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EXPERT INVITÉ. En février 2010, un des dirigeants d’une section locale 791 de la FTQ-Construction pour les grutiers, Éric Boisjoly, a été reconnu coupable d’avoir usé d’intimidation ou de menaces dans le but de ralentir un chantier en Gaspésie.
Selon la preuve entendue, le syndicaliste aurait affirmé à l’employeur qu’il n’avait pas toujours le contrôle de ses gars et qu’il y avait alors danger «que la grue vire à l’envers».
Pour sa défense, Éric Boisjoly affirmait qu’il ne se souvenait pas d’avoir utilisé l’expression «coucher une grue» ou la «virer à l’envers». Il soutenait que de toute façon, ses paroles ne constituaient pas une menace, à ses yeux, mais que cela faisait partie du «jargon de négociation» qui signifie «faire des moyens de pression». Il a assuré qu’il n’a jamais été question de briser quoi que ce soit ou de faire de tort à qui que ce soit.
Le tribunal n’a pas cru la version d’Éric Boisjoly. Il le déclarait coupable d’avoir usé d’intimidation ou de menaces dans le but de provoquer une entrave, un ralentissement ou un arrêt des activités sur un chantier, en contravention de la loi.
Maintenant, imaginez un instant si un employeur tenait de tels propos et tentait de se défendre en disant que tout ceci n’était d’aucune façon une forme de menace à ses yeux. Ça ne passerait jamais!
En 2013, dans une décision appuyée sur une preuve accablante, la commissaire Kim Legault établissait qu’un travailleur syndiqué avec la CSN, avait été mis à pied en septembre 2009 en raison de son allégeance syndicale et surtout, à la suite de pressions exercées par Bernard «Rambo» Gauthier.
À ce moment, la Commission des relations de travail jugeait la FTQ responsable des actes du local 791 et de M. Gauthier. À la suite du jugement de la CRT, la FTQ-Construction réagissait par communiqué de presse et entendait dès lors contester la décision en soulignant qu’au cours des deux dernières années, trois jugements différents avaient acquitté des représentants syndicaux, dont Bernard Gauthier, pour intimidation. L’organisation, par la voix du directeur général de la FTQ de l’époque, se défendait en disait que la FTQ n’avait «jamais encouragé l’intimidation et ne le fera pas».
C’est vrai que la FTQ ne l’encourageait peut-être pas, mais cette pratique est belle et bien présente depuis des décennies et ils le confirment. L’intimidation et les menaces ne sont pas encouragées, mais sont présentes, tolérées, et ces dirigeants semblent toujours avoir la bonne excuse pour s’en laver les mains.
En 2014, lors de certains témoignages à la Commission Charbonneau, on apprenait que la discrimination et l’intimidation par la FTQ-Construction n’étaient pas les seuls problèmes sur les chantiers puisque les délégués syndicaux y seraient actifs dans le trafic de drogue au profit du crime organisé.
Interrogé à ce sujet, Bernard Gauthier s’était tenu de dire «on sait qu’il y a de la drogue, on sait qu’il y a des vendeurs, mais ça n’a aucun rapport avec les délégués». Pourtant, durant cette commission, dans une conversation d’écoute électronique, l’ex-président de la FTQ, Michel Arsenault, et son conseiller politique, Gilles Audette, parlaient ouvertement du trafic de drogue sur la Côte-Nord. «Je sais ce qui se passe sur les chantiers. Tu sais Michel, la distribution de la “dope”, là crisse, ça passe en ostie sur les chantiers, ça passe par les délégués, han?», disait-il. «Ça, c’est clair ciboire, c’est leur réseau. Dans les usines, ils n’ont pas besoin de passer par leurs syndicats. C’est de la main-d’œuvre permanente et ils ont des réseaux de distribution de pot, de hasch et de coke. Et ça arrive des fois que c’est même les officiers du syndicat qui sont à la tête de ça», enchaînait Gilles Audette.
Lors de son témoignage à cette commission, Bernard Gauthier reconnaissait qu’il avait fait de l’intimidation au cours de sa carrière de délégué syndical. Il lui arrivait aussi de hausser le ton face à des employeurs qui ne voulaient pas appliquer les «clauses Rambo». «Dire à quelqu’un que c’est un plein de “marde” quand c’en est un, ça me fait du bien. Ça m’enlève le goût d’y allonger ma main sur la gueule», avait-il lancé au procureur pour se justifier.
Depuis le début des années 2000, la conduite de Bernard Gauthier recevait également l’aval de la FTQ-Construction. Même s’il était au courant de ses méthodes musclées, le directeur général de l’Union des opérateurs de machinerie lourde, Bernard Girard, ne l’a jamais sanctionné.
Girard lui aurait simplement donné des avertissements. Il est important de dire que la FTQ a toujours payé les amendes lorsque Bernard Gauthier était reconnu coupable de discrimination syndicale, ce qui constitue une forme d’appui.
Un changement vers la continuité
À la suite de son élection l’ayant portée à la présidence de la FTQ en 2023, Magali Picard, qui se dit être la porte-parole de plus de 600 000 travailleurs, transmettait au gouvernement de François Legault, quelques jours après sa victoire, ses demandes et ses priorités, touchant essentiellement les questions de santé et de sécurité de ses travailleurs sur les chantiers de construction.
Malgré ses belles paroles, en février 2024, dans le cadre du projet de loi 42, qui visait «à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail», la FTQ voulait que les mesures disciplinaires imposées pour des gestes de violence à caractère sexuel n’apparaissent plus dans le dossier des employés fautifs après deux ans.
Si les gestes étaient posés par un représentant de l’employeur, la faute restait ad vitam aeternam au dossier et le syndicat pouvait s’y référer en tout temps, mais pas dans le cas d’un employé syndiqué avec la FTQ.
Le merveilleux monde syndical est gangréné et est caractérisé par le harcèlement, l’intimidation et la violence. Ces dernières semaines, c’est la vice-présidente syndicale de la section 310 du syndicat des cols bleus de la Ville de Montréal, Sonia Gosselin qui a goûté à la médecine de son propre syndicat. Elle a déposé une plainte officielle après être tombée en arrêt de travail.
La section locale 301 de la FTQ, célèbre pour sa culture syndicale musclée semble être replongé dans ses vieilles habitudes selon huit syndicalistes interviewés dans le cadre de l’enquête sur le climat de travail toxique dans le dossier de Sonia Gosselin.
Le nouveau président, Jean-Pierre Lauzon semble privilégier l’ostracisation des camarades considérés comme dissidents, et malgré ce que les journaux et les témoins rapportent, les hautes instances de la FTQ semblent encore accepter et tolérer ces pratiques machistes et rétrogrades.
En août dernier, Sonia Gosselin a fait une plainte officielle auprès du Syndicat canadien de la fonction publique, auquel le 301 est affilié. Elle rapportait être victime d’actes de harcèlement, de discrimination, d’intimidation, de menaces, d’exclusion systématique, d’isolement et d’agression physique.
Conséquemment, le président des cols bleus, Jean-Pierre Lauzon, comparaît présentement devant un conseil de discipline du SCFP-Québec. Si le conseil juge la plainte fondée, il peut imposer des sanctions allant de la réprimande à l’exclusion.
Imaginez un instant comment réagirait ce syndicat si l’employeur ostracisait et pratiquait une forme de violence quelconque à l’égard des employés syndiqués. Ce serait la fin du monde, et pour cause. Les leaders syndicaux de la FTQ montraient aux barricades et demanderaient une reddition de compte, pour ne pas dire qu’ils réclameraient la tête de l’employeur. Mais, ces leaders syndicaux semblent privilégier la politique «deux poids deux mesures» et gèrent leurs membres de la même façon que ceux qu’ils dénoncent.
La FTQ réagit enfin
Présent dans le décor du syndicalisme québécois depuis plus de 20 ans, «Rambo» Gauthier se serait fait montrer la porte ces derniers jours par la FTQ-Construction. Elle lui aurait montré la porte afin de se dissocier du personnage, de ses comportements, et de ses commentaires, en lui reprenant sa carte de représentant syndical.
Ceci serait survenu à la suite de la réception de plusieurs plaintes demandant à la FTQ d’agir immédiatement et de prendre des mesures à l’endroit de Bernard Gauthier. La nature des plaintes porterait sur son manque de professionnalisme et son manque de respect envers les autorités en place. La FTQ allègue qu’il aurait fait usage de langage abusif ou diffamatoire à plusieurs reprises sur les réseaux sociaux.
Depuis 20 ans, le syndicaliste s’est retrouvé sous les feux des projecteurs à plusieurs reprises, notamment à l’occasion d’un bref passage en politique en 2016 et après avoir côtoyé le groupe de droite identitaire La Meute en 2017, avant de s’en dissocier.
À la FTQ, ça fait plus de 20 ans qu’ils tolèrent l’intolérable et que les dirigeants défendent des gens comme «Rambo» Gauthier et comme Jean-Pierre Lauzon.
Personne ne viendra pleurer sur le cas de ce dernier et personne ne demandera à la FTQ de réviser sa décision.