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«Ma job est si plate…»

Olivier Schmouker|Publié le 23 mai 2023

«Ma job est si plate…»

Une équation «magique» peut permettre d'améliorer son quotidien au travail... (Photo: Siavash Ghanbari pour Unsplash)

MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudisVous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca

Q. – «Ma job actuelle est plate: le tiers des tâches ne me plaisent pas et me sont carrément imposées. Mais bon, je n’ai pas à me plaindre, c’est bien payé. Je me suis dit que ça irait mieux au quotidien si je me faisais des amis parmi mes collègues (pour l’instant, ce sont juste des collègues, avec qui je m’entends bien, mais sans plus). Les moments ennuyeux me paraîtraient alors moins pénibles…» – Émile

R. – Cher Émile, je dois vous confier que j’ai eu beaucoup de mal à trouver une réponse pertinente à donner à votre suggestion de transformer des collègues en amis afin que le temps passé au travail vous paraisse moins long. Car vous mettez le doigt sur un problème complexe qui n’a, sauf erreur, que peu fait l’objet d’études scientifiques. Explication.

Vous me parlez à la fois de lien social (collègues/amis), de sentiment de contrôle (tâches imposées) et de bien-être (job plate). Et votre interrogation revient à savoir comment ces trois composants de notre quotidien au travail interagissent entre eux. Par exemple, passer du statut de collègue à ami (lien social) peut-il améliorer le plaisir qu’on a à travailler (bien-être)? Autre exemple: le fait de se sentir plus heureux au travail (bien-être) peut-il atténuer la pénibilité de certaines tâches (sentiment de contrôle)?

On le voit bien, tout cela est complexe, d’autant plus qu’on parle ici de l’interaction simultanée de non pas deux, mais trois composants…

Fort heureusement, j’ai fini par dénicher une étude qui apporte un éclairage intéressant sur ce point. Regardons ça ensemble.

Dianne Vella-Brodrick est professeure de psychologie positive à l’Université de Melbourne, en Australie. Avec deux autres chercheurs, elle a demandé à près de 23 000 personnes de répondre à un même questionnaire tous les quatre ans, de 2003 à 2015. Ce questionnaire permettait de recueillir des données sur, entre autres, le bien-être, le lien social et le sentiment de contrôle dans la vie. (Certes, ces données dépassent le quotidien au travail, mais bon, on va malgré tout considérer qu’elles s’y appliquent bel et bien.)

Grâce à la richesse de ces données, les trois chercheurs ont été en mesure d’analyser toutes les sortes d’interactions possibles entre les trois composants. Par exemple, ils ont pu voir si, en général, un gain en sentiment de contrôle se traduit automatiquement par un gain en bien-être, si c’est plutôt le contraire qui se produit (plus de bien-être => plus de sentiment de contrôle), ou encore si l’un n’a aucune influence sur l’autre. Autre exemple: se peut-il qu’un gain en lien social se traduise par un gain en sentiment de contrôle, et par suite par un gain en bien-être?

Les combinaisons potentielles étaient nombreuses, comme vous venez de le constater, et pourtant le résultat de l’étude est on ne peut plus simple:

– Il n’existe qu’un seul lien de causalité avéré. Dès lors qu’on gagne à la fois en sentiment de contrôle et en bien-être, on gagne en facilité à nouer des liens sociaux. Ce qu’on peut résumer par l’équation suivante:

sentiment de contrôle + bien-être => liens sociaux

Par conséquent, Émile, ce n’est pas parce que vous transformerez des collègues en amis que votre quotidien au travail deviendra nécessairement plus agréable à vivre, comme vous suggériez de le faire. Bien entendu, vous faire des amis ne vous nuira en rien, bien au contraire, cela sera sûrement agréable. Néanmoins, ce n’est pas pour autant que vous gagnerez en sentiment de contrôle ou en bien-être dans votre quotidien au travail.

En fait, si vous n’avez pas d’ami au travail, si vos pairs sont «juste des collègues, sans plus», cela tient en grande partie au fait que vous n’avez pas un sentiment de contrôle élevé et que vous n’avez pas non plus un niveau de bien-être élevé au travail. D’où ma suggestion de procéder par étapes afin d’améliorer votre qualité de vie au travail:

– Améliorez votre sentiment de contrôle. Cela peut revenir à en parler en personne à votre gestionnaire, l’idée étant de lui expliquer que certaines tâches vous rebutent, ce qui vous empêche de donner votre 110% dans celles-ci. Il se peut que des collègues soient plus à même que vous d’en assumer la responsabilité, et aimeraient même s’en charger, mais n’en ont jamais parlé ouvertement à qui que ce soit. Vous pourriez dès lors proposer de vous délester de celles-ci et, en échange, en prendre d’autres qui, elles, n’enchantent guère vos collègues.

– Améliorez votre bien-être. Prenez le temps de réfléchir aux petites choses qui, mine de rien, pourraient faire une grande différence dans les journées que vous passez au travail. Votre espace de travail pourrait-il être plus inspirant? Un petit rituel quotidien mené en groupe pourrait-il permettre de mieux reconnaître les efforts des uns et des autres? Vos horaires de travail pourraient-ils être un peu plus flexibles, au moins une journée par semaine? La modification d’une tâche pourrait-elle suffire à lui donner davantage de sens à vos yeux? Gagneriez-vous à prendre l’air dehors pendant votre pause de 15 minutes, plutôt que de la consacrer à la gestion de vos courriels personnels? À vous de voir…

– Améliorez vos liens sociaux. Une fois des gains dûment enregistrés en termes de sentiment de contrôle et de bien-être, vous aurez une facilité déconcertante à nouer de nouveaux liens sociaux au travail. Vous trouverez sûrement parmi vos collègues des amis fiables et solides.

Voilà, Émile. J’espère que cette équation «magique» vous aidera à changer votre vie au travail pour le mieux. N’hésitez pas à m’en faire part à l’avenir.

En passant, Platon a dit dans «Criton»: «L’essentiel n’est pas de vivre, mais de bien vivre».