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Les «Z» seront patrons plus tôt que leurs prédécesseurs

Catherine Charron|Édition de la mi‑mars 2023

Les «Z» seront patrons plus tôt que leurs prédécesseurs

Compétitifs, les Z veulent tout de même cocréer et collaborer. La rétention d’information leur semble de plus inconcevable. (Photo: 123RF)

Qu’ils le veuillent ou non, les membres de la «Gen Z» seront amenés à occuper des postes de gestion bien plus tôt dans leur carrière que leurs prédécesseurs. À la clé, des environnements de travail où diversité, inclusion et organisation plus horizontale seront plus valorisées. Comment les entreprises peuvent-elles se préparer à l’arrivée de ces gestionnaires en quête d’équité, tout en permettant à cette nouvelle génération de développer son plein potentiel?

Une vague de nouveaux leaders paresseux et inconstants qui prônent la loi du moindre effort, qui n’ont aucun respect pour l’expérience de leurs aînés et qui préfèrent «slider dans les DM» (pour direct messages, ces messages privés sur les réseaux sociaux), plutôt que de côtoyer leurs collègues s’apprêteraient-ils à occuper les postes laissés vacants par les baby-boomers? C’est le scénario catastrophe que laissent imaginer les préjugés qui collent à la peau des membres de la génération Z, de qui on s’attend à ce qu’ils campent des rôles de gestion bien plus rapidement que leurs prédécesseurs, faute de travailleurs plus expérimentés.

En réalité, ces jeunes nés entre 1996 et 2010, qui sont entrés sur le marché du travail en même temps que l’éclosion de la pandémie COVID-19, accordent de la valeur à leurs émotions ainsi qu’à la voix de chaque individu, tentant de redéfinir ce à quoi rime le bien-être. Ils préfèrent donner le choix plutôt que d’imposer une vision universelle, et ils prônent le traitement personnalisé et les critères ESG. Sans même occuper la majorité des postes de leadership, les «Z» contribuent déjà à transformer leur environnement. Dans son nouvel ouvrage intitulé Generation Why:How Boomers Can Lead and Learn from Millenials and Gen Z, qui paraîtra au printemps 2023, le professeur agrégé de l’Université McGill Karl Moore, souligne que des changements s’effectuent déjà au sein de certaines organisations, pas parce qu’ils proviennent de la haute direction, mais de gestionnaires de premier niveau.

Malgré ce départ en force, il n’en demeure pas moins que ces futurs leaders auront besoin entre temps d’un coup de main afin de développer les compétences nécessaires pour remplir leurs prochaines fonctions. Ils pourraient sans doute se retrouver dans cette position plus rapidement qu’ils ne le croient. En effet, d’ici 2025, près de 900 000 Canadiens âgés de 65 ans et plus quitteront le marché du travail. Cela représente une hausse de 50 % du nombre moyen de nouveaux retraités des dix dernières années, prévenait l’économiste principal de TD Economics, James Orlando, en janvier dernier.

Rappelons qu’au troisième trimestre de 2022 seulement, plus de 950 000 postes étaient déjà vacants au pays.

«Avant l’horizon 2030, on va avoir des trentenaires issus de la génération Z qui auront des emplois qu’on n’avait pas avant d’avoir 40 ou 50 ans auparavant, dit Pierre Graff, PDG du Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec (RJCCQ). Qu’ils le veuillent ou non, ils seront amenés à prendre ces responsabilités plus rapidement.»

 

De nouveaux leaders

Déjà, certaines personnes attrapent la balle au bond, comme Azélie Pouliot et Marie-Antoinette Diop. Si la première a mené une équipe de trois personnes pendant plus d’un an et demi dans deux entreprises différentes un peu par la force des choses, la seconde a plutôt postulé pour un poste de gestionnaire sans pour autant avoir l’ensemble des prérequis.

À 23 ans, Marie-Antoinette Diop était «à la recherche d’une expérience pour laquelle il y a des défis [qu’elle avait] le goût de relever», raconte celle qui est depuis un an directrice des stratégies et des politiques de l’Association des brasseurs du Québec. À sa grande surprise, beaucoup d’employeurs lui ont répondu.

«On a une jeunesse qui veut prendre sa place, dit Guy Cormier, PDG de Desjardins, le troisième plus grand employeur du Québec. Vont-ils occuper leur poste comme leurs prédécesseurs? Non. Je le vois chez nos nouveaux gestionnaires. Ils et elles ont une conscience environnementale ou nous font réfléchir à changer nos processus.»

Au cours de sa tournée aux quatre coins de la province pour rencontrer des jeunes, Guy Cormier dit avoir été «marqué»par la dissonance cognitive éprouvée par les jeunes dans le contexte du travail. Conscients des externalités que leurs actions entraînent sur la société et la planète, ils contribuent à la croissance de leur organisation qui, elle, n’en tient pas toujours compte, a observé le PDG. Pour ces futurs dirigeants, l’«équilibre entre l’économie et les critères ESG va prendre encore plus d’importance», estime-t-il.

 

Un monde du travail redéfini

Karl Moore, qui enseigne au Département de gestion de l’Université McGill depuis l’automne 2000, est convaincu que les membres de la génération Z transformeront le monde du travail tel qu’on le connaît. Comme pour tous les gestionnaires avant eux, le style de leadership et la démarche des Z seront influencés par les événements marquants de leur jeunesse, indique-t-il dans son livre. La pénurie de main-d’œuvre, la lutte aux changements climatiques et la pandémie teinteront donc durablement ces dirigeants en devenir.

Karl Moore souligne toutefois que très peu d’études ont été menées jusqu’à présent spécifiquement sur ce groupe de travailleurs. Malgré ce manque de données, le chercheur est d’avis que cette génération se différenciera notamment des millénariaux dans ses efforts plus importants pour créer des environnements de travail équitables, diversifiés et inclusifs.

C’est d’ailleurs une valeur chère à la «leader naturelle»— c’est elle qui le dit ! — qu’est Marie-Antoinette Diop: «Lorsqu’on convie tout le monde à la table et qu’on les écoute, car je crois que tous et toutes y ont une place, on est capable de trouver les failles dans un raisonnement. Ça permet de donner une meilleure vue d’ensemble.»

Compétitifs, les Z tenteraient cependant davantage que les Y de cocréer et de collaborer, observe aussi Karl Moore. La rétention d’information leur semble d’ailleurs inconcevable, prônant plutôt sa libre circulation, ajoute-t-il. «Il y a une énorme différence entre avoir l’impression de travailler “pour” une personne et de travailler “avec” cette personne. La différence est super importante pour ma génération, confirme Marie-Antoinette Diop. Ça vient avec le fait que l’on veut connaître la vision claire de notre entreprise et de notre équipe, savoir où on s’en va, tous ensemble.»

Cette soif de transparence dans les organisations est difficile à concevoir pour les personnes plus âgées qui collaborent actuellement avec les Z, constate Robert Dutton, ancien président de Rona et professeur à HEC Montréal depuis huit ans. Selon lui, ces gestionnaires à la vision plus classique préféreraient que leurs employés se contentent de suivre les consignes sans poser de questions. «Cette quête de sens force les gestionnaires à communiquer [avec leurs jeunes employés]. Il faut passer du vouloir faire, au faire vouloir.»En d’autres termes, pour bien encadrer les Z, un leader ne doit pas les forcer à accomplir une tâche, mais bien leur démontrer l’importance de cette tâche. C’est là une preuve d’intelligence, selon lui, car ils souhaitent comprendre quelle est leur valeur ajoutée.

 

Vivre d’abord

Dans son étude Jeunesse, parue en décembre dernier, Léger a révélé que 43% des 3000 répondants aspiraient à gérer des employés au cours de leur vie.

Le RJCCQ constate aussi la croissance du besoin de faire partie des processus décisionnels des jeunes travailleurs, mais sous certaines conditions. «Ça amènera [les Z] à avoir un style de gestion différent, car ils ne veulent pas être gestionnaires à n’importe quel prix», remarque son président.

En effet, seul un cinquième des répondants à un sondage mené par Léger se disaient carriéristes, ce qui fait remarquer à ce trentenaire que les jeunes «ne souhaitent pas faire de compromis sur leur bien-être». La PDG de Promutuel, Geneviève Fortier, fait un constat similaire. «Peu d’entre eux ont le goût de se “défoncer” comme notre génération (les X) l’a fait pour accéder à la direction de nos organisations, dit-elle. Ils sont engagés à déployer les efforts et les poussées nécessaires, tout en restant cohérents avec leurs valeurs et le sens de leur engagement.»

Azélie Pouliot, qui s’occupe à 24 ans du succès d’un portefeuille de plusieurs millions de dollars à Salesfloor, ne craint pas de mettre les bouchées doubles. Ce ne sont donc pas les longues heures qu’elle a trouvées le plus difficile, mais le fait de cumuler les chapeaux: la gestion de ses employés tout en assurant le suivi auprès des clients.

«Rarement [la gestion] est la seule responsabilité que tu as, dit la jeune femme. C’est drainant émotionnellement. Peut-être est-ce différent dans les grandes organisations. [… Chose certaine], il faudrait ramener ce poste [à sa base], celle de s’occuper du bien-être et de mener son équipe.»

Marie-Antoinette Diop remarque aussi que ce rôle vient avec un important coût émotionnel. Elle est toutefois d’avis que le vent pourrait tourner. «La pandémie a été un catalyseur pour démontrer l’importance d’un meilleur équilibre et valoriser le temps de repos.»Ces futurs dirigeants accorderont donc une attention particulière aux coûts de leurs ambitions et aux moyens dont ils disposent pour les réaliser. «Ils n’hésitent pas à remettre en question cet équilibre et nous forcent constamment à aligner nos bottines avec nos babines», affirme Geneviève Fortier.