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L’épineuse question de l’autodéclaration en ressources humaines

Catherine Charron|Édition de la mi‑septembre 2024

L’épineuse question de l’autodéclaration en ressources humaines

(Photo: Adobe Stock)

Précieux outils pour établir sa stratégie en équité, diversité et inclusion (EDI), les formulaires d’autodéclaration n’ont rien d’anodin. Le portrait qu’ils servent à brosser repose sur des renseignements qui peuvent être des motifs de discrimination selon la Charte des droits et libertés de la personne, ce qui peut avoir de fâcheuses conséquences pour les entreprises mal avisées, préviennent les experts consultés par Les Affaires.

Malgré leurs bonnes intentions, elles ne sont pas à l’abri d’une poursuite pour discrimination, souligne Terry Kyle Lapierre, associé en droit du travail et de l’emploi au bureau de Québec du cabinet Fasken.

« Lorsqu’elles permettent l’identification des répondants, les données collectées constituent des “renseignements personnels” protégés par la législation qui impose diverses obligations entourant leur collecte, leur utilisation et leur divulgation », explique-t-il.

Le jeu en vaudrait la chandelle si les réponses étaient anonymes et volontairement partagées. Ces questionnaires accorderaient alors à l’employeur une vue d’ensemble de l’état de la diversité dans son organisation. Il peut ainsi apprécier les résultats de sa stratégie EDI et l’adapter.

Éviter d’enfreindre la loi

Pour limiter les non-conformités légales, l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés a diffusé auprès de ses membres des recommandations en février 2024 sur les questionnaires d’autodéclaration.

« Il y a un manque de clarté sur la manière d’administrer ces formulaires selon la loi, indique Manon Poirier, sa directrice générale. On ne voulait pas que le mot d’ordre soit d’arrêter d’en faire parce qu’il y a un risque légal, déjà que ça a été difficile de partir la machine EDI. »

La clé, c’est de s’assurer qu’on ne peut identifier les répondants, et qu’ils agissent sans y avoir été contraints. Terry Kyle Lapierre suggère par exemple de limiter la possibilité de faire du recoupage en tirant des statistiques agrégées de ce qui a été recueilli. Il recommande même de détruire les données primaires.

De plus, les informations collectées devraient être stockées dans un endroit différent des autres renseignements dont l’entreprise dispose déjà sur ses employés. « Le classement de ces données dans un système de gestion de la paie est déconseillé », dit-il.

Peu d’individus au sein de l’organisation devraient avoir accès aux réponses brutes, autant pour réduire le risque d’identifier les personnes interrogées que de perpétrer de la discrimination. C’est pourquoi autant d’entreprises requièrent ses services pour effectuer l’exercice, croit Chloé Freslon, fondatrice du cabinet-conseil en EDI URelles.

Réfléchir aux réelles retombées espérées du sondage permettra aussi de ne pas poser de questions inutilement trop pointues, ce qui pourrait rebuter certains collègues, ajoute Suzie Mondésir, stratège en EDI.

C’est d’ailleurs ce que Manon Poirier conseille aux petites entreprises qui souhaitent mener un tel examen. « Tu n’as pas le choix d’avoir moins de critères. C’est la même chose pour les sondages de mobilisation. S’il y a moins de cinq répondants, on ne va pas donner un rapport au gestionnaire, on va l’amalgamer avec d’autres », illustre-t-elle.

Encourager les employés, sans les forcer

Pour que les formulaires d’autodéclaration aient de réelles retombées, encore faut-il que les répondants acceptent de se prêter au jeu. L’organisation doit donc préparer le terrain et les rassurer à propos de ce qu’elle compte faire de ces données, ajoute Chloé Freslon.

« Soit on va se dire que l’employeur s’intéresse à notre identité parce qu’il est conscient que je rencontre des obstacles et qu’il veut être proactif, observe-t-elle, soit on va penser que ce sondage servira à me discriminer et à m’empêcher d’accéder à un poste. »

Le questionnaire doit s’inscrire dans une démarche EDI étoffée. « On ne se lève pas un matin en se disant qu’on va examiner la représentation dans notre entreprise. Il doit y avoir un engagement de la haute direction, une stratégie, des ressources. On doit savoir pourquoi on souhaite mener un tel exercice, dit Manon Poirier. Ensuite, seulement, peut-on lancer le formulaire. »

En clarifiant dans quel contexte l’initiative s’articule, quels sont les intentions de l’employeur et les moyens pris pour protéger l’identité et les données des participants, il sera plus facile d’amener les salariés à répondre volontairement aux questions du sondage. « Ils doivent comprendre ce qu’ils vont en retirer, qu’importe le groupe duquel ils font partie », dit Suzie Mondésir.

« Ils devraient pouvoir lire toutes les questions avant de soumettre la moindre réponse, […] refuser de répondre et se retirer du questionnaire à tout moment », ajoute Terry Kyle Lapierre.

Chloé Frelson recommande de se servir de ce sondage pour mesurer aussi le niveau d’inclusion des employés. « On peut leur demander comment ils se sentent dans certaines circonstances. Là où on observe une réelle valeur, c’est lorsqu’on croise les données liées à l’auto-identification et au sentiment d’inclusion. »

Identifier le moment propice

D’après Chloé Freslon, le taux de réponse doit avoisiner les 70 % pour que l’exercice soit couronné de succès.

À l’issue de celui-ci, des gestes doivent impérativement être posés par l’entreprise. « C’est très dangereux de créer du cynisme », souligne Manon Poirier.

Une mise à jour devrait être menée à l’occasion afin d’effectuer un suivi des efforts en EDI. Lorsqu’un lien de confiance est établi, chaque nouvel employé pourrait être invité à y répondre.

Sauf dans certains cas, l’article 18.1 de la Charte interdit de poser de telles questions qui pourraient servir de motif de discrimination avant l’embauche, prévient Terry Kyle Lapierre.

« L’EDI permet de créer un environnement de travail exempt de discrimination où tous se sentent bien. On ne peut toutefois exiger d’une personne qu’elle se sente ainsi. C’est un sentiment qu’il faut aller nourrir, rappelle Suzie Mondésir. Ça passe par la confiance, le développement des synergies et le fait de mieux se connaître. »