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L’envers de la médaille du travailleur autonome

Geneviève Desautels|Publié le 14 mars 2019

L’envers de la médaille du travailleur autonome

Travailler deux fois plus d'heures qu'auparavant... Photo: DR

BLOGUE INVITÉ. Je rencontre de plus en plus d’employés et de gestionnaires qui rêvent d’abandonner leur statut de salarié pour devenir travailleur autonome ou entrepreneur. De surcroît, médias et gouvernements veulent stimuler l’entreprenariat, et c’est tant mieux. Le hic, c’est que nous assistons alors à une glorification de ce qu’est le quotidien de l’entrepreneur ou du travailleur autonome.

Je me souviens très bien, lorsque j’étais moi-même salariée, avoir rêvé du lifestyle des travailleurs autonomes : mobiles, nomades, en train de travailler au soleil, à la terrasse d’un café. Bon, c’est vrai, ça arrive de travailler dans de telles situations, mais il faut savoir que la plupart des entrepreneurs que vous suivez sur les médias sociaux travaillent, en vérité, deux fois plus d’heures que lorsqu’ils étaient salariés.

Ce n’est pas tout. Leurs marges de profit sont, en général, très faibles : lorsqu’on regarde juste le chiffre d’affaires, ça peut paraîte intéressant, mais dans les faits, il ne reste que très peu d’argent dans leurs poches, en bout de ligne.

Choisir d’être travailleur autonome ou entrepreneur implique de croire en une idée, un projet qui vous fera oublier le temps que vous allez consacrer à réaliser celui-ci. Comme m’a déjà dit un sage : «La mission de ton entreprise doit être ton réveil-matin, tous les matins».

Aujourd’hui, lorsque je demande aux employés et gestionnaires ce qui les attirent dans le rêve de devneir travailleur autonome, ils me répondent souvent qu’ils ont envie de choisir leurs horaires de travail, de réaliser des mandats alignés sur leurs valeurs, ou encore de pouvoir exprimer le plein potentiel de leurs talents; bref, ils espèrent donner – enfin – un sens à leur vie professionnelle.

Une réflexion me vient alors à chaque fois en tête… Lorsque je faisais du recrutement d’agents de bord à la fin des années 1990, je posais la question suivante aux candidats: «Qu’est-ce qui vous attire dans l’idée de devenir agent de bord?» Et la réponse classique était: «Le désir de voyager». Or, quand on sait que les agents de bord font la plupart du temps des vols de 9 heures aller-retour dans la même journée, avec juste 1 ou 2 heures d’escale, vous conviendrez avec moi qu’il ne s’agit pas là de «voyage», mais plutôt de transport; d’où la nécessité de vérifier ce qu’ils entendaient par «le désir de voyager», histoire de voir si cela correspondait bien à la réalité du quotidien des agents de bord.

À mes yeux, c’est un peu la même chose pour le rêve de se lancer «à son compte». On oublie souvent qu’être travailleur autonome, ça implique changer de métier, surtout si notre référent est le quotidien d’un salarié. Par exemple, bien avant de fournir le service pour lequel on est expert, on doit le vendre à des clients, lesquels sont aujourd’hui de plus en plus exigeants et difficiles à convaincre, sans parler du fait qu’ils entendent tous payer le moins cher possible. Autrement dit, il convient d’emblée d’apporter la démonstration de notre valeur ajoutée (à plus forte raison lorsque le client se prend lui-même pour un expert dans le même domaine que le nôtre!).

Ça implique également de tirer son épingle dans un milieu où de nombreux professionnels offrent le même type de services que les nôtres. Et donc, de saisir que ce ne sont pas nécessairement les meilleurs qui réussissent le mieux, mais ceux qui savent vendre leurs idées et leurs services et qui, surtout, savent fidéliser leurs bons clients.

Quant aux horaires, il faut s’attendre à travailler soirs et fins de semaine. À moins, bien sûr, de finir par vous résoudre à déléguer certaines tâches à d’autres travailleurs autonomes (ce qui impliquera d’enregistrer moins de dollars dans vos poches).

Et les vacances? Eh bien, elles dépendront désormais des périodes de congé de vos principaux clients : il sera possible de partir quand eux seront partis, pas autrement (à moins, une fois de plus, de trouver quelqu’un de confiance à même d’assurer le suivi de vos dossiers).

On le voit bien, devenir travailleur autonome, c’est un beau défi professionnel. Et le mot important ici est bel et bien «beau». Pourquoi? Parce que le changement est toujours riche en enseignements.

Cela étant, avant de franchir le pas, il faut impérativement prendre le temps de bien y réfléchir. Et notamment de se demander s’il ne vaudrait pas mieux chercher à tirer profit de la conjoncture actuelle du marché du travail, qui frôle le plein emploi : et si vous profitiez de la pénurie de main-d’œuvre pour agir en intrapreneur au sein de votre entreprise, histoire de développer votre plein potentiel… Et si, encore, vous en profitiez pour négocier des horaires de travail plus flexibles, si jamais c’est ce qui vous attire le plus dans l’idée de devenir travailleur autonome…

À vous de voir!