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Les Maghrébins sont-ils discriminés à l’embauche au Québec?

Olivier Schmouker|Publié le 13 novembre 2020

Les Maghrébins sont-ils discriminés à l’embauche au Québec?

Ils butent sur une «barrière invisible»... (Photo: Junaid Aziz pour Unsplash)

BLOGUE. Depuis le tournant du millénaire, 1 immigrant sur 5 arrivé au Québec est originaire du Maghreb (Maroc, Algérie et Tunisie). En conséquence, 90% des Maghrébins qui vivent au Canada sont aujourd’hui établis au Québec, ce qui fait de notre province une destination de choix pour eux. Le hic? C’est qu’on entend ici et là des voix persistantes qui déplorent le fait qu’il leur est particulièrement complexe d’accéder au marché du travail, que ceux-ci souffriraient carrément de discrimination.

Vrai ou faux? Une étude du Cirano vient de sortir à ce sujet, et elle apporte une réponse claire et nette: oui, il y a bel et bien discrimination à l’embauche des Maghrébins au Québec. Explication.

Brahim Boudarbat et Claude Montmarquette sont tous deux professeurs de sciences sociales et humaines à l’Université de Montréal. Ensemble, ils ont procédé à l’expérience suivante…

Ils ont demandé à 162 étudiants appelés à devenir des recruteurs de bien vouloir se prêter à un petit test. Il s’agissait dans un premier temps de sélectionner deux candidats sur une liste de 24 pour un entretien d’embauche, le choix devant se faire à la simple lecture des CV. Et dans un second temps, chaque participant recevait les évaluations des deux candidats à l’issue de leur entretien d’embauche et devait désigner celui qui obtiendrait le poste.

Ce que les participants ne savaient pas, c’est que l’expérience présentait quelques particularités. Ainsi, les candidatures étaient toutes fictives; il y avait parmi elles uniquement des candidats Maghrébins ou Franco-Québécois. Autre exemple: lors de la seconde étape du recrutement, les deux chercheurs se sont arrangés pour attribuer systématiquement de meilleures évaluations aux maghrébins qu’aux franco-québécois, lorsqu’un des deux candidats retenus était Maghrébin.

Pourquoi ces petits arrangements? Tout simplement parce que les deux chercheurs voulaient voir si les Mahgrébins étaient victimes de discrimination, ou pas. Et parce que ces arrangements-là pouvaient permettre de le mettre en évidence, le cas échéant.

Résultats? Tenez-vous bien avant de découvrir ce qui suit:

> Pénalisés par le CV. Les Maghrébins sont nettement défavorisés par rapport aux Franco-Québécois au moment de la sélection pour un entretien d’embauche. En effet, 33% d’entre eux ont été retenus pour passer un tel entretien, comparativement à 47% des Franco-Québécois. Cela implique qu’un Maghrébin a 29% moins de chances d’être retenu pour un entretien qu’un Franco-Québécois.

Rappelons-le, à ce stade, la décision des recruteurs reposait uniquement sur les données que présentaient les CV des candidats. Ces données permettaient de connaître leur origine (par la consonance du nom) et leurs qualifications (scolarité et expérience professionnelle). Par conséquent, le CV pénalise lourdement les candidats maghrébins.

> À égalité lors de l’entretien d’embauche. À la seconde étape, au moment où se fait le choix final du candidat à embaucher, les recruteurs ajustent le tir: la probabilité d’être embauché devient presque la même pour les deux groupes (19,7% pour les Maghrébins et 20,3% pour les Franco-Québécois).

«Ces résultats semblent indiquer que les recruteurs doutent de la valeur réelle des qualifications des candidats maghrébins, ou bien qu’ils ont du mal à les évaluer correctement à partir des seuls CV, notent MM. Boudarbat et Montmarquette dans leur étude. Cependant, une fois l’incertitude dissipée après la divulgation de l’information sur la performance des candidats maghrébins en entretien d’embauche, les recruteurs se ravisent et retiennent le travailleur a priori le plus performant, qu’il soit maghrébin ou pas.»

Bref, l’exclusion des candidats maghrébins se fait surtout au moment de la sélection pour l’entretien d’embauche, laquelle s’appuie sur les données du CV. Ces candidats font ainsi face à une «barrière invisible» qui les empêche de prouver leurs compétences. C’est seulement s’ils parviennent à surmonter cet obstacle qu’ils seront traités en fonction de leurs compétences réelles, et non pas de leur origine.

La question saute donc aux yeux: comment pouvons-nous corriger le tir?

Les deux professeurs de l’UdeM ont eu l’idée de sensibiliser une partie des participants au fait que leur entreprise – celle, pour laquelle ils recrutaient, donc – souscrivait activement au principe de l’équité en matière d’emploi, en martelant de surcroît le fait que la Charte des droits et libertés de la personne interdisait purement et simplement la discrimination.

Mais voilà, ce petit rappel n’a pas eu d’«impact significatif». Les recruteurs sensibilisés ont discriminé les CV maghrébins tout autant que les autres recruteurs.

MM. Boudarbat et Montmarquette ont également eu une autre idée: on pourrait miser sur la diversité ethnoculturelle des recruteurs. Car on pourrait croire que cela aiderait à davantage tenir compte des profils atypiques.

Mais voilà, il se trouve que les participants à leur expérience qui étaient eux-mêmes issus d’une minorité visible n’ont pas favorisé les candidats maghrébins. Pas plus que les autres. Ce qui les amène à conclure qu’«une plus grande diversité ethnique chez les recruteurs n’aurait pas d’impact significatif sur l’accès des Maghrébins à l’emploi».

Autre piste explorée: mieux enseigner l’importance de la diversité dans le recrutement, histoire de former à l’avenir des recruteurs plus ouverts d’esprit.

Mais là encore, on bute sur un problème: «Étonnamment, les cours et les formations en gestion des ressources humaines et en gestion de la diversité ne semblent pas avoir d’impact significatif sur le comportement des recruteurs à l’égard des candidats maghrébins», notent-ils. C’est que les participants à l’expérience ont justement suivi de tels cours, et cela ne les a pas empêchés de discriminer allègrement les Maghrébins, le moment venu.

D’où leur conclusion sur ce point: «Les programmes de formation actuels sont donc à revoir pour promouvoir efficacement la diversité et le recrutement inclusif, surtout dans un contexte où la proportion de main-d’œuvre issue de l’immigration est en croissance continue», soulignent-ils.

Alors? Que faire?

Leur idée, ça serait de taper un bon coup sur les doigts des employeurs, et de répéter l’opération, encore et toujours. «Il y a lieu de continuer à sensibiliser les employeurs et leurs recruteurs à l’importance de donner une chance aux immigrants, d’autant plus qu’ils évoquent souvent une pénurie de main-d’œuvre, prônent l’augmentation des niveaux d’immigration et considèrent l’expérience étrangère comme un atout lorsqu’elle est complétée par une expérience acquise au Québec. Des processus de recrutement ouverts et transparents bénéficieraient à tout le monde. À cet égard, le Conseil du patronat du Québec et l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés pourraient être mis à contribution.»

Voilà. Chers employeurs, chers membres du CPQ, chers membres du CRHA, la balle est dans votre camp. Quel est votre plan de match, à présent? Une réponse, vite, s’il vous plaît. D’autant plus que cela serait, semble-t-il, une formidable occasion d’arrêter de se plaindre de la sempiternelle “pénurie de talents”…

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