est le comportement de près de 400 spécialistes québécois qu’ils ont analysés.
«Ces personnes sont essentielles à la croissance des entreprises. C’est elles qui vont chercher les dollars que fera leur employeur», rappelle le professeur agrégé de marketing à HEC Montréal.
Or, ces moteurs à revenus pour les entreprises sont en piètre position : malgré la fin de la pandémie, ils sont nombreux à encore rencontrer des soucis de santé mentale, prévient-il. D’après l’édition 2024 du rapport «State of Mental Health in Sales» de l’organisme ontarien Sales Alliance, 70% des spécialistes de la vente tomberaient dans cette catégorie.
C’est pourquoi Bruno Lussier exhorte leurs supérieurs de prendre soin de leurs experts de la vente, sans quoi l’organisation pourrait en pâtir.
Le profil de l’emploi
L’un des facteurs qui expliquent pourquoi on observe autant de personnes souffrant de problèmes de santé mentale parmi les vendeurs B2B, c’est à cause du profil de gens généralement choisi pour ce genre d’emploi.
«On cherche des gens qui ont du cran. Le hic, quand on a des individus passionnés et persévérants, c’est qu’ils ne savent pas quand s’arrêter. Ils continuent donc à se brûler et prennent de moins bonnes décisions, ce qui mine leur performance», explique Bruno Lussier.
En plus des réponses physiques et émotionnelles qu’on observe généralement chez les personnes au bout du rouleau, le directeur de l’Institut de vente HEC Montréal encourage les gestionnaires à garder un œil sur le manque d’inhibition ou les gestes anormaux que pourraient poser leurs subalternes.
Chez les travailleurs épuisés, par exemple, ça se manifeste par des comportements peu éthiques.
«Ce sont souvent des gens qui ont des livrables tous les jours, qui doivent voir 5, 6 ou 7 clients. Or, ils n’ont plus l’énergie de maintenir la cadence. Un peu désespérés, ils pourraient pousser un produit ou une solution qui ne répond pas réellement au besoin du client, dit-il. On peut avoir des gains rapides, mais on a observé à quel point ça peut être désastreux.»
Ce raccourci n’est pas causé par de la malhonnêteté, nuance le professeur agrégé, mais bien par la détresse ressentie par les experts de la vente.
Solution universelle
Qu’il s’agisse d’endiguer l’anxiété, la dépression ou l’épuisement professionnel parmi ses troupes, l’appui et la bienveillance du gestionnaire est salvateur, a pu observer Bruno Lussier dans le cadre de ses trois dernières recherches.
«On passe pourtant si peu de temps encore aujourd’hui à les former à ce propos», déplore-t-il, à l’instar de leurs homologues dans d’autres départements.
En plus de promouvoir une culture saine dans l’équipe, il encourage les gestionnaires à prévoir à l’horaire des rencontres à intervalle régulier avec leurs collègues. Celles-ci permettent notamment d’observer l’évolution du comportement et de repérer les changements comme l’isolement et l’autocritique. Cette conduite est souvent annonciatrice d’un problème de santé mentale.
Afin d’éviter le manque d’éthique de leurs employés épuisés, ces dirigeants devraient aussi rappeler à leurs collègues que l’honnêteté prévaut sur les profits, ajoute Bruno Lussier dans «Curbing the Undesirable Effects of Emotional Exhaustion on Ethical Behaviors and Performance: A Salesperson–Manager Dyadic Approach», paru en 2019 dans le Journal of Business Ethics.
Ça passe notamment par faire la promotion de la transparence lorsqu’un produit ne correspond pas aux besoins des clients, et ce, même si ça signifie de passer à côté d’une vente. On évite ainsi d’entacher la crédibilité de la marque.
Les mesures à adopter pour apaiser les spécialistes de la vente sont similaires à celles adoptées pour l’ensemble des employés, reconnait Bruno Lussier : «On doit en parler haut et fort de la santé mentale. Il y a encore des tabous. L’appui des gestionnaires est vraiment la solution qui ressort du lot, mais il faut les former.»