L’IA menace-t-elle plus que jamais votre emploi?
L'économie en version corsée|Publié le 13 juillet 2020Impossible de retrouver sa place si jamais une IA la prend... (Photo: Morning Brew/Unsplash)
CHRONIQUE. À Montréal, une quinzaine d’employés de Conseil Teaminside viennent de perdre leur emploi. Pourquoi? Microsoft, l’un de ses clients, a décidé de ne plus confier la gestion du contenu de son site web MSN à des êtres humains mais plutôt à une intelligence humaine (IA). Ce qui était justement la tâche des employés en question, pour le Québec (à l’échelle de la planète, ce sont une cinquantaine de sous-traitants de Microsoft qui ont dû se résoudre à remercier des employés pour la même raison…).
Autrement dit, les nouvelles mises en ligne sur MSN sont désormais «sélectionnées, éditées et organisées» par une seule IA, une poignée d’êtres humains se contentant de servir de garde-fou, leur rôle étant de jeter un coup d’oeil rapide sur la sélection effectuée automatiquement afin d’éviter que ne soient diffusés des contenus «hors de propos» (ex.: fausses informations, propos discriminatoires, etc.). Ce qui signifie que Microsoft considère qu’à présent le traitement journalistique de l’information peut être mieux effectué par une IA que par une équipe d’être humains spécialisés dans ce domaine.
La question saute aux yeux : n’est-ce plus qu’une question de temps avant que tous les métiers – oui, tous – puissent être effectués par une IA? Et d’ailleurs, certains métiers sont-ils d’ores et déjà plus à risque que d’autres? (Et le vôtre?)
Statistique Canada vient de dévoiler une étude en collaboration avec l’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP) intitulée «Automatisation et transformation des emplois au Canada: qui est à risque?», signée par Kristyn Frank et Marc Frenette. Celle-ci apporte une réponse qui devrait vous faire frémir…
> Le Top 5 des professions les plus à risque. Le tiers (36%) des membres du personnel de soutien de bureau courent un risque «élevé» d’être supplantés par une IA. Ce qui représente une proportion presque deux fois plus élevée que celle de toute autre profession.
Le Top 5 des professions les plus à risque au Canada est le suivant:
1. Personnel de soutien de bureau (36%)
2. Personnel de supervision en services et personnel de services spécialisés (20%)
3. Personnel des métiers de l’électricité, de la construction et des industries (20%)
4. Représentants de commerce et vendeurs – commerce de gros et de détail (15%)
5. Représentants de services et autre personnel de services à la clientèle et personnalisés (14%)
En conséquence, tous les aides de bureau, aide-commis et autres préposés ont du souci à se faire. Tout comme, entre autres, les superviseurs, les cuisiniers, les bouchers; les contremaîtres, les électriciens, les plombiers; les vendeurs, les caissières; les serveurs, les agents de sécurité, ou encore les standardistes. Car un grand pourcentage d’entre eux sont appelés à perdre leur emploi à tout jamais, remplacés par un robot intelligent.
> Le Top 5 des industries les plus à risque. L’industrie la plus en péril est celle de la fabrication: 27% des employés actuels pourraient être remplacés par une IA, selon l’étude de Statistique Canada.
(Source: «Automatisation et (…)», Statistique Canada, 2020)
Le Top 5 des industries les plus à risque est le suivant:
1. Fabrication (27%)
2. Hébergement et services de restauration (16%)
3. Transport et entreposage (14%)
4. Commerce de gros et commerce de détail (13%)
5. Soins de santé et assistance sociale (12%)
> L’atout écrasant du diplôme. Le tiers (33%) des travailleurs n’ayant aucun certificat, ni diplôme, et le quart (24%) de ceux ayant, au plus, un diplôme d’études secondaires courent un risque «élevé» que leur emploi s’évanouisse. En revanche, cette proportion n’est que de 3,6% pour les travailleurs détenant un baccalauréat et de 1,3% pour ceux qui ont une maîtrise.
> Une menace plus grande que jamais. «La fermeture des lieux de travail pendant la pandémie et les efforts visant à minimiser les contacts physiques pourraient inciter les employeurs à mettre en place des modalités de production «à l’épreuve des virus» grâce à l’adoption de solutions technologiques, notent les deux experts de Statistique Canada. En outre, de nombreuses entreprises ont migré leurs activités de vente et de service à la clientèle sur Internet, accroissant ainsi leur degré de dépendance vis-à-vis des technologies numériques. De telles mesures pourraient entraîner une transformation de l’emploi pour un large éventail de travailleurs.»
En résumé, la COVID-19 a boosté le désir des employeurs de se doter d’une «main-d’oeuvre» 100% résistante aux maladies virales, capable de travailler jour et nuit sans s’arrêter, susceptible de ne jamais commettre d’erreur et totalement indifférente à l’absence de rémunération (et donc, à toute négociation de hausse salariale!). C’est que nombre d’entre eux ont noté qu’il leur avait fallu fermer parce que leurs employés étaient des êtres humains (ce qui ne serait pas arrivé si ceux-ci avaient été des robots intelligents). Et que ces mêmes employeurs ont également noté combien il leur était complexe de redémarrer à présent leurs activités, justement parce que leurs main-d’oeuvre était composée d’êtres humains (ce qui n’aurait pas été le cas si ceux-ci avaient été des robots intelligents).
Combien d’employeurs vont bientôt sauter le pas, et s’équiper en robots intelligents? L’avenir le dira.
«Le rythme auquel ces changements se produiront sont encore largement inconnus et reposent sur plusieurs facteurs, estiment Kristyn Frank et Marc Fréchette. Bien que la pandémie puisse dans certains cas accélérer l’avènement de l’IA, le processus peut aussi être ralenti par des contraintes juridiques et financières, voire par la résistance de la société aux technologies automatisées.»
Bref, l’IA est plus que jamais une menace pour un grand nombre d’emplois au Canada. Mais cette menace peut être atténuée si jamais les Canadiens décident massivement d’y mettre un frein. Oui, si jamais nous nous inquiétions vraiment de ce que deviendraient tous ces chômeurs dans l’incapacité de renouer avec le marché du travail (n’essayez surtout pas de me faire croire – au prétexte que la porte est ouverte pour de tous nouveaux métiers – qu’on peut transformer une standardiste ou un équarrisseur en un programmeur de génie ou en superviseur d’usine robotisée!). Si jamais nous nous inquiétions vraiment de ce que deviendrait notre démocratie à partir du moment où une IA traite l’information à la place des journalistes (d’ailleurs, une récente analyse a mis au jour le fait que l’algorithme qui gère Apple News aux États-Unis privilégiait outrageusement les médias racoleurs et populistes comme Fox News, People et autres BuzzFeed et discriminait tout aussi outrageusement des médias de référence tels que le Washington Post, le New York Times et autres Wall Street Journal dans ses choix de contenu). Si jamais nous nous inquiétions vraiment d’offrir un avenir digne de ce nom à nos enfants et à nos petits-enfants.
En passant, le philosophe roumain Emil Cioran a dit dans ses Syllogismes de l’amertume : «Espérer, c’est démentir l’avenir».
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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.
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