Briser l’isolement est un facteur clé pour nourrir le bien-être des responsables des ressources humaines. D’ailleurs, certains groupes d’échange se sont formés pour répondre à ce besoin, tels que DouceuRH et la Cabane RH. (Photo: 123RF)
«Je suis tannée qu’on minimise la charge mentale et émotionnelle inhérente à notre profession. Sans rien enlever aux autres départements, 40 heures à balancer des états financiers, ce n’est pas plus lourd que 40 heures à régler des problèmes singuliers et à écouter les employés et les gestionnaires se plaindre, tout en demeurant un rayon de soleil. »
Voilà l’un des témoignages qui a le plus ébranlé Marianne Lemay, PDG de Kolegz, une firme spécialisée dans l’expérience employé et candidat, lorsqu’elle a demandé à ses 12 000 abonnés sur LinkedIn ce qu’ils n’oseraient jamais dire à leur patron à propos de leur fonction en ressources humaines.
Le portrait brossé était à l’image de ce qu’elle observe chez ses clients : des responsables fatigués, pour qui les quatre dernières années ont été particulièrement difficiles, qui se sentent isolés et dont le rôle n’est pas encore reconnu comme stratégique.
L’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA) abonde dans le même sens. D’après des données collectées en 2021 et 2023, la part des professionnels sondés qui jugent bien aller est passée de 81 % à 72 %. « On remarque un fléchissement dans la perception de leur santé psychologique. [Nos membres] vont moins bien que pendant la pandémie », rapporte sa directrice générale, Manon Poirier.
« Cette gestion du changement, la détresse de nos employés et toute cette nouveauté ont été de gros facteurs de stress », renchérit Claudia Lépine, directrice talents et culture à Nexus Innovation, qui organise des retraites d’un week-end pour gestionnaires des ressources humaines.
La pandémie et les conséquences qu’elle a eues sur la santé mentale s’ajoutent à tous les autres dossiers chauds des derniers mois avec lesquels ils jonglent déjà, comme les vagues de mises à pied, la modernisation de la Loi sur la santé et la sécurité du travail et la pénurie de main-d’œuvre. La plupart du temps, très peu de moyens supplémentaires leur ont été confiés, selon Manon Poirier.
Les conseillers en ressources humaines « essayent de trouver des solutions, mais à force, c’est épuisant, observe la consultante Coralia Raducea. Les processus ne sont pas optimaux, car les hautes directions se consacrent à survivre au ralentissement économique et délaissent les soucis soulevés par les responsables des ressources humaines ».
Reconnaissance essentielle
Du progrès a été fait, mais en ne reconnaissant pas la fonction stratégique de la gestion des ressources humaines, l’entreprise mine la flamme des personnes qui campent ce rôle, dit Josyanne Villeneuve, PDG de la firme de développement organisationnel Main dans la main.
« C’est difficile de voir des améliorations possibles à des processus sans pouvoir les apporter, de souhaiter être un catalyseur de performance organisationnel, mais d’être relégué uniquement aux opérations », dit-elle.
D’après Marianne Lemay, c’est en partie causé par une incompréhension de ce rôle. « On mise beaucoup sur l’intuition, et
ça semble plus difficile de s’y fier qu’à des états financiers par exemple. C’est pourquoi il y a
plus de sondages d’engagement, d’analyses psychométriques et des logiciels de données d’analytiques RH. »
Ces experts de l’humain peuvent « apprendre à formuler leurs propositions stratégiques et à mieux manier les coûts » pour se tailler une place à la table des décisions, indique Marie-Eve Champagne, CRHA spécialiste de la santé, de la sécurité et du mieux-être au travail à Nucléi Conseils.
N’empêche que leur contribution au bon roulement de l’organisation doit être soulignée, célébrée, du moins en privé, insiste-t-elle. Or, malgré les bénéfices que ça génère, cette reconnaissance est souvent négligée.
Elle passe aussi par le salaire accordé, ajoute Marianne Lemay. À plusieurs reprises, la PDG de Kolegz a remarqué que des dirigeants des ressources humaines avaient une compensation moindre que celle de leurs collègues au marketing ou aux finances, par exemple.
La culture de l’entreprise doit en être une de bienveillance, faisant du bien-être des coéquipiers, même des gestionnaires des ressources humaines, l’affaire de tous. « Ça doit être appuyé par une politique générale de santé, sécurité et mieux-être au travail où on l’énonce clairement et de façon écrite dans les responsabilités. On s’assure que les bottines suivent les babines de la part de tous », ajoute Marie-Eve Champagne.
Prêchant pour sa paroisse, Coralia Raducea encourage les dirigeants à leur accorder de l’aide externe pour les soulager. Au-delà de sa fonction au soutien opérationnel, elle sent qu’elle revêt le rôle de confidente pour ses clients, comprenant les défis propres à la profession qu’ils rencontrent.
Idem à Kolegz. Flairant un besoin, la firme a même lancé « Koleg pour emporter », des rendez-vous réguliers afin de faire certes le suivi d’un projet, mais aussi de créer un espace où les experts des ressources humaines peuvent ventiler. « Pendant la pandémie, je n’ai jamais vu autant de gens pleurer pendant nos rencontres », rapporte Marianne Lemay.
Responsabilité partagée
Afin de protéger leur santé mentale, les responsables des ressources humaines doivent aussi apprendre à respecter leurs propres limites, à « être un cordonnier bien chaussé », résume Manon Poirier.
« On doit avoir des moments pour se recharger autant physiquement que mentalement et émotionnellement, mais c’est difficile de les prévoir, admet Josyanne Villeneuve. On doit donc être capable de nommer quand on en ressent le besoin. »
La haute direction doit quant à elle s’assurer que la personne aura l’espace nécessaire pour le faire afin de mieux reprendre le travail par la suite. La manière de se régénérer peut prendre plusieurs formes : une balade sur l’heure du midi, des groupes de codéveloppement au café avec une amie qui travaille dans le domaine…
Briser l’isolement est d’ailleurs un facteur clé pour nourrir le bien-être des responsables des ressources humaines qu’ont mentionné toutes les expertes consultées. Certains groupes d’échange se sont mêmes formés dans les derniers mois pour répondre à ce besoin, comme DouceuRH, les Kollabz créatifs et La cabane RH.
En plus du caractère confidentiel de certains dossiers, il est difficile pour les responsables des RH de parler de leur réalité aux collègues. « C’est dans la connexion avec des gens qui nous comprennent que la recharge mentale se fait, dit Josyanne Villeneuve. On se sent entendus, on partage les mêmes enjeux, et on est capable de trouver des solutions ensemble. »
La formation peut aussi être un moyen de se sentir outillé, mieux préparé, et de se protéger lorsqu’ils doivent gérer des situations délicates, ajoute Marie-Eve Champagne.
Sans être miraculeuses, ces avenues peuvent servir de bouffée d’air frais aux responsables des ressources humaines, et cela profite à l’ensemble de l’organisation, rappellent les expertes consultées.