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L’incivilité, un mal sournois guette votre entreprise

Catherine Charron|Édition de la mi‑octobre 2023

L’incivilité, un mal sournois guette votre entreprise

Insidieux, un acte incivil «trotte dans la tête de la victime. Elle se demande pourquoi c’est arrivé, si c’était intentionnel ou pas», a constaté Catherine Whitehead dans le cadre de sa maîtrise. (Photo: 123RF)

Avoir un regard moqueur, éviter de saluer certains membres de l’équipe, omettre les marques de politesse dans un courriel, prendre un appel pendant une présentation… ces petits gestes à l’apparence anodine sont plus fréquents depuis quelques mois, et ils ont de graves conséquences dans les entreprises où on les répertorie, mettent en garde des experts.

En effet, une étude menée par la professeure en comportement organisationnel de l’Université du Québec à Trois-Rivières, Cynthia Mathieu, a montré qu’entre le conflit de travail, le harcèlement et l’incivilité, c’est ce dernier qui augmente le plus la détresse psychologique des employés.

«Le harcèlement, c’est des gestes plus gros et ciblés. L’incivilité, ça prend des formes plus subtiles, ambiguës, et quand ils sont tolérés, ça affecte le moral de tous, même si ces comportements ne nous sont pas dirigés», explique la chercheuse en entrevue avec Les Affaires.

Ceux-ci deviennent pratiquement monnaie courante en milieu de travail, remarque Ghislaine Labelle, psychologue organisationnelle et médiatrice accréditée, tout le monde étant sujet à manquer de courtoisie: «J’en ai fait plein, des interventions où je rappelais qu’on n’avait pas besoin de hurler pour faire de l’intimidation. Un non verbal bien placé, ça peut humilier quelqu’un dans une réunion.»

Jenny Ouellette, présidente et cofondatrice de l’entreprise de services-conseils en ressources humaines BonBoss, constate aussi une hausse du nombre d’appels à l’aide de clients qui peinent à faire régner un climat de travail respectueux. «Ça me demande de plus en plus de temps de faire ce genre d’intervention auprès des employés», dit-elle, préoccupée.

 

Incubateur à incivilité

Contrairement au harcèlement ou à la discrimination, l’incivilité est peu — pour ne pas dire pas du tout — encadrée. Elle tombe habituellement dans la catégorie du manque de savoir-vivre ou de respect plutôt que celle des actes condamnés. «Le contexte est important, car chaque groupe à ses propres normes», précise Catherine Whitehead, conseillère en développement organisationnel chez BonBoss.

L’incivilité fait même parfois pratiquement partie de la culture d’entreprise de certains milieux, comme ceux où de la haute performance est attendue, observe Rémi Labelle-Deraspe, professeur à l’école de gestion Management et GRH de l’Université de Sherbrooke. Ce n’est toutefois pas sans conséquence.

Insidieux, un acte incivil «trotte dans la tête de la victime. Elle se demande pourquoi c’est arrivé, si c’était intentionnel ou pas. Et comme c’est souvent un geste d’une faible intensité, qui passe parfois inaperçu aux yeux des autres, ce n’est pas toujours adressé par l’entreprise», a constaté Catherine Whitehead dans le cadre de sa maîtrise.

Le hic avec ces gestes grossiers a priori isolés, c’est qu’ils ont tendance à se répandre et à miner la culture organisationnelle. Les hautes directions doivent donc cesser de faire la sourde oreille et doivent dénoncer de tels comportements, martèlent tous les experts.

«Le poisson commence toujours à pourrir par la tête, rappelle Jenny Ouellette. On doit former les gestionnaires afin qu’ils sachent ce qu’est l’incivilité et qu’ils soient en mesure de la repérer. Ce que vous tolérez, vous allez devoir le gérer. Si tu ne fais rien quand tu vois des incivilités, tu le cautionnes par ton silence.»

«En période de pénurie de main-d’œuvre, le stress est au taquet, tout le monde est débordé, c’est normal d’être plus raide dans un courriel, de perdre patience avec un employé, nuance Rémi Labelle-Deraspe. L’important, c’est de reconnaître son faux pas et de s’ajuster. Ça démontre ce qui est attendu.»

 

Un coup de barre parfois nécessaire

L’un des éléments qui contribuent à changer des mœurs peu cordiales, c’est l’implantation d’un code de la civilité, estime Cynthia Mathieu.

Cette entente entre l’entreprise et ses employées doit départager les comportements acceptés de ceux qui ne le sont pas, et préciser quelles sont les conséquences des contrevenants.

Pour que ce code fédère tous les salariés, ces derniers doivent être impliqués dans son élaboration, surtout si son application ne semble pas porter fruit, a observé Ghislaine Labelle sur le terrain.

Dans une organisation scolaire à l’environnement travail plutôt malsain où une première tentative avait échoué, par exemple, c’est cette démarche qui a permis de corriger le tir. «Ce qui fonctionne, explique la psychologue organisationnelle, c’est de rappeler aux employés que s’ils sont 20 dans une équipe, ils ont un vingtième de responsabilité sur le climat de travail.»

Chacun a aussi eu à remplacer deux de leurs comportements négatifs par des gestes positifs. «Ceux qui étaient d’avis qu’ils n’avaient pas de comportement négatif devaient tout de même s’engager à adopter deux comportements positifs. Ce n’est pas vrai que tu ne peux pas améliorer tes relations avec tes collègues.»

La direction veille à ce que tous respectent leur promesse, non pas en adoptant une posture punitive, mais en renforçant les bonnes pratiques. «Les gens qui n’y croyaient plus [qu’un environnement de travail exempt d’incivilité était possible] ont recommencé à y croire», assure la conseillère en ressources humaines agréée.